Terrains vagues et vélos, même braquet

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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En 2020, les vélos sont en vogue. Celui-ci, un Peugeot Galibier du début des années 80 n'a rien perdu de la fougue de sa jeunesse. Surtout avec un bidon de la même époque retrouvé dans un magasin de cycles où la bécane est un art de vivre.Ph.ML.

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 Serait-ce la douceur du vent du soir qui fait du pays de la drache une succursale du Sud? Ou la valse des vélos, dans les villes comme aux champs? Ou le temps suspendu par le coronavirus qui aura permis de voir la vie quotidienne sous un angle moins pressé? A vrai dire je n'en sais rien et au fait, peu importe. Tout est peut-être parti d'un bidon. Un de ces objets qui font partie de notre vie mais dont on ne réalise pas le rôle majeur, c'est écrit! Eh oui, il y a de ces jours où l'on pense tout haut sans rougir. Ce bidon-là dormait dans les rayons d'une boutique de cycles de la Botte du Hainaut. Celle de François Roossens. Ancien coureur cycliste recyclé en mécano de vélo de haut niveau, François officie dans son atelier de Beaumont Cycles. Son ami Maurice, dont il a pris le relais, -le fondateur de la maison - passe régulièrement pour partager les dernières nouvelles. Il ne le dit pas mais il a l'air content de voir que le décor n'a pas changé. En ces temps incertains, s'accrocher à des valeurs sûres, ça compte.

Quelque part dans un tiroir, François a retrouvé une liste avec des numéros de cadres signés Eddy Merckx. Les passionnés du Cannibale achetaient un vélo de course portant la griffe d'Eddy comme un  amateur d'art contemplerait une sculpture de Giacometