U comme union professionnelle

Par Théophraste !

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Des revendications malheureusement toujours d'actualité. Dessin de Anne-Catherine Van Santen, publié dans l'agenda 2008 de l'AJP.

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Les plus de 5.500 journalistes belges sont représentés par une union professionnelle, défendant leurs droits matériels et moraux. La toute grande majorité des professionnels en sont membres, preuve de l’attachement à leurs représentants et de la solidarité qui existe encore, malgré la dégradation économique du secteur.

Comme pour la plupart des syndicats et autres instances professionnelles du pays, il a fallu, en 1998, se scinder entre néerlandophones (Vlaamse Vereniging van Journalisten) et francophones (Association des Journalistes Professionnels). Mais comment se séparer tout en restant ensemble ? Ce dilemme bien belge a été résolu par une construction un peu compliquée :  trois unions professionnelles : une francophone, une néerlandophone et une « coupole » qui fait le lien (AGJPB Association générale des journalistes de la presse belge). Histoire d’être actifs ensemble vis-à-vis du législateur, du gouvernement fédéral lorsque la défense de la profession l’impose. Le reste est fédéralisé, à commencer par le conseil de déontologie qui avait pris son essor institutionnel en Flandre, plusieurs années avant de voir le jour en Communauté française. (Voir déontologie).

Vous trouverez ici http://www.ajp.be/presentation-ajp/ la description des activités des unions professionnelles des journalistes.

En 2011, l’AGJPB a célébré les 125 ans d’histoire des associations de journalistes belges. L’occasion de publier un historique résumé ci-dessous et qui montre à quel point le journalisme fait partie de l’histoire de la Belgique.

Dix ans plus tard, la profession est plus que jamais représentée par ses unions professionnelles, mais elle vit difficilement le tournant numérique, l’évolution des disponibilités du public à s’informer, la précarisation croissante des journalistes surtout indépendants, la méfiance des nouveaux publics, la concurrence des réseaux sociaux, les manipulations et propagandes de plus en plus raffinées.

D’autre part, de nouvelles formes d’expression des journalistes se créent. Elles sont soutenues par le Fonds pour le Journalisme qui, depuis 2009, soutient les travaux d’investigation journalistique, les grands reportages, les enquêtes documentées qui, sans l’aide financière du Fonds, seraient difficilement réalisables dans le contexte économique actuel de la presse.

Nous en avons déjà parlé ici :  https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/un-journalisme-collaboratif-constructif%E2%80%A6

Le professionnalisme des journalistes reste donc une valeur sûre, jalousement cultivée par les associations professionnelles dont le but est, depuis 135 ans maintenant, d’assurer la crédibilité du secteur.

Brève histoire du journalisme belge

1886 : L’histoire de l’union professionnelle commence le premier novembre 1886, lorsque fut créée l’Association de la presse belge (APB) qui comprenait des journalistes et des éditeurs de journaux. Son but : « 1er. De discuter  en commun et de défendre les droits et les intérêts généraux de la presse périodique, de protéger sa dignité dans les rapports entre les associés, avec les autorités et avec le public ; 2° d’organiser une caisse de secours et de pensions ; 3° de généraliser l’usage d’une carte d’identité permettant à tous les journalistes belges associés de se faire reconnaître et d’exercer sans entraves leurs fonctions dans le pays et même à l’étranger ; 4° de préparer la réforme de la législation actuelle en matière de délits de presse.»

L’Association créa une Caisse de Secours, remplacée en 1890 par la Société Mutualiste des membres de l’Association de la Presse Belge et qui fut à l’origine de nombreuses œuvres d’entraide.

Des sections provinciales sont créées : Anvers en 1886, Flandres en 1887, Bruxelles en 1888, Hainaut-Namur en 1895, Liège-Luxembourg en 1899.

1894 : L’APB organise à Anvers le premier congrès international de la presse, ce qui donna naissance en 1926 à la Fédération internationale des Journalistes (FIJ) basée à Paris.

1898 : Conflits politiques entre socialistes et catholiques pour la présidence de l’association.

1905 : Reconnaissance officielle de l’APB par le ministre de l’Intérieur à l’occasion des fêtes du 75e anniversaire de l’indépendance nationale. La même année se tient en Belgique le Xe Congrès international des Associations de Presse.

1911 : 25e anniversaire. L’APB compte plus de 300 adhérents.

1912 : La présidence (2 ans) est exercée alternativement par un « parti de droite et de gauche ».

1914 : Le 12 janvier est fondée l’Union professionnelle de la presse belge (UPPB), émanation de l’APB, dans le but de fonder une Maison de la Presse. Il n’existait pas encore de loi sur les ASBL et la nouvelle structure avait tous les pouvoirs juridiques pour gérer une maison de la presse (contrats de bail, etc.) et d’introduire des actions en justice, etc.

