semaine 48

Fatou Diome, la liberté des mots et du cœur

Zooms curieux par Gabrielle Lefèvre, le 05 octobre 2023

Fatou Diome, en admiration devant la beauté de la Grand-Place et de l’Hôtel de Ville de Bruxelles, symboles des libertés des citoyens. Photo © G.L.

L’écrivaine Fatou Diome a dialogué à Bruxelles avec un public nombreux, reflétant l’extraordinaire diversité de la capitale. En effet, cette rencontre se passait dans le cadre de « Bruxelles, carrefour des diasporas », thème de la quinzaine de la solidarité internationale. Voici quelques pépites saisies lors de cette rencontre à la fois joyeuse et humaniste.

Diaspora ?

« Je suis franco-sénégalaise sur mon passeport, mais ici, je suis belge. Je suis au carrefour de nos rencontres humaines, un ambassadeur sans titre qui part avec sa mémoire, son éducation, qui porte le message de ses racines. » Et l’on se trompe si l’on croit, comme nombre d’Africains, que Fatou Diome sera le « mégaphone de l’Afrique », elle qui n’a jamais vu un lion ni un éléphant dans son environnement d’enfance. Elle n’est que « la voix de sa propre folie », dit-elle. Elle revendique un « attachement humaniste auprès de mes maîtres de toutes les couleurs ». Et en littérature, « il faut autant d’exigence que l’on soit blanc ou noir. »

Partager ce que l’on apprend ailleurs

Fatou Diome se rebelle contre toute assignation identitaire appauvrissante. Elle revendique les influences de Senghor comme de Marguerite Yourcenar, de Steinbeck ou d’Hemingway… « J’en ai des tonnes », rit-elle en citant Voltaire dont elle aime le langage provocateur et la grivoiserie française. Elle revendique « une écriture où le cœur parle ». Libre, parce que « le cordon ombilical est coupé. Quand je voyage, je porte tout ce que j’ai appris : Balzac et mon grand-père pêcheur, et Yourcenar comme ma grand-mère. J’ai ainsi le sentiment de vibrer avec l’humanité. »

Pendant et après la colonisation en Afrique, de grands noms comme Senghor, Franz Fanon, Aimé Césaire ont ouvert la voie à la scolarisation de masse. Mais il faut apprendre qu’être scolarisé ne sert pas pour devenir président ou ministre, mais pour contribuer au débat dans la société. « La liberté, c’est de rêver, pas d’être politicien, insiste Fatou Diome. La liberté cela s’arrache, comme une danse libre. »

« L’écriture est exigeante. C’est un travail artistique, un parti-pris poétique. Nous ne sommes plus dans l’exigence d’épater la galerie lorsqu’on parlait au nom de tout un peuple. La littérature africaine sera majeure lorsqu’elle sera libre de ne pas parler d’Afrique, lorsque nous partagerons ce que nous apprenons ailleurs. » C’est la richesse de la culture française : « Voler dans les greniers des autres pour enrichir nos greniers ».

Décoloniser ?

Et Fatou Diome de préciser qu’il ne s’agit pas, pour elle, de « décolonisation » ; « il ne faut pas oublier l’histoire, c’est un socle pour nous propulser en avant. Je refuse d’en faire mon sac à dos. On est libre dans sa tête d’abord. » Le Sénégal est déjà indépendant comme les autres pays africains. Ils ne doivent plus être décolonisés. Par contre, le néocolonialisme est bien présent, il est économique et politique, explique-t-elle. Donc, « décoloniser n’est pas mon affaire ». Par contre, « la bêtise n’a pas de passeport ni de nationalité. C’est une maladie qui s’attrape partout. Le racisme est une carence intellectuelle. Si vous adoptez une réaction violente contre cela, vous légitimez leur système. Il faut donc s’y préparer mentalement. » Le racisme est un système pratique lorsque des économies sont fragilisées : on cherche des boucs émissaires, des coupables. « C’est une solution de lâches. Chez les humains, générosité et égoïsme se perpétuent. Moi, je fais le choix de la paix.»

Un livre n’est pas un hamburger !

Fatou Diome nous a raconté ses démêlés avec une éditrice particulièrement directive, ce qui l’a poussée à la révolte, car « un livre n’est pas un hamburger. C’est de la cuisine faite maison. C’est de la rêverie d’auteur, de l’expérimentation, de la créativité, un jeu. C’est se détacher des choses pour s’amuser avec elles et créer de nouvelles choses. J’écris comme un enfant qui joue. La phrase obéit à mon souffle quand je récite. Je peux voir les mots, comme des couleurs dans ma tête. J’écris pour trouver mon chemin dans une forêt. Si quelqu’un intervient, il n’y a plus que ronces... »
Et après tout, Fatou Diome revendique son « droit à la nullité » : « Je veux mon texte tel que je l’ai vécu et senti dans mon petit cœur. » Car, écrire, « c’est le dernier rempart contre le désespoir. C’est mon refuge. S’il y a une intrusion, où vais-je me planquer ? »
C’est avec son souffle et son cœur qu’elle invente des mots, qu’elle retranscrit avec des lettres le son du tambour sérère, qu’elle jongle avec les mots du wolof, mandingue, sérère et le français « devenu une langue africaine ! J’aime cette langue qui est un atout pour nous en Afrique, une passerelle ; gardons-la comme un butin de guerre ! C’est notre puissance au sein de la francophonie.»

La folie douce

« Tout cela ne m’empêche pas d’être cinglée. Mes lecteurs acceptent ma folie telle qu’elle est. Le lecteur a la générosité de me découvrir telle que je suis et nous cherchons à nous découvrir nous-mêmes. » Et de raconter son enfance et son rêve : devenir professeur de littérature et journaliste. La voici devenue écrivaine connue mondialement après avoir émigré en France et travaillé pendant sept ans comme femme de ménage en Alsace, armée d’une serpillère et d’un balais pour être payée et garder la tête haute. « Cela annulera tous mes efforts si je continue à me penser comme colonisée ; cela signifierait décider de rester dans leur regard. J’invente qui je suis et je refuse d’être l’otage du passé. »
Et surtout : « Les droits des femmes font partie des droits humains. L’humanisme, c’est le respect des droits de nous tous. Respectons les droits de tout le monde et on se sent bien, finalement. »

Inattendue : l’EVRAS

Lors de ce dialogue avec l’assistance, Fatou Diome a été interpellée par une militante anti-Evras. L’échevine de l’instruction publique Faouzia Hariche a démontré la fausseté des accusations ainsi proférées tout en expliquant à la conférencière ce qu’est cette mesure d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle qui a pour but de protéger les enfants contre les drames d’incestes, mauvais traitements, harcèlements divers qu’ils pourraient subir dans le milieu familial et scolaire.
Fatou Diome livra alors un témoignage bouleversant : si elle avait eu un tel cours lors de son enfance, elle ne se serait pas retrouvée seule, désemparée, en souffrance et ignorante lors de l’apparition de ses premières règles. « La sexualité, c’est la beauté quand c’est respecté », conclut-elle.
Une fois de plus, elle fut la voix du bon sens et de l’humanisme face à des expressions d’intolérance et d’ignorance.

- Fatou Diome. « Le verbe libre ou le silence. » Editions Albin Michel. Septembre 2023.

- https://www.evras.be/

- https://www.bruxelles.be/quinzaine-de-la-solidarite-internationale-2023

Fatou Diome à l'Académie

Le 14 janvier 2023, Fatou Diome a été élue membre de l'Académie royale de langue et de littérature française de Belgique. Elle s'ajoute à une liste prestigieuse d'écrivaines magnifiques: Marguerite Yourcenar, Assia Djebbar et Colette.

https://actualitte.com/article/109637/politique-publique/belgique-fatou-diome-elue-a-l-academie-royale-de-langue-et-de-litterature

 

 

Mots-clés

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site n'est pas devenu payant! Mais malgré le bénévolat de ses collaborateurs, il coûte de l'argent.

C'est pourquoi, si cet article vous a plu (et même dans le cas inverse), nous faire un micropaiement d'un ou de quelques euros nous aiderait à sauver notre fragile indépendance et à lancer de nouveaux projets.

Merci à vous.

Nous soutenir Don mensuel

entreleslignes.be ®2023 designed by TWINN Abonnez-vous !