Une maison grande et vide

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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Lecture 7 min.

Il a marché, marché et souffert en montant vers le Nord, en traversant la mer pour renverser son destin tyrannique avec l’intention d’atteindre l’Europe qui brille au loin comme un château de contes de fées.

Il a vécu dans un parc avec d’autres perdus qui gardent l’espoir et qui croient aux mensonges. Tous les jours, ils sont traqués par les flics et par des gens qui considèrent que ce morceau de globe leur appartient personnellement.

C’est la raison pour laquelle, il a quitté le parc pour errer en ville. La chance lui a fait découvrir une maison dotée d’une porte cochère sous laquelle il peut s’abriter quand il pleut. Il y a installé son morceau de carton et sa couverture pouilleuse. Des locataires sont entrés, d’autres sont sortis mais, jusqu’à présent, personne ne l’a chassé ni appelé les flics. De la chance après tant de galères, c’est suspect.

En face de la porte cochère, se dresse une grande maison à plusieurs étages qui semble vide et abandonnée. Non, elle ne l’est pas. Une vieille femme apparait parfois à l’une ou l’autre fenêtre Elle l’observe l’homme couché sous la porte cochère et lui, la regarde aussi. Doit-il lui faire signe ? Non, finalement, il n’ose pas. La vieille femme se réveille plus tard que ses voisins. La plupart des fenêtres sont éclairées quand elle allume la lumière de ce qu’il pense être la cuisine. A travers la vitre, elle l’observe quelques secondes en buvant son café. Elle semble vivre seule et ne parle jamais à personne. Aucune visite. Le soir, à la grande fenêtre au centre de la maison, il aperçoit les lumières bleutées et changeantes d’un téléviseur. Quand elle regarde la télévision, il est heureux pour elle car elle doit se sentir moins seule. La chance ne dure jamais longtemps. Il vient de trouver un endroit pour s’abriter de la pluie quand une vague de froid s’abat sur la ville. Sa couverture pouilleuse ne peut rien contre le gel. Même les poux s’enfuient à toutes jambes. Comme tous les jours, la vieille femme l’observe. Est-ce qu’elle s’aperçoit qu’il tremble une feuille et qu’il claque des dents ? Cette nuit fut terrible. Le thermomètre est descendu plus bas que jamais. Au matin, la vieille est là, derrière la fenêtre avec son café. Est-ce qu’elle se rend compte qu’il crève de froid, que ses pieds sont gelés, qu’il ne sent plus ses mains et que son corps n’en peut plus ? Il aimerait lui faire un signe à la vieille mais il n’ose pas. Ce matin, quand elle sort sa poubelle, il joue le tout pour le tout, se redresse et traverse la rue. Maintenant ou jamais ! Arrivé devant la maison, il se dirige se dirige droit vers la vieille. Elle le regarde, le jeune africain, la tête recouverte d’une couverture pourrie.

- Qu’est-ce que vous voulez ? lui demande-t-elle sèchement. Je n’ai pas le temps. Instinctivement, elle pense qu’en aboyant dès le premier contact, elle se fera respectée.

- Il fait très froid. Vous vivez seule dans votre grande maison. Je me demandais si vous n’auriez pas une petite place pour moi. Juste pour cette nuit. Il parle le plus clairement en articulant le plus lentement possible. Le français n’est pas la langue qu’il maîtrise le mieux.

- Non, désolé, je n’ai pas de place pour vous, répond la vieille sans le regarder.

- Excusez- moi d’insister mais vous vivez seule et la maison est grande…

- Vous m’espionnez en plus ! Puisque je vous dis que je n’ai pas la place.

L’homme ne répond rien mais ses yeux voyagent de fenêtre en fenêtre sur la façade de la maison comme pour signifier qu’il ne croit pas aux mensonges de la vieille.

Ils restent tous deux silencieux devant la porte de la grande maison. Il a froid, elle est mal à l’aise.

- Ce n’est pas possible, répond-elle finalement, en mettant la main sur la poignée de la porte pour rentrer chez elle.

En un millième de seconde, il revit la nuit cauchemardesque qu’il vient de passer. Encore une nuit à claquer des dents dans le froid, ce n’est pas possible. Une autre nuit à sentir le gel dévorer lentement son corps en commençant par l’extrémité des pieds Il ne veut plus et n’en peut plus. Si elle referme la porte, derrière elle, c’est terminé. Son corps meurtri réagit avant qu’il ne lui en donne l’ordre. D’un bond, il se glisse entre la femme et la porte. D’un bond, il est à l’intérieur. Stupéfait de ce qu’il vient d’oser faire, il observe l’intérieur du bâtiment. Devant lui, un immense escalier. Evidemment qu’il y a de la place dans cette maison !

- Qu’est-ce que vous faites ? hurle la femme qui le suit à l’intérieur

Ils se tourne vers elle et lui dit : « Ne craignez rien, je ne vous ferai aucun mal. Je veux juste trouver un endroit où dormir cette nuit. Dehors, il gèle.

- Mais puisque je vous dis qu’il n’y a pas de place !

- Pas de place ! L’idée le fait sourire. Une maison si grande pour une femme seule.

Il se précipite dans l’escalier suivi par la vieille femme. Il atteint le premier étage en songeant que jamais il n’a agi aussi violemment. Au premier étage, il ne trouve qu’une porte qu’il ouvre en grand. Devant lui, une chambre d’enfant décoré de papier-peint bleu avec un lit de bébé et des peluches roses et bleues. Il n’entre pas. La vieille femme essoufflée le rejoint enfin au premier étage. Dans le lit d’enfant, il découvre un bébé minuscule et fluorescent. Ce n’est même pas un bébé mais un fœtus.

- C’est la chambre que nous avions préparé pour notre premier enfant mais j’ai fait une fausse couche, déclare la femme émue, dans son dos.

- Vous ne pouvez pas dormir ici. Je vous l’interdis.

- Je comprends, Madame, répond le jeune homme en montant au deuxième étage. C’est là qu’il ouvre une autre porte. Il s’agit d’une chambre au centre de laquelle trône un grand lit. Il lui semble que deux êtres fluorescents s’y accouplent.

- C’est ma chambre, lui dit la vieille femme qui le rejoint, essoufflée. J’y dors seule depuis la mort de mon mari il y a sept ans. Un cancer.

- Vous comprendrez que je ne peux pas dormir avec vous

- Je comprends très bien, Madame. Excusez-moi.

Il ouvre une autre porte au deuxième étage : « Et ici ? »

- C’est la chambre de mon fils. Il est mort à seize ans dans un terrible accident de moto

Avant de refermer la porte, il a le temps d’apercevoir un corps fluorescent et mutilé dans un lit. Il lui semble même entendre des gémissements. Il referme en vitesse.

- Vous voyez bien que je n’ai pas de place pour vous, conclut la vieille femme.

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- Je m’en rends compte, Madame. Excusez-moi de vous avoir dérangé, dit-il en descendant l’escalier.

Le canot danse, la mer est froide. Après plusieurs essais, il parvient à se hisser à bord. Le passeur met le moteur en route et le bateau s’éloigne de la côte. Lentement. Ils en auront pour des heures, c’est sûr. Des jours et des nuits, peut-être. Le jeune africain regarde une dernière fois la côte de ce vieux continent où il n’y a pas de place pour lui. Les morts et les fantômes ont tout pris.

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