IA : le journaliste « parfait »

Par Théophraste !

Par | Journaliste |
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L'usage de l'IA risque d'accentuer les stéréotypes encore trop nombreux dans notre presse. Voir l'étude de l'AJP sur la diversité et l'égalité. Dessin de couverture: Chloé Streveler.

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Avec l’aide de ces algorithmes super puissants et tellement gorgés d’informations qu’ils piquent dans les banques de données du monde entier, voilà le journaliste devenu (presque) parfait. Il peut travailler vite, de plus en plus vite, et sans fautes ni d’orthographe ni de fond. Les synthèses de longs débats se font en un clin d’œil. Les analyses de programmes électoraux en quelques secondes. Les rapports indigestes sont comprimés en quelques lignes. La documentation de base pour rédiger un article sur un sujet dont le journaliste ne connaît rien est rassemblée en quelques clics…

L’IA (intelligence artificielle qui n’est pas intelligente mais une suite de calculs ultra rapides) fait entrer le journalisme dans une nouvelle ère. Mais l’avenir de la profession est-il rose pour autant ?

Déjà, de grands journaux ont viré une grande partie de leur rédaction puisque les algorithmes remplacent si avantageusement les journalistes pour des tâches effectivement simples, répétitives et sans enjeux de contenus sensibles. Quoique… Il y a une différence fondamentale entre le traitement de résultats sportifs et le compte-rendu d’une assemblée parlementaire. Dans le premier cas, on perd peut-être en style et l’on se trouve face à un déroulé de noms et de chiffres sans âme. Dans l’autre, c’est plus grave : on risque de perdre le débat politique, la question sensible, la nuance d’option politique fondamentale pour les citoyens.

Pire encore : personne ne sait où l’IA va chercher ses informations, personne ne peut en contrôler les sources, de plus, l’IA ne veut jamais avouer son ignorance et donc, elle « hallucine » volontiers, à savoir elle invente des données, à notre insu. Comment le journaliste moyen, stressé et sans l’aide d’une rédaction peut-il détecter cela ?

Entendons-nous bien : le traitement numérique des données représente une aide extrêmement importante pour tout travailleur dans de nombreux secteurs y compris ceux qui sont vitaux pour nos sociétés. Il n’est donc pas question de nous priver de cet apport et d’ailleurs personne n’y songe ; Simplement, il ne faut pas que la machine remplace l’humain car elle coûte moins cher, et certainement pas qu’elle empêche la pensée et singulièrement la pensée critique qui est le propre de l’homme. Une dimension essentielle du métier de journaliste, notamment.

Donc, le conseil de direction de notre association professionnelle des journalistes belges a lancé dans la bagarre informationnelle une série de recommandations destinées aux journalistes, aux responsables de rédaction, ce que nous répercutons volontiers auprès de notre public tellement attentif à la qualité de l’information. (1)

Nous avons donc, d’un côté des journalistes humains tenus à une déontologie dont les grands principes sont unanimement acceptés dans la profession. De l’autre, une intelligence artificielle générative qui nous crée des textes, des visuels, des vidéos et de l’audio plus vrais que nature.

Récemment, plusieurs organisations de journalistes ont rédigé la Charte de Paris sur l’IA et le journalisme. (2) Les discussions dans les rédactions et les instances professionnelles vont bon train mais voici les principes de base à ne pas oublier dans cette folle avancée technologique :

- Il faut que le contenu généré par l'IA soit identifié comme tel pour le lecteur. Donc, je puis vous certifier que le texte que vous lisez n’a jamais bénéficié d’un apport d’IA ! Mais si c’était le cas, cela devrait être validé par ma rédaction ou une société de rédacteurs et cela doit être transparent pour le public.

- Les journalistes sont dans tous les cas, responsables du contenu qu’ils délivrent à leurs lecteurs et doivent donc vérifier que les informations qu’ils diffusent correspondent bien aux normes définies par leur conseil de déontologie. Pas question donc de se défiler au prétexte que ce n’est pas moi c’est l’IA qui a dit telle ou telle chose. D’où l’importance pour les rédactions d’une formation approfondie à ce nouvel outil.

- Ce qui sera difficile et nécessitera une vigilance de tous, c’est qu’aucune donnée confidentielle ni aucune information protégée par le secret des sources ne peuvent être transmises à une IA. Et pour cause : elle avalera cela avec les milliards d’autres données qui sont régurgitées sans la moindre précaution partout dans le monde. Les dommages peuvent être immenses pour certaines personnes ainsi clouées au pilori universel.

- Selon l’AJP, il faut bien peser l’avantage ou non du recours à l’IA : est-ce qu’elle permet vraiment une meilleure fiabilité, véracité et qualité de l‘information ? Il est vrai que cette info générée par l’IA est le fruit d’algorithmes qui ne sont pas neutres (car créés par des humains et gorgés de données parfois biaisées). Leur but n’est pas la recherche de la vérité mais de faire un résumé de contenus divers. D’où la généralisation de stéréotypes et de propos contraires aux législations anti-discriminations. Pour aider les journalistes (et les lecteurs que cela intéresse), l’AJP et le Conseil de déontologie ont publié des recommandations spécifiques sur des sujets sensibles comme les personnes étrangère ou d’origine étrangères, les diversités LGBTQIA+, notamment.

- L’AJP se montre très ferme en proscrivant l’utilisation de l’IA qui altère des photos, vidéos, des sons en modifiant le sens initial de l’information. De même, l’utilisation d’images (photographies, dessins de presse, images animées) générées par l’IA est aussi à proscrire, à moins que celles-ci ne fassent partie d’un article d’actualité et à condition de préciser très clairement qu’il s’agit d’une production par une IA.

Les débats se poursuivent dans les rédactions des organes de presse mais aussi dans les administrations de certains ministères car il nous faut encore garantir l’emploi des journalistes et la protection de leurs droits d’auteur, puisque l’IA « vole » tout ce qui est publié sans mentionner la source.

Le chantier est terriblement vaste et nécessite aussi un nouveau dialogue avec le public des médias d’information. C’est une question de confiance et de crédibilité.

(1) https://www.ajp.be/

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(2)https://rsf.org/fr/rsf-et-16-organisations-partenaires-pr%C3%A9sentent-la-charte-de-paris-sur-l-ia-et-le-journalisme

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