La loi du plus fort

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Les manifestations se suivent à Bruxelles comme partout, avec même quelques participants quelque peu inattendus... Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Ainsi c’est la guerre. L’Europe, médusée, s’exclame qu’il y a un conflit armé à ses portes, oubliant au passage les conflits terribles de la fin du XXème siècle qui ravagèrent l’ex-Yougoslavie. L’Ukraine est envahie. La blitzkrieg à laquelle on n’osait croire est en cours. Je n’utilise pas le mot au hasard; il a un poids historique et puisque Vladimir Poutine a une certaine façon de réécrire l’histoire, il est permis de lui renvoyer cette comparaison qui l’assimile à un dictateur allemand génocidaire de la première moitié du siècle précédent.

Les points de ressemblance sont frappants. Les populations russophones sont russes; les tchécoslovaques germanophones, allemandes. L'Ukraine n’est pas un pays, une invention de Lénine; la Pologne n’a jamais existé; plus tard, on la déplacera vers l’ouest. Minsk et Munich ont la même initiale. La duplicité est comparable. La certitude de sa force, aussi, la volonté de puissance, le recours à un passé mythique.

Mais tout n’est pas si simple. L’histoire, certes, est créatrice de mythes et ses cicatrices sont très longues à guérir, créant ces vieux fantômes dont nous parlions la semaine passée. On dit souvent que l’histoire est écrite par les vainqueurs et ce n’est pas faux. Mais les vaincus, les humiliés, les défaits se reconstruisent en proposant leur version, volontiers simplificatrice.

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Ici aussi, à partir d’une constatation qui est avérée (une partie des Ukrainiens s’est nazifiée dans l’espoir d’une indépendance hors Union soviétique, encore que ce phénomène ait été fréquent en dehors de l’Ukraine aussi), la lecture est ébouriffante. Poutine veut dénazifier un pays génocidaire, rien moins. Et dans la foulée, il se réclame de la nécessité de ne pas répéter une erreur de Staline, transformant le pacte germano-soviétique en tentative vaine de gagner du temps, puisque l’attaque nazie eut quand même lieu – alors que ce pacte a dépecé la Pologne...

On peut comprendre que la permanence de l’Otan, alors que le péril rouge n’existe plus, puisse être perçue comme une menace. On peut disserter des heures sur la nécessité de l’Otan, ses dissensions internes et son effet dissuasif. On peut tenter un parallèle entre la problématique Serbie-Kosovo et Russie-Donbass, observer que la notion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est à géométrie variable (ou plus généralement toutes ces belles notions de droit international).  On peut relever tous les signes avant-coureurs du présent trop clair à présent, recommencer les analyses et tout ce qu’on veut, l’urgence, désormais, c’est d’arrêter les armes et de trouver un compromis qui, hélas, tienne compte de la réalité, en ce compris l’usage de la force qui est la loi du plus fort. La Russie n’avait pas le droit? En effet. Elle en avait le pouvoir. Les compromis les moins mauvais que l’on pourrait imaginer seront certainement moins favorables à l’Ukraine que ce que celle-ci espérait. Ils peuvent aller d’un état fantoche comme déjà Napoléon en créait à une Ukraine amputée et renonçant à l’Otan comme à une proximité occidentale – ou alors, à une annexion pure et simple. Cependant les dictateurs du XXIème siècle aiment se donner des apparences démocratiques et font semblant de respecter droit et frontières; à l'annexion, Vladimir Poutine songe peut-être, mais plus probablement se doute-t-il qu’à l’inverse de la Crimée, l’Ukraine opposerait une résistance armée larvée de type guérilla qui serait certes qualifiée de terroriste mais qui serait coûteuse en hommes et en image. C’est probablement, plus que les sanctions économiques dont d’ailleurs certaines, brandies à la hâte comme l’exclusion du réseau Swift, relèvent du vœu pieux, l’argument majeur dont il tiendra compte, puisqu’il sait que personne à l’ouest, vertueusement indigné, n’enverra des bataillons à la rescousse. Il a les mains libres et rappelle en quelques mots qu’il dispose de l’arme nucléaire. La ligne rouge à ne pas franchir, en fait, c’est lui qui la détermine, pas le droit international, l’Otan, l’Union européenne, le Conseil de sécurité ou les Nations-Unies. Bussy-Rabutin, le père de la marquise de Sévigné, notait déjà que “Dieu est d’ordinaire avec les gros bataillons contre les petits”.

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