1914-1918 : Une partie des journalistes belges se réfugie en France, en Hollande ou en Angleterre, suivant l’exemple du gouvernement en exil. Les autres restent en Belgique mais refusent d’exercer leur profession sous le contrôle de la censure allemande. Pour les aider, la Société Mutualiste qui existait depuis 1904 et comportait une section retraites et assurances-vie, ainsi que l’APB créent un comité distribuant des fonds d’entraide. Ils sont financés d’abord par les journalistes anglais et l’Association des journalistes hollandais puis par le Roi Albert jusqu’à l’armistice. Après la guerre, le Roi Albert envoya un message à l’Association de la Presse : « Pendant la guerre les journalistes belges, par l’action quand ils le pouvaient, par l’abstention et le sacrifice quand ils le devaient, ont bien servi la Patrie et porté très haut l’honneur de leur profession. »

Après la guerre, on note le développement de la presse provinciale malgré la concurrence de la presse de la capitale. Et surtout, la montée en puissance de la presse en néerlandais, signe de l’intérêt de la population flamande pour des journaux publiés dans sa langue maternelle. Celle-ci dépasse même le tirage de nombreux journaux en langue française.

1920: Création de la revue de l’association « Le Journaliste », de « L’Institut des Journalistes », de l’« Assurance de la Presse Quotidienne », de l’ « Avenir du Journaliste ».  L’Association se dote d’un conseil de discipline et de conciliation et publie de nouveaux statuts au nom de « Association générale de la Presse belge » (AGPB).

En 1920, est créé l’Agence Télégraphique Belge « Belga », qui reprend le bureau commun de Reuter et Havas à Bruxelles. La presse belge n’y participait pas, c’était une initiative du monde industriel et financier soutenu par la Roi Albert 1er. Ce n’est qu’après la deuxième guerre mondiale que les journaux quotidiens en rachetèrent progressivement les parts.

1922 : Inauguration de l’Institut pour Journalistes de Belgique (bilingue) sur décision du 8ème congrès de la Presse belge.

1929 – 1931 : L’Association se dote d’un Conseil de discipline et de conciliation et publie de nouveaux statuts au nom de « Association générale de la presse belge ». L’AGPB institue trois organismes sociaux : la société mutualiste « L’Assurance de la presse quotidienne » ; l’ASBL « Aide au journaliste » ; la société coopérative « L’Avenir du journaliste ».

1937 : Premier « modèle de contrat individuel pour journalistes professionnels » où l’on précise les conditions matérielles de l’exercice du métier de journaliste : congés, préavis, maladie, décès… Pour négocier et conclure cela, AGPB et UPPB sont jumelées. Au sein de l’UPPB, les directeurs de journaux deviennent membres honoraires.

Le CERE (Centre d’études pour la réforme de l’Etat) présente aussi un projet d’Ordre des journalistes pour établir un statut légal au journaliste et la protection de son droit au secret des sources. L’AGPB examine une modification de ses statuts qui précise que « Pour faire partie de l’Association générale de la presse belge, en qualité de membre effectif, il faut collaborer depuis deux ans au moins et avec rémunération, à la presse quotidienne belge, à l’exclusion des journaux de spécialités, et faire de cette collaboration son occupation principale, toute activité publicitaire ou similaire étant interdite, sauf celle que l’on exerce éventuellement en qualité de directeur de journal. »

10 mai 1940 : la Belgique est envahie par l’armée allemande et l’AGPB met fin à ses activités officielles pendant 5 ans. Certains dirigeants et membres poursuivent une activité clandestine en France et à Londres. Toute activité journalistique collaboratrice est sévèrement condamnée par les membres. Plus des trois quarts des journalistes professionnels ont pu survivre grâce aux organismes d’entraide, aux administrations locales et aux entreprises privées. Beaucoup de journalistes s’engagent dans la presse clandestine et dans la Résistance.

1945 : C’est l’épuration dans les rangs des journalistes. 126 membres sont radiés, 13 donnent leur démission, d’autres ont été suspendus ou blâmés. Le gouvernement, voulant remercier les journalistes résistants, reprend les travaux sur un statut des journalistes et d’un Ordre mais le 1er juillet 1945, l’assemblée générale de l’AGPB refuse l’idée d’un Ordre, craignant un possible dirigisme étatique. Politiques et associations s’orientent alors vers la protection d’un titre professionnel mais ces réflexions sont interrompues par la crise du Congo belge.

1948 : Constitution d’une « Commission permanente de déontologie professionnelle ».

1952 : Deuxième création de la FIJ, Fédération Internationale des Journalistes (qui avait été dissoute pendant la deuxième guerre mondiale), lors d’un congrès international organisé par l’UPPB.

1955 : Première convention collective des journalistes signée par la Fédération des journaux belges et l’UPPB. L’AGPB compte plus de 600 membres dont 27 femmes.

1963 : La loi du 30 décembre relative à la protection du titre de journaliste professionnel voit enfin le jour, permettant de concilier l’exigence constitutionnelle de liberté de la presse permettant à toute personne d’écrire dans un journal et l’ « avantage moral » donné aux professionnels par l’octroi d’un titre. Celui-ci reprend un certain nombre d’éléments du projet précédent en y incluant les médias nouveaux que sont la radio et la télévision et les agences de presse d’information générale. On sépare clairement la rédaction des activités commerciales. Et pour vérifier tout cela, on instaure les commissions d’agréation et d’appel, réunissant journalistes et éditeurs sans ingérence du pouvoir politique.

1965 : Deux arrêtés royaux complètent la loi de 1963 dont un qui organise la profession de journaliste spécialisé (presse périodique).

1971 : Déclaration des droits et devoirs des journalistes (Charte de Munich) adoptée par les syndicats de journalistes de 6 pays membres de la CEE. Adoptée par la FIJ en 1972.

Le 27 juillet paraît l’AR sur la pension spéciale des journalistes professionnels salariés.

1975 : Le 14 juin, un Conseil national de Presse est créé pour établir une cohérence dans la déontologie et représenter le secteur (éditeurs et journalistes) comme interlocuteur des gouvernements.

 Le 15 juillet est signée la Convention Collective de Travail pour les journalistes des hebdomadaires.

L’UPPB crée une section des journalistes indépendants.

1976 : création de l’API (Association de la presse internationale), fusion de l’Union de la Presse étrangère et de l’Organisation des Journalistes Européens.

 1978 : Fusion entre l’UPPB et l’AGPB créant l’AGJPB (Association générale des journalistes professionnels de Belgique).  Les éditeurs et directeurs de journaux quittent ces associations, les intérêts des employeurs et des salariés étant devenus divergents. On quitte l’ancien état d’esprit du « patron de presse » pour entrer dans la logique économique générale.

Commencent aussi les discussions sur la proposition de loi Van Elewijck sur l’aide publique à la presse.

Le gouvernement Tindemans accorde une subvention à l’AGJPB pour l’aider à faire face à ses charges locatives dans le bâtiment de l’International Press Center à Bruxelles.

1982 : Code des principes de journalisme, adopté par l’Association Belge des Editeurs de Journaux (ABEJ), la Fédération Nationale des Hebdomadaires d’Information (Febelmag) et l’AGJPB.

1989 : Création d’un Conseil de déontologie au sein de l’AGJPB.

1994 : En mars est adoptée une nouvelle loi sur les droits d’auteur, introduite par le sénateur Lallemand. Les auteurs-journalistes et les éditeurs sont mis sur un pied d’égalité.

1995 : Grand débat au Sénat entre journalistes, éditeurs, parlementaires, magistrats et ministre sur les relations conflictuelles entre la presse et la Justice. Création d’un Conseil et d’un collège de déontologie, internes à l’AGJPB.

La Société des auteurs journalistes (SAJ) est créée par l’AGJPB et l’AJPP (l’Association des Journalistes de la Presse Périodique). Les auteurs exerçant une activité journalistique peuvent en devenir membres en acquérant une part sociale. La SAJ se charge de la gestion tant individuelle que collective des droits d'auteur des journalistes concernés. Elle défend aujourd'hui les droits d'auteurs de plus de la moitié des journalistes belges en activité

1998 : La crise de la presse est forte et les éditeurs de journaux rompent la convention collective. La même année, la fédéralisation du secteur a lieu car, dans le cadre des réformes institutionnelles du pays, les budgets sont communautarisés. Sont créées, lors d’une assemblée générale, trois unions professionnelles : l’AJP (Association des Journalistes professionnels) pour les francophones et germanophones, la VVJ (Vereniging van Vlaamse Beroepsjournalisten) pour les néerlandophones et l’AGJPB qui conserve un pouvoir d’action dans les matières fédérales. Celle-ci est présidée alternativement par les présidents des deux ailes fédérées.

2003 : le 15 juillet, la Cour européenne des Droits de l’Homme condamne la Belgique au terme d’un long procès intenté par quatre journalistes professionnels et soutenu par l’AGJPB. En perquisitionnant dans cinq rédactions et au domicile des journalistes, l’Etat belge a méconnu le droit des journalistes à protéger leurs sources.

2005 : Le 17 avril, le Parlement fédéral approuve la nouvelle loi sur la protection des sources journalistiques.

2009 : Les assemblées générales de la VVJ et de l’AJP votent le principe d’une fusion à négocier avec l’Association de la Presse périodique.

L’AGJPB sort du capital social de la SAJ.

2010 : l’AGJPB, l’AJP, la VVJ, la SAJ achètent en copropriété un bâtiment industriel à rénover rue de la Senne, à Bruxelles-ville.

Sources :  «Annuaire officiel de la presse belge », édité par l’Association Générale de la Presse Belge et l’Union Professionnelle de la Presse Belge, 1933.

« Evolution historique des associations professionnelles de journalistes en Belgique », mémoire de fin d’études d’Alexandre Massart (UCL).

« Korte geschiedenis van de AVBB en de journalistiek in België », par Marleen Sluydts et Anke Janssens, VVJ.

« Lionel Bertelson, journaliste » par Stéphane Brabant, 2000, Organisation Mondiale de la Presse Périodique.

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Revue « Journalistes » de l’AGJPB et de l’ AJP.

 

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