1976, d’ Alger à l’Assekrem en bus, camion et dromadaire
D’Alger à Tamanrasset en bus et camion-stop
Traverser ce pays en camion stop n’était pas trop hasardeux à l’époque. Par contre, pour les femmes seules ou accompagnées et qui se déclaraient non mariées, le risque de viol était lui bien réel, avec en prime éjection du camion, du petit copain qui sera abandonné sur la piste. L’autre danger, plus courant celui-là, était l‘accident.
D’Alger, nous prenons le bus qui mène aux portes du désert. Gardaïa se situe à 630km au sud. Elle est aussi surnommée la ville aux sept oasis et a été classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1982.
Une ville très agréable à vivre grâce à ses petites ruelles ombragées et ses nombreux bassins d’irrigations. Un propriétaire nous invite gentiment à nous plonger dans l’un d’eux situé dans son jardin et à déguster quelques raisins dont les grappes pendaient juste au-dessus de nos têtes. Nous n’avions plus envie de bouger et encore moins pour rejoindre notre camping suffocant situé à la sortie de la ville. Mais il était temps de trouver un moyen de transport pour poursuivre le voyage.
Le rendez-vous des routards est la gare routière, comme partout en Afrique et ailleurs encore aujourd’hui. De là partent notamment les bus transsahariens: des mastodontes de couleur orange, chaussés de 8 roues avec arrêts fréquents et pannes régulières. Notre choix s’est donc tout naturellement porté vers les camions de la SNTR (Société Nationale de Transport Routier). Plus chers, mais plus fiables et rapides. Après d’âpres négociations nous marquons notre choix pour l’un d’eux .
Messaoud est notre chauffeur. Grosse moustache et barbe de 4 jours. Sa machine est un Berliet avec cabine avancée. Nous faisons partie d’une colonne de trois semi-remorques transportant des matériaux de construction et des jus de fruits en boîtes destinés à Tamanrasset.
Nous sommes en tête de colonne, la piste file sous nos roues dans un nuage de poussière qui contraint notre suiveur à se tenir à une bonne marge de sécurité. Nous partageons les repas avec les camionneurs, dormons à la belle étoile ou en cabine, l’ambiance est bon enfant et la forte tension en début de voyage avec les approches plus qu’insistantes de Messaoud vers Christine se sont apaisées. Il garde enfin ses distances.
Nous filons à grande vitesse pour survoler la "tôle" ondulée qui s’est formée sur la piste. Nous sommes sur le plateau du Tademaït, au sud d’In Salah. Un des 10 endroits privilégiés et uniques au monde pour s'enivrer de la voûte étoilée. Nous ne pouvons nous entendre, les aiguilles des compteurs du tableau de bord virevoltent dans tous les sens, la cabine du Berliet bascule vers l'avant droit, nous sommes projetés sur le pare-brise, mais sans gravité. L'énorme bahut s'immobilise enfin. La piste ondulée a eu raison d'une des charnières de basculement de la cabine. Soudures et système "d" feront l'affaire, après quatre heures de travail sous une température de 40 degrés, mais avec un vent chaud, qui provoque l’évaporation de la transpiration et donne ainsi une sensation de fraîcheur.
La piste se fait caillouteuse. Nous entrons dans le Hoggar. Messaoud nous demande de nous cacher sous la bâche de la remorque pour passer les postes de contrôle. Quelques jours avant notre passage, deux jeunes Suédois sont morts dans un accident de camion sur la piste. Les autorités algériennes interdisent à présent aux touristes d’emprunter ce mode de transport. Plusieurs stratagèmes sont utilisés par notre chauffeur. Les contrôles pour camions se font à l’écart des habitations. A la nuit tombante, Messaoud nous dépose donc à l’entrée d’un village, nous le traversons à pied et il nous récupère à la sortie une ou deux heures après.
Mais c’est plus souvent, cachés entre les dalles de béton et les caisses de boîtes de conserves que nous passons en fraude. Groggy, la gorge sèche, couverts de poussière nous décidons d’entamer quelques boîtes bien chaudes de jus d’orange. Erreur à ne jamais commettre.si vous n’avez pas sous la main de l’imodium instant.
Après plusieurs centaines de Km, le Berliet s’immobilise. Messaoud soulève la bâche. Tamanrasset ! Il doit s’y reprendre à trois reprises avant que nous ne réagissions. Nous sommes simplement épuisés et hagards.
