L'ONU et encore?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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En 1970, le poète Pablo Neruda se désistait en faveur de son ami Salvador Allende pour la candidature présidentielle. Photo : https://pablo-neruda2-france.blogspot.com/2008/03/allende.html

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A quoi sert encore ce « machin », dixit de Gaulle, à l’heure où les grandes puissances s’affrontent à coup de dépenses d’armements et de déclarations bellicistes ?

Septembre sera, comme chaque année, le mois de rassemblement de tous les pays du monde lors de l’Assemblée générale de Nations Unies. Cette 78ème session est dédiée aux Objectifs de développement durable (ODD) et tous les chefs d’Etat (193 Etats membres) et de gouvernements vont s’adresser à l’AG, dont la petite Belgique qui, dans un louable esprit de transparence, explique à nos concitoyens, sur le site des Affaires étrangères, le pourquoi et le comment de cette ‘grand’messe’ mondiale . (1)

La Belgique tient à montrer son attachement à cette institution en soulignant qu’elle fut un des premiers Etats signataires de la Charte des Nations Unies dans laquelle la paix sur cette terre n’est possible que s’il y a en même temps un développement social et économique pour tous et une efficace défense des droits humains. Sur le site, on nous rappelle que le tout premier président de l'AG, en 1946, était Paul-Henri Spaak, alors ministre belge des Affaires étrangères.

Dès le 19 septembre, nos gouvernants du monde entier vont s’exprimer devant cette gigantesque tribune. Le « débat général annuel de haut niveau » se déroulera sur le thème « Rétablir la confiance et raviver la solidarité mondiale : accélérer l’action menée pour réaliser le Programme 2030 et ses objectifs de développement durable en faveur de la paix, de la prospérité, du progrès et de la durabilité pour tout le monde. »

La décolonisation continue

En plein contexte de guerre en Ukraine, de rivalités entre les Etats-Unis et la Chine pour la suprématie économique et militaire sur la planète, nombre de pays, dits du « grand Sud », anciennement colonisés par les puissances occidentales, secouent les règles, les non-dits, les préjugés et les habitudes imposés par ces puissances. Les révoltes et coups d’Etats en Afrique centrale (ex-Françafrique) sont révélateurs de cette volonté de briser les carcans politiques, économiques, financiers qui ont servi à l’exploitation des ressources naturelles par les anciens colonisateurs et trop peu au développement des populations ainsi assujetties principalement aux multinationales dans quasi tous les secteurs de l’économie. Ces peuple n’en peuvent plus de se voir spoliés de leurs richesses tout en végétant dans la pauvreté alors que les castes dirigeantes brandissent d’insolentes richesses, fruits de la corruption généralisée.

Ces peuples veulent protéger leurs forêts, leur eau potable, leur agriculture. Ils veulent développer leurs écoles et universités, leur justice et réinventer leurs systèmes de gestion politique. Car le modèle des démocraties à l‘occidentale leur a été imposé et dans les pays occidentaux eux-mêmes ils montrent leurs faiblesses.

Certains pays, les BRICS, se sont groupés afin de négocier d’égal à égal avec les Etats-Unis et l’Europe un autre ordre mondial, économique, financier, politique. Ils cherchent à sortir du carcan imposé par les Etats-Unis notamment, à savoir la soumission aux règles économiques néo-libérales, à la suprématie du dollar, au contrôle permanent des flux financiers mondiaux par les Etats-Unis…

Ils refusent de s’aligner sur les décisions guerrières de l’actuel président Joe Biden, qui poursuit la politique de ses prédécesseurs en écartant les Nations Unies des décisions qui concernent pourtant l’équilibre du monde. Et l’Union européenne a joué à ce jeu pervers, où elle ne peut qu’être perdante.

En 1972, Allende nous avertissait déjà

Il y a cinquante et un ans, le président du Chili, Salvador Allende, avait averti le monde entier des effets dévastateurs pour les pays en développement de la stratégie US. (2) Voici ce que décrypte Jorge Magasich : « Dans son discours d’ouverture de la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (Cnuced) à Santiago, en avril 1972, devant quelque 3 000 délégués et observateurs issus de 131 pays, Allende, met — déjà ! — en garde contre la politique des Etats-Unis, du Japon et de la Communauté économique européenne (CEE, ancêtre de l’actuelle Union européenne) visant à démanteler progressivement les obstacles au libre-échange. Selon lui, ‘ libérer le commerce (...) efface d’un trait les avantages que le système de préférences généralisées apporte aux pays en développement »’.

