L'effroi des chiffres

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Pour éviter tout raccourci ou sous-entendu, l'abbaye de Valmagne, dont voici une vue du cloître, n'est plus un lieu du culte depuis la Révolution. Elle fut rachetée pour servir de cave à vin (en plein vignoble languedocien). Photo © Jean Rebuffat

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L’actualité, depuis une semaine, a été secouée par deux scandales au fond très peu inattendus mais traités comme si on venait de les découvrir. L’un concerne la pédophilie dans l’église catholique et l’autre, l’évasion et la fraude fiscales; le premier porte le nom paradoxal de Sauvé (c’est son rapporteur), le second a été poétiquement baptisé Pandora Papers (ça fait vendre). Car enfin, qui peut s’étonner d’apprendre qu’il y a des curés pédophiles et que les riches pratiquent massivement, plutôt que le ruissellement, l’optimisation fiscale?

Même les échelles de grandeur ne devraient pas nous surprendre. Lâché comme ça, ça a l’air énorme. Mais à l’analyse, les proportions ne sont pas effarantes. Entendons-nous bien: il ne devrait y avoir ni pédophilie ni fraude, et n’y en aurait-il que peu, ce serait déjà trop.

Reprenons le rapport Sauvé. Le gros titre, c’est 216.000 abus commis en 70 ans par des clercs. C’est beaucoup? Oui, à première vue, 30.000 par an, 80 par jour, principalement sur des mineurs, dont les trois quarts sont des garçons (alors qu’en général, dans la société, les trois quarts des victimes d’abus sexuels sont des filles). En France, il y aurait donc eu entre 1950 et 2020 un chiffre de prêtres mués en prédateurs sexuels estimé à 3.000. Soit 2,5 à 2,8% des prêtres. Il ne s’agit tout de même que d’une minorité, et si l’on m’avait demandé une évaluation au nez, à moi qui trouve le régime imposé aux ministres du culte catholique inhumain, dangereux et pervers, j’aurais avancé une fourchette de 2 à 5%. Il n’empêche que le taux de prévalence du lieu des abus, le milieu ecclésial, est en tête de ce sinistre classement à plus du double de son suivant, les colonies de vacances.

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Ces chiffres concernent la France et semblent un peu bas par rapport à des enquêtes similaires dans quelques pays (en Irlande, par exemple, où mon évaluation de 5% aurait été de moitié inférieure à la réalité).  Ils révèlent une décrue, le taux irlandais ayant été de mise entre 1950 et 1970... La décléricalisation de la société, peut-être d’ailleurs elle-même causée par ces abus, explique en partie pourquoi elle est observée.

Cette manie des chiffres absolus est une maladie de la presse contemporaine. La dramatisation y est constante. Un incendie de forêt s’exprime toujours en hectares. Pourquoi pas en kilomètres carrés? Parce que la loi du mort kilomètre recèle des effets pervers. Un hectare, c’est un centième de kilomètre carré. Cinquante hectares de pinède détruite, c’est triste mais c’est un demi kilomètre carré, ce qui est moins impressionnant. La même chose avec les cumuls de pluie, qui s’aggravent, certes, mais est-ce une raison pour entendre des âneries comme “trois mois de pluie en deux heures”? En beaucoup d’endroits, il peut ne pas pleuvoir une goutte en trois mois... Bref, tant qu’il manque l’élément de comparaison, le chiffre cité avec effroi ne veut strictement rien dire; il n’est pas là pour informer mais pour impressionner. Ce même effet pervers se retrouve dans les Pandora Papers: ce sont les personnalités les plus médiatiques sur lesquelles les médias se concentrent. La pipolisation et la dramatisation sont les mamelles de l’audience, créant un effet de spirale qui en réalité, aboutit à une sorte d’absolution: quand il y en a trop, sur lequel se concentrer? Le citoyen lambda s’indigne et puis pense à autre chose. La preuve, depuis les Panama Papers, la fraude fiscale n’a fait que croître... Le problème, c’est que de l’église, il peut s’éloigner, mais non de la réalité financière, parce que le citoyen lambda, il paie des taxes et des impôts même s’il ne fréquente plus sa paroisse.

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