De Tamanrasset vers le plateau de l’Assekrem (2.726m ) et l’ermitage d’été de Charles de Foucauld à dos de dromadaire.
Nous avons quatre jours pour reprendre des forces dans la demeure du Maire de Tam, qu’il nous a prêtée aimablement pendant son séjour en France.
Nous nous renseignons. Une authentique méharée se prépare. Un des Touaregs nous autorise à les accompagner. Ils feront un crochet jusqu’à l’ermitage et poursuivront leur chemin. L’un deux nous accompagnera pour le retour. Un couple de Belges se joint à nous.
Durée du trajet, environ neuf jours. Nous négocions et fixons le prix pour la nourriture de notre guide et du temps qu’il nous consacrera pour le retour.
Le temps de faire quelques provisions et nos dromadaires nous attendent. Quelques trucs et astuces nous sont expliqués à la hâte pour tenir le coup sur le dos de notre méhari. Nous constatons très vite qu’avoir de longues jambes représente un avantage non négligeable pour guider nos montures.
En effet, c’est avec les pieds, croisées sur le cou de la bête qu’on lui donne les impulsions qui le feront avancer. Christine comprend déjà qu’elle sera condamnée à marcher plus qu’à chevaucher.
Une chamelle et son petit seront du voyage. Le chamelon doit apprendre dès son plus jeune âge à reconnaître les pistes.
La première journée à travers le Hoggar nous a complètement envoûtés par ce silence et le paysage qui s’offre à nous.
Nous dormons à la belle étoile après avoir partagé des morceaux de tagella ou taguella, galette faite à partir de farine de mil ou de blé que l’on fait cuire en la déposant à même les cendres chaudes dans une cuvette creusée dans le sable. Les Touaregs passent un petit buisson brûlant sur la surface de la galette, pour y sécher le dessus et éviter que le sable fin ne s’y colle. Une fois la croûte formée, la galette est recouverte de sable et cuit environ 40 minutes, 20 pour chaque côté. C’est le four naturel nomade. Ensuite, elle est rincée avec un peu d’eau pour éliminer le sable.
Nous l’accompagnons de concentré de tomates mélangé à un peu d’eau et occasionnellement une boîte de sardines que nous avions emmenée avec nous. Le tout abondamment arrosé de trois tasses de thé très sucré préparé suivant la tradition. Tel était notre menu quotidien. Régime garanti qui nous a fait perdre à Christine et moi environ huit kg durant cette méharée.
Après trois jours et demi de paysages enivrants parsemés d’orgues basaltiques qui caractérisent le massif de l’Atakor, nous sommes accueillis avec une gentillesse extrême par une famille nomade Daghali qui nous offre de partager son maigre repas, composé d’une pâte de mil, de petits morceaux de viande de chèvre, du beurre rance et du lait caillé.
Deux jours plus tard, dans un autre campement, le chef targui nous proposera de loger dans la tente des invités. A chaque rencontre, nous serons accueillis avec une égale hospitalité et générosité. Elles sont inscrites dans la tradition culturelle, mais n’en restent pas moins étonnantes.
Arrivés à l’Assekrem, nous essuyons un violent orage qui nous oblige à nous réfugier dans l’anfractuosité de l’un de ces magnifiques rochers d’origine volcanique. Nous sommes au pied de l’ermitage du père Charles de Foucauld. Epuisés, nous grimpons jusqu’au sommet et j’en oublie mes bobines de films diapositives restées dans mon sac accroché à ma monture.
La caravane poursuit son chemin dans le Hoggar et au-delà à la rencontre de leurs familles, tandis que nous faisons demi-tour accompagnés de notre guide.
Pour le retour, Tamanrasset est à un peu plus de trois jours par les raccourcis des chemins des caravaniers. Nous n’avons plus que du concentré de tomate pour agrémenter la tagella. Le thé et le sucre sont rationnés. Nous boirons l’eau de la mare des dromadaires, après l’avoir filtrée à travers nos chèches et y avoir plongé nos dernières pastilles de chloramine. Malgré toutes ces frustrations, la force et la beauté du désert nous ont fait avancer dans le silence jusqu’aux portes de Tam.
"Le désert vous ponce l’âme… Le désert n’est pas complaisant. Il sculpte l’âme. Il tanne le corps… Le désert est beau, il ne ment pas, il est propre. Il est le sel de la terre." Théodore Monod
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Texte et photos © Jean Frédéric Hanssens
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