Voyage en Wesphaelie

Emois et moi

Par | Journaliste |
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Je n'ai pas suivi le procès de Bernard Wesphael au sens journalistique du terme: je n'y suis pas allé. Mais je l'ai suivi au sens banal du terme par médias interposés. L'ancien chroniqueur judiciaire que je suis nage dans le malaise.

Tout d'abord, il convient que je précise que je n'éprouve aucune sympathie pour Bernard Wesphael, tout au contraire. Bien avant les faits incriminés - la mort de son épouse Véronique Pirotton - le bonhomme me semblait pathétique et lamentable, le genre d'homme politique qui finit immanquablement par décevoir et qui drape ses échecs dans le manteau confortable de la fidélité à ses opinions que tous les autres trahissent. Ce peu de sympathie m'incline naturellement à penser que l'accusé Wesphael a peut-être agi de la même façon que l'ex-député. Mais un chroniqueur judiciaire sait aussi qu'il faut dominer son propre sentiment personnel et ni hurler avec les loups ni pleurer avec les anges. Un procès d'assises est une lourde machine qui théoriquement doit aboutir à la vérité judiciaire au terme d'une instruction d'audience où tous les aspects de la cause doivent être traités verbalement dans l'espoir un peu chimérique qu'arrivés sans préjugés à l'audience, les jurés auront pu se forger une opinion ferme, définitive et sûre - un absolu tel que jusqu'il y a peu, l'appel était impossible, puisque l'accusé, jugé par le peuple souverain, trouvait dans la nature même de son juge la garantie de son impartialité.

De ce que je sais de ce procès, mais c'est souvent le cas, l'instruction a présenté des lacunes. Le métier de l'avocat de l'accusé est évidemment de les souligner et d'en tirer parti. Ici, l'avocat est au dessus de la moyenne et l'instruction, en dessous, à cause aussi du passage du néerlandais au français (les faits ont eu lieu à Ostende et Bernard Wesphael a choisi, comme c'est le droit de quiconque, d'être jugé en français). Les pièces françaises qui avaient été traduites en néerlandais ont ensuite été retraduites en français... Cette instruction a été amplement médiatisée, ce qui s'explique d'abord par la notoriété de l'accusé. Un député accusé d'homicide volontaire n'est pas un fait banal ou courant. Ensuite, l'affaire est ce qu'en jargon journalistique - pardonnez ce cynisme - on appelle un beau crime. Des circonstances croustillantes et par dessus tout, une dose de mystère: que s'est-il vraiment passé? L'accusé nie depuis l'annonce même du décès.

Si Bernard Wesphael avait été en aveu, le procès aurait déjà eu un certain retentissement pour les autres raisons décrites, mais ici, l'enjeu - l'innocence ou la culpabilité - est énorme. Sur les réseaux sociaux, où les partisans de l'accusé sont assez actifs, il est de bon ton de dénoncer une surmédiatisation qui nuirait gravement à la présomption d'innocence et qui répondrait aux goûts glauques du public. Rien n'est plus faux. La justice est un pouvoir et comme les autres pouvoirs, la justice doit être contrôlée. La presse joue là un rôle fondamental et croire qu'elle ne fait que désigner de pauvres hères à la vindicte générale est non seulement insultant (même s'il est vrai que les feuilles de chou existent) mais surtout erroné. Dans bien des cas, et ceci dès avant le procès, il est arrivé que la presse démonte des procédés policiers ou des présupposés du Parquet. Il est légitime que le citoyen puisse se forger une idée fiable de la justice telle qu'elle fonctionne et un grand procès, par cela même, en est l'occasion idéale. Cette réflexion n'est pas neuve. Au XIXème siècle déjà, le débat existait et il y a eu des livres qui reproduisaient fidèlement et totalement ce qui avait été dit au procès. Bien entendu ce n'était et ce n'est pas la règle générale. Mais dans mes souvenirs professionnels personnels reste gravé le procès d'Aix, dit procès du viol, qui voici une quarantaine d'années a donné lieu à une telle publication.

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Le chroniqueur judiciaire, naturellement, ne dispose ni de l'espace ni du temps nécessaire pour tout dire. Les médias sont précisément là pour ça: ce sont littéralement des intermédiaires. Le chroniqueur doit résumer, trier, chercher un angle, dénicher une cohérence. Ce que le public ne sait pas, en général, c'est qu'un procès d'assises comporte bien des temps morts, des zones d'ennui, et que tout ce qui est dit n'est pas d'égal intérêt. L'observateur doit être impartial et loyal, mais cela ne veut pas dire qu'il se débarrassera de tout ce qu'il est pour toucher à une prétendue objectivité. Au fil de l'audience, sa propre opinion se forge, comme celle de tout le monde, jurés compris. Il y a des émotions, des indignations, des observations qui submergent. Il m'est arrivé de prendre parti, notamment quand j'ai estimé qu'un président de la cour d'assises du Brabant exprimait une opinion défavorable à l'accusé (l'arrêt a été cassé de ce fait), mais cela était et doit rester exceptionnel.

Tout cela pour en revenir à mon malaise. Deux faits, d'abord, avant la conclusion. Un, Bernard Wesphael a été libéré en cours d'instruction, ce qui est rare, voire rarissime, dans des affaires d'homicide volontaire (où d'ailleurs le juge d'instruction a l'obligation de décerner un mandat d'arrêt dès lors que les charges sont suffisantes). J'en déduis qu'il n'a pas été la victime d'un système judiciaire qui aurait été voué à sa perte. Deux, libéré, il a lui-même parfaitement orchestré sa défense. Il a même écrit un livre, à en juger par ce que je lis, qui sortira dans quelques jours, pour ne pas influencer les jurés, est-il proclamé. Alors voilà mon malaise: je ne suis pas à l'audience, j'attends le verdict que je suis bien incapable de pronostiquer, mais quel qu'il soit, il me laissera une impression de gueule de bois bien illustrative d'ailleurs de l'ambiance de cette histoire qui, de quelque côté qu'on l'observe, est sordide. Je plains les victimes par ricochet, les familles, les connaissances: la vérité judiciaire ne fera pas l'unanimité et n'apaisera rien. Pathétique et lamentable, il n'y a rien à faire, ce sont ces deux mots qui me reviennent spontanément sous la plume.

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