Sur la Sambre avec Stevenson (Thuin)

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Roger Demany devant sa maison ornée d’un fanal et du pavillon de son bateau, le Notre Dame d’El Vaulx. Reportage photographique, vidéo et drone © Jean-Frédéric Hanssens

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A Thuin, à bord de la péniche Thudo, mémoire des bateliers

Au-delà d’Aulne, arrêt à Hourpes. Au bord de l’eau, des petites maisons et un château, un arrêt de train et des chevaux dans les prairies. Puis apparaît Thuin la médiévale au détour d’un méandre. Le regard détoure la silhouette de la ville, campée sur son éperon rocheux. Du beffroi, le carillon égrène ses notes dans la vallée.

La vie valse, du café l’Escale au quartier du Rivage, là où les bateliers ont leurs maisons. Où est amarrée la péniche “Thudo”. Construit à Thuin en 1950, le Thudo ira bientôt en cale sèche, au chantier naval Vankerkoven, à Pont-de-Loup, pour conserver son certificat de navigabilité. Le spits de 38m50 s’est métamorphosé en écomusée, grâce à la Ville et aux bateliers.

Dans ses vitrines veillent des photos sépia, une casquette de laine, un gilet tissé dru, divers objets qui ont une histoire. On médite devant les souvenirs de bateaux disparus, confiés par leurs capitaines et les cartes des routes d’eau. Des pavillons de bois gravés du nom des péniches rappellent les odyssées du Padoua, de la Rolande ou du Mon Désir, vers Paris, les Pays-Bas, Liège, Anvers, le Rhin, la Marne.

Sandrine Maquet, guide de l’Office du Tourisme de Thuin, a découvert la batellerie avec le capitaine Rudice Dagnelies. Il l’accueillit sur le Thudo quand elle débarqua à Thuin pour un stage scolaire. De l’homme de la rivière elle transmet désormais la mémoire...

”En 1835, quand le canal de liaison de la Sambre à l’Oise a permis de monter à Paris, les frères Blampain, bateliers à Thuin, ont ouvert la voie”. Leur trajet périlleux fut jalonné de fêtes, selon la légende. La canalisation en grande partie achevée, le parcours restait truffé de pièges.

Alors qu’un monsieur âgé passant devant le Thudo nous adressait un cordial salut, Sandrine nous conseilla d’aller voir ce batelier bien connu en Thudinie. Descendu à terre depuis 1992, Roger Demany habite rue des Mariniers. La façade de sa maison s’orne d’un fanal et du pavillon de son bateau, le Notre Dame d’El Vaulx.

Sur 5.000 âmes, Thuin compta aux 19e et 20e siècles jusqu’à 1100 bateliers et cinq chantiers navals. Après la guerre 40-45, Roger se rendait dans l’Est de la France.”On chargeait du côté de Coblence des carrelages à destination de Maubeuge”.


Roger Demany et la photo de son spits

Après les années 60, tout a changé car le petit gabarit de la rivière n’était plus adapté à des bateaux de plus en plus longs et lourds. En Haute-Sambre, les éclusiers prompts à expliquer leur métier manoeuvrent toujours les ouvrages d’art datant de Napoléon pour les derniers spits et les bateaux de plaisance, majoritaires.

Convaincue des vertus de la rivière, la bourgmestre de Thuin, Marie-Eve Van Laethem, défend l’extension de la ville au bord de l’eau. Le dernier chantier naval a été racheté par la commune. Le Thudo y trouvera peut-être un jour son port d’attache. Quant aux plaisanciers, il faudrait leur aménager une halte avec des services. Un plan est en élaboration. Le défi est de trouver les budgets. Thuin croit à un tourisme vert, sportif et de culture. Comme les voisins français. La ville est fière de ses décors, de son musée de l’Imprimerie, du musée du Tramway vicinal, des ses ruelles pavées qui partent du centre vers le Bois du Grand Bon Dieu où les Romains séjournèrent. Sous les remparts, les jardins suspendus, plein sud, voient pousser des vignes. Le vin se nomme “Clos des Zouaves”.

Sur le halage du sillon Sambre-et-Meuse passe la Véloroute européenne 3, dite “Scandibérique”. Mêlés au flot des vélos, des nomades descendent du Cap Nord à Gibraltar en roue libre. Pas pressés, ils se reposent à côté des pêcheurs et suivent les arabesques des poissons dans les trous d’eau. Récemment, Tim, de Manchester, 67 ans, avec sa bécane chargée comme un mulet, cherchait la route de Dinant à Thuin pour rejoindre une copine en Suisse. Lassé de la vie sur les plate-formes de forage de la mer du Nord, il a élu domicile dans une camionnette et profite de sa liberté. Quant à Lucas, en provenance de Liège, il se dirigeait vers le Portugal avec une étape à Paris. Descendant du Cap Nord, un retraité sportif m’a expliqué avoir hâte d’être chez lui, du côté de La Rochelle. Il en avait vu du pays...

A Lobbes, qu’il fasse grand soleil ou pleuve sur les décors, les randonneurs lèvent les yeux vers la collégiale Saint-Ursmer, perchée sur la colline. Dans les années 1080, Goderan, moine copiste et enlumineur transcrivit dans la paix de l’abbaye le texte de la Bible. L’ouvrage a survécu à un incendie qui a tout ravagé.

En 14-18, les batailles de la Sambre rouge furent tragiques, ainsi qu’en témoigne le cimetière de Heuleu, à Lobbes, où reposent des jeunes gens partis des Charentes, tombés en août 14 dans un chemin creux. Les historiens évoquent la “Sambre rouge”.

Traversant la Thudinie, du haut de son wagon, Stevenson aura, - qui sait? - peut-être suivi la noria des péniches emportant des tonnes de charbon du Pays Noir pour réchauffer Paris...

Longtemps après, des voyageurs contemporains chercheraient leur île au trésor par les marges de la Haute-Sambre. Le trésor tiendrait dans la volonté de le chercher plus que dans le fait d’en trouver un, c’est ce qu’il me semble. Le trésor serait d’écouter la chanson du dérailleur en respirant l’air allègre de la Haute-Sambre, hors du temps, le temps de quelques instants, en accordance avec les ombres et lumières qui émaillent le courant.

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Photos, vidéo et drone © Jean-Frédéric Hanssens


Reportage réalisé avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Vous pouvez aussi retrouver ce reportage dans le N°23 du magazine trimestriel MEDOR paru en juin dernier.

A suivre la semaine prochaine:  A Erquelinnes, avec le “peuple de la frontière”

Déjà parus : Sur la Sambre avec Stevenson NAMUR et CHARLEROI

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