Sur la Sambre avec Stevenson (Erquelinnes)

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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En juillet 2021, comme prévu, les bateaux français sont revenus au port d'Erquelinnes. Reportage photographique, vidéo et drone © Jean-Frédéric Hanssens

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A Erquelinnes, avec le “peuple de la frontière”

Le vélo surprend un cormoran. Le grand oiseau s’élève dans l’embellie de ce printemps tellement gris. A quelques encâblures de Jeumont et de la frontière, en marge du halage, le port d’Erquelinnes abrite une péniche-café et des bateaux.

Sur le pont du Westen Wind, Christophe, habitant du Grand-Hornu, au Borinage, fait blinquer le 9 mètres construit en 1981. La casquette “captain” va bien au rêve de cet homme. Acquise en seconde main, à Anseremme, la vedette hollandaise a changé le cap de son existence. Pour la piloter Christophe s’est imprégné des guides de navigation, a passé les brevets. Il évoque la grande nouvelle, ”Les autorités françaises annoncent que les bateaux remonteront vers Paris à la fin du mois de juin!”

Un communiqué détaillé des VNF (Voies Navigables de France) en atteste. “J’irai voir Paris et les travaux de Notre-Dame”, confie le capitaine...

Christophe saute sur le quai où des voisins de mouillage discutent le coup en buvant du café.

Omer et Andrée, du Pallas; Julienne et Freddy, du Lien, soignent leurs habitations nomades. Dans les cabines aux boiseries vernies, les cartes distillent des fragrances de lointains. Vers les années 70, Omer s’est initié à la voile en mer du Nord, pour aboutir à la plaisance fluviale, moins monotone d’après son expérience. “En mer, il y a les vagues et le ciel. Par contre, à chaque détour de la rivière, le paysage change, on ne pourrait s’en lasser. Les villes et villages, on les découvre sous un autre angle. On rencontre du monde, des gens très différents.”

Depuis 2005, Omer et Andrée attendent de rallier Briare-le-Canal, après une étape dans la Ville-Lumière.

Caroline Desalle, échevine du tourisme d’Erquelinnes, échange souvent avec des plaisanciers. “Selon nos amis français, plus de mille bateaux sont espérés au fil de la saison”. Elle accueillera bientôt les premiers équipages descendus de France. Pour revivifier le port en veilleuse depuis l’interruption de la navigation, la commune a lancé un appel à projets. Des dossiers sont arrivés, porteurs de promesses.


La péniche-café du port d'Erquelinnes en restauration.

La frontière est imperceptible, sauf pour les gens du coin. Erquelinnes et Jeumont forment un tissu continu d’habitations et de commerces. Une artère encadrée d’ enseignes déclinant tous les produits du marché lie les deux cités où la sympathie s’exprime avec une simplicité unanime. Ici, les gens n’ont pas de "porte de derrière", comme il se dit parfois en Wallonie. Entre France et Belgique, guère de différences: les frontaliers se reconnaissent, au-delà des cartes d’identités, dans une sorte de famille très élargie.

Pierre Mauroy, Premier ministre de François Mitterrand, grand homme du Nord, évoquait le “peuple de la frontière” parce qu’il en faisait partie, avec conviction. Ainsi les barrières résultent des conflits. La frontière serait aussi un état d’esprit.

Bien des familles se sont unies. Jeumont compte un centre culturel avec un cinéma où passent des films italiens en version originale. Les cinéphiles belges connaissent la salle qui sort des années 60, avec sa décoration digne des studios de Cinecitta.

La voie rapide démarrant de Maubeuge et qui devait relier le Valenciennois à Charleroi, via le ring carolo, a été inaugurée côté français en 1976 par le président Jacques Chirac.

Côté wallon, on attend toujours. Sans espoir. Des affichettes réclament la jonction. Toujours est-il qu'en 2021, l’asphalte s’arrête net à la route Mons-Beaumont. Le chaînon manquant, entre Erquelinnes et Lobbes, à la sortie du pérphérique R3, n’a jamais été mis en chantier par la Belgique. Quarante-cinq ans plus tard, la palabre s’éternise en Wallonie. La limite de l’absurde, dépassée, revèle les failles du mille-feuille institutionnel du Royaume.

Cent chemins franchissent la frontière. Même au temps du covid, elle a eu du mal à rappeler son existence. Tant les destinées sont nouées, inextricables. Passer en France, c’est renouer avec une nature intacte, celle du bocage et des haies. Venant de France, des gens savourent volontiers une trappiste, à Thuin, Aulne ou Solre-sur-Sambre, quand une terrasse leur ouvre ses parasols.

La pluie, alors, s’éclipse.


Photos, vidéo et drone © Jean-Frédéric Hanssens

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Reportage réalisé avec le soutien du Fonds pour le Journalisme en Fédération Wallonie-Bruxelles.

Vous pouvez aussi retrouver ce reportage dans le N°23 du magazine trimestriel MEDOR paru en juin dernier.

A suivre la semaine prochaine:  "A Vadencourt, où la Sambre passe sur le pont et l’Oise par-dessous"

Déjà parus : Sur la Sambre avec Stevenson NAMUR , CHARLEROI et Thuin

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