1978, d’Alger vers les Aurès et la Kabylie

Question d’optique

Par | Journaliste |
le

Les Aurès Photos © Jean Frédéric Hanssens

commentaires 0 Partager
Lecture 8 min.

Nous sommes au mois de juillet. Il fait suffocant dans le bus qui nous mène vers Bouira puis Sour El Ghoziane et enfin vers Biskra à 425 km au sud d’Alger.

Nous sommes aux portes des Aurès. Du pays de la tribu des Chaouis. Ces paysages montagneux ont été, depuis l’Antiquité, terre de révoltes menées par les Berbères rebelles et insoumis.

Durant la guerre d’Algérie, cette région comptera plus de 20.000 maquisards du FLN (Front de Libération Nationale) et son bras armé, l’ALN ( Armée de Libération Nationale). Les soldats français subiront ainsi leur plus grande défaite après l’indochine. Cette terre sera le cœur de la révolution algérienne. C’est en grande partie aux hommes et aux femmes des Aurès que l’Algérie a acquis sa liberté et son indépendance.

Le temps d’une courte nuit passée à Biskra, nous reprenons un bus de la SNTV (société nationale) pour traverser le massif proprement dit. Paysages impressionnants, routes vertigineuses au bord desquelles gisent quelques carcasses de camions qui ont versé dans les ravins. Les sommets oscillent entre 1.200 et 1.900 mètres d’altitude avant de mourir aux portes du sahara. La température en été peut atteindre les 50°C à l’ombre et descendre en hiver à -15°C. La température estivale varie de 30 à 38°C.

Nous faisons halte aux gorges de M’Chouneche et de Rhoufi traversées par l’Oued-el-Abiod avec ses villages accrochés ou suspendus aux falaises, c’est selon. La beauté de cette nature et son silence envoûtant nous transportent bien au-delà du réalisme. La vie dans les Aurès y est rude et la terre hostile.

Nous n’avons que peu de contact avec la population, même dans les transports en commun. C’est vrai, nous parlons français. D’ailleurs, à chaque occasion nous insistons sur notre nationalité. Etre belge nous rapproche et éloigne les mauvais souvenirs. Ce qui nous surprend, ce sont ces enfants et adultes aux yeux bleus et cheveux blonds que nous rencontrons au fil du voyage. Il n’y a pas d’explication rationnelle à ce phénomène pourtant reconnu. Je vous recommande la lecture du texte de "La vie des Aït Frah" d’après le volume d’André Brasset. Textes berbères de l’Aurès par Marcelle Urbain-Faublée et Jacques Faublée.

Prochaine étape, Batna, rendue tristement célèbre en 2007 lors d’un attentat suicide contre le président Bouteflika et qui a fait 15 victimes et 74 blessés. Attentat qui a été revendiqué par Al Qaïda Maghreb.

Latrines romaines


La ville n’ayant pas d’attrait particulier, nous nous rendons surtout à Timgad pour y visiter la cité romaine qui portait le nom de Thamugadi dans l’Antiquité. La ville occupe une superficie de 50 hectares. Etant donné son état de conservation, le site a été classé au patrimoine universel de l’humanité par l’UNESCO en 1982. Impressionnant !

 

Petite Kabylie

 

 

Nous quittons lentement les Aurès pour la “petite “Kabylie. Nous sommes en pleine période de ramadan depuis notre départ d’Alger. Nous ne grignotons rien dans les bus, mais ici spontanément des Kabyles nous offrent des dattes et des abricots tout en engageant la conversation. L’accueil est chaleureux et naturel.

Le lendemain, nous nous rendons à Constantine, que nous fuyons pour nous rendre à Jijel, un petit village situé sur la côte Kabyle qui baigne dans la mer méditerranée. Son climat, son grand phare, sa corniche très découpée avec les falaises qui plongent dans la mer, ses couchers de soleil et ses plages. Le changement est radical. Nous décidons de loger dans un charmant petit hôtel pour goûter pleinement ce moment magique. Nous sommes à 300km d’Alger. Dans l’après-midi, nous décidons de partir à pied et sans sac à dos pour nous enfoncer dans cette nature environnante et vierge.