Mais la principale menace pour le tiers-monde, poursuit Allende, réside dans le fait ‘que les trois grandes puissances économiques prétendent mettre en place cette politique non pas à travers la Cnuced, mais à travers le GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, ancêtre de l’Organisation mondiale du commerce)’. Or, le GATT n’est pas soumis aux principes de l’Organisation des Nations unies (ONU), sa composition n’a rien de représentatif et l’organisation a démontré un souci particulier pour les intérêts des pays dominants... »

Selon Allende, la Cnuced devrait mener quatre grandes missions : réfléchir à « un nouveau système monétaire, étudié, préparé et géré par toute la communauté internationale, qui devrait s’occuper du financement du développement des pays du Tiers-monde tout comme de l’expansion du commerce international ». Il constate que la dette externe « constitue un des principaux obstacles aux progrès », la Cnuced devrait donc mener une « étude critique sur la manière dont le tiers-monde a contracté sa dette externe ». Autre sujet, d’une actualité brûlanbte aujourd’hui : le contrôle des médias. Allende proposait le développement de médias contrôlés par l’ONU, pour compenser la concentration de l’information et de la publicité aux mains de consortiums qui « ne font qu’augmenter notre dépendance et sont en train de détruire nos valeurs culturelles ». Enfin, au moment où les grandes puissances dépensent des sommes astronomiques en armements capables de décimenr toute l’humanité, méditons cette suggestion d’ Allende : la Cnuced devrait étudier un « plan de désarmement de manière à destiner un pourcentage important des frais liés à la production d’armes et à la guerre, à un fonds de développement humain homogène, chargé, entre autres, d’octroyer des prêts à long terme aux entreprises et aux pays du tiers-monde ».

Jorge Magasich poursuit : « Quelques mois plus tard, devant l’Assemblée générale de l’ONU, en décembre 1972, Allende met en garde contre l’accroissement du pouvoir des multinationales qui échappent au contrôle démocratique : « Nous sommes devant un véritable conflit frontal entre les corporations multinationales et les Etats. En effet, leurs décisions fondamentales — politiques, économiques et militaires — sont influencées par des organisations globales qui ne dépendent d’aucun Etat et dont l’ensemble des activités ne rend de compte à aucun parlement ».

Voilà qui était visionnaire et conforme aux idéaux démocratiques de nombreux peuples secouant le colonialisme qui les asservissait.

Le Chili asservi par Nixon et Kissinger

Pour cela, et parce qu’il a voulu créer l’Unité populaire, nationaliser le cuivre, principale richesse du Chili exploitée par de puissantes multinationales étatsuniennes, Salvador Allende fut condamné à mort par le président Nixon et son âme damnée à l’époque, Henry Kissinger qui explique ainsi la décision de chasser Allende du pouvoir:

« (…) Now it is fairly easy for one to predict that if Allende wins, there is a good chance that he will establish over a period of years some sort of Communist government. In that case you would have one not on an island off the coast which has not a traditional relationship and impact on Latin America, but in a major Latin American country you would have a Communist government, joining, for example, Argentina, which is already deeply divided, along a long frontier, joining Peru, which has already been heading in directions that have been difficult to deal with, and joining Bolivia, which has also gone in a more leftist, anti-U.S. direction, even without any of these developments. So I don't think we should delude ourselves that an Allende takeover in Chile would not present massive problems for us, and for democratic forces and for pro-U.S. forces in Latin America, and indeed to the whole Western Hemisphere. (…) It is one of those situations which is not too happy for American interests . »

Dans un autre document, on trouve la précision suivante : "The example of a successful elected Marxist government in Chile would surely have an impact on — and even precedent value for — other parts of the world, especially in Italy; the imitative spread of similar phenomena elsewhere would in turn significantly affect the world balance and our own position in it." (3)

Voilà comment, il y a cinquante ans, les Etats-Unis ont fomenté coups d’Etats, juntes militaires, dictatures, attentats d’extrême-droite, manipulations diverses et en général criminelles afin d’empêcher des politiques sociales et un développement économique pour le bien des peuples eux-mêmes qui nuiraient à leurs intérêts et surtout à leurs puissantes multinationales.

Actuellement, cette puissance pourtant déclinante joue son va-tout pour affaiblir la Russie par Ukraine interposée, afin d’affronter la Chine.

L’organisation des Nations Unies survivra-t-elle aux soubresauts dévastateurs de ces hyper puissances qui veulent dominer le monde ou, enfin, une multipolarité s’affirmera, en paix et pour le développement équitable et durable de tous ?

A suivre sur le site des Nations Unies ! (4)

(1) https://diplomatie.belgium.be/fr/politique/themes-politiques/sous-la-loupe/la-78e-session-de-lassemblee-generale-des-nations-unies-10-questions

(2) https://www.cetri.be/Il-y-a-quarante-ans-le-coup-d-Etat

(3) https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB437/

https://www.les-crises.fr/15-septembre-1970-quand-nixon-ordonnait-a-la-cia-de-renverser-salvador-allende-par-un-coup-d-etat-militaire/

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https://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/en/object/thesis%3A8454/datastream/PDF_01/view

(4) https://www.un.org/fr/high-level-week-2023

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