Dalal Mitwally, Gaza-plage

Street/Art

Par | Penseur libre |
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"Ceci n'est pas une plage" par l’artiste jordanienne Dalal Mitwally. Photos © DR

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Début avril 2024, l’association le M.U.R. (association Modulable, Urbain, Réactif), pour les initiés, le MUR Oberkampf, a invité l’artiste jordanienne Dalal Mitwally. L’artiste a peint une plage. Une plage qui, comme l’indique la légende, n’est plus une plage !

Voilà une bien curieuse proposition qui mérite une explication. Une explication ? Disons une tentative d’explicitation, éminemment subjective, personnelle, étayée sur de vagues hypothèses, dont le seul mérite est d’exister.

Regardons de plus près ce que Dalal Mitwally nous donne à voir.

La fresque est un paysage marin qui ne brille pas par son originalité. Une plongée basse, comme une vue prise d’un point haut, représente une plage de sable au coucher du soleil, la bonne heure, des familles regroupées autour de protecteurs parasols, heureuses de profiter des joies du farniente et de la baignade, une mer bleue, des vagues ourlées d’écume, un ciel embrasé par le soleil orangé. La composition est de manière classique divisée en deux ensembles : le ciel en feu et le couple mer-plage.

Bref, un paysage de carte postale sans grande originalité.

Foin de la nuance, je dirais même que la fresque est d’une grande banalité. Bref, c’est un cliché.

L’outrance de la banalité est telle qu’assurément, derrière cette exagération, se cache un message La légende peinte sous la fresque donne une clé de lecture. La double négation « ne…plus » est un sésame. Il faut comprendre que cette plage n’existe plus. Certes, elle existe encore du point de vue physique, mais ont disparu l’insouciance des baigneurs et la beauté de cette anse dominée par des falaises sous un soleil de plomb. Un paysage de rêve, où tout est « calme, luxe et volupté ». Un paradis terrestre en somme, mais un paradis perdu.

Découvrant la fresque, mon attention a été immédiatement attirée par la légende. J’ai lu « Ceci n’est pas une plage. », tant il est vrai que lire est une anticipation faite à partir d’indices et que la signification se construit en puisant dans nos savoirs antérieurs. J’ai compris alors que la fresque était une resucée de la variation sur la très fameuse légende de Magritte, « Ceci n’est pas une pipe », et conséquemment, je n’accordais à l’œuvre que peu d’attention.

C’est en observant les clichés que j’avais pris que j’ai découvert mon erreur. La double négation change radicalement la signification de l’œuvre.

Je venais de faire un premier pas vers la construction d’un sens. Je tenais pour acquis le sens littéral de la fresque : c’est une recréation onirique d’un paysage du passé.

Reste à savoir pourquoi cette « plage » a disparu.

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Je suis convaincu depuis des lustres qu’il n’y a pas de texte sans contexte. Son application à la peinture pourrait être celle-ci : la construction du sens ne peut faire l’économie de la connaissance du contexte de la création de l’œuvre. Or, Dalal Mitwally, artiste jordanienne, ne peut pas ignorer les images des largages d’aide humanitaire sur les plages de la bande de Gaza. Elles hantent encore nos nuits. Le monde entier a assisté par procuration à ces largages, vu les Gazaouis sur les plages tenter de récupérer un peu de cette aide venue du ciel. Elles illustrent le blocus de Gaza et les restrictions à l’entrée des camions d’aide par les points de passage terrestres.

La fresque de Dalal Mitwally est une œuvre de l’absence. C’est une représentation fantasmée construite par le souvenir, trop belle pour avoir été vraie, des plages de Gaza d’avant la guerre. Pour évoquer l’horreur absolue du drame qui se joue, avec pudeur et délicatesse, elle montre ce qui l’a précédé. Elle n’illustre pas les horreurs de la guerre (et pourtant les images fortes sont légion) mais, s’adressant davantage aux émotions qu’à la raison raisonnante, elle célèbre la vie et le plaisir.

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