Nous remontons le lit d’une rivière, entourés par des singes magots, très curieux et qui nous accompagnent tout au long de notre balade. Pris par la beauté sauvage de la nature, nous oublions le temps. La fin de journée approche à grands pas. Nous devons nous mettre à l’évidence, il n’y aura plus de bus pour rentrer à l’hôtel et le stop est hasardeux. Nous rencontrons un peu par hasard de jeunes étudiants qui avaient planté leur tente au bord de la rivière en vue de passer leur weekend. Ils nous parlent de leur Kabylie, de la pauvreté, de leur avenir incertain, de l’obligation pour eux de rejoindre la capitale pour trouver du travail. Nous parlons politique, de corruption omniprésente, de l’appel irrésistible vers “ l’eldorado“ européen. La nuit tombe, ils nous proposent de manger avec eux. Les discussions se poursuivront autour du feu très tard dans la nuit. A l’aube, nous les quittons non sans avoir un pincement au cœur.


Notre route se poursuit vers Bejaïa où nous quittons cette superbe côte pour nous enfoncer dans les montagnes de la grande Kabylie jusqu’à Tizi Ouzou. La ville se situe en plein massif du Djurdjura. La chaîne de montagne, très escarpée a abrité de nombreux maquisards durant la guerre. Cette wilaya, une des plus grandes d’Algérie, représentait également le grenier à armes du FLN et de l’ALN.

Nous nous trouvons sur une petite route de montagne, à quelques km de la ville, manifestement égarés, quand une Peugeot 404 rapiécée s’arrête à notre hauteur. Un homme d’une bonne quarantaine d’années, moustache noire, bien taillée nous offre son aide. Soulagés, nous embarquons. Son jeune fils, assis à côté de lui écoute avec la plus grande attention la conversation. Il nous parle, dans un parfait français, teinté d‘émotions, de l’époque, où jeune gamin, il a mené des opérations commandos dans la montagne. Il parle de ses compagnons qu’il a perdus dans les échauffourées, de la violence et de la cruauté des combats. Des représailles sur les familles, femmes et enfants. Des villages que les Français coupaient des maquis, pour les isoler dans les montagnes où beaucoup d’entre eux n’ont pas survécu, faute de nourriture et de soins.

De cette économie traditionnelle qui a été démantelée, poussant à la fin de la guerre les jeunes Kabyles à quitter en masse leur pays pour s’exiler en France. Il a plongé dans les recoins secrets de sa mémoire. Il a alors décidé de prendre son fils avec lui dans ce voyage douloureux pour lui conter, lui faire vivre et sentir au plus profond de son être que la paix et la liberté qu’il vit aujourd’hui sont nées d’une âpre lutte et de sang versé par beaucoup de ses frères et sœurs algériens. Il nous dépose à Bouira.

De là, nous arrivons le lendemain en début de soirée à Alger après environ 1.400km parcourus en bus locaux.
Nous nous rendons chez Messaoud, notre chauffeur de poids lourd et ami qui nous avait mené jusqu’à Tamanrasset deux ans auparavant. Un festin nous y attend. Le lendemain c’est la fin du ramadan. Il nous présente sa maman, sa femme et ses fils.

Quelle soirée inoubliable, la dernière avant de quitter ce pays et ses habitants aux multiples facettes et aux regards inquiets sur leur avenir.
Texte et photos © Jean Frédéric Hanssens

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

Cliquez sur les photos ci-dessous pour les faire défiler en grand format et lire les légendes.

 

<p><em>Dans une petite rue d'Alger</em></p><p><em>Départ pour les Aurès</em></p><p><em>Les Aurès</em></p><p><em>Dans les Aurès</em></p><p><em>Petit village dans les Aurès</em></p><p><em>Les Aurès</em></p><p><em>Dans les Aurès. Les roses des sables.</em></p><p><em>Dans les Aurès</em></p><p><em>Petite route de montagne dans les Aurès</em></p><p><em>Cultures aux pieds de falaises dans les Aurès</em></p><p><em>Dans les Aurès</em></p><p><em>Dans les Aurès</em></p><p><em>Dans les Aurès</em></p><p>Petite Kabylie</p><p><em>Kabylie</em></p><p><em>En Kabylie</em></p><p><em>En Kabylie</em></p>
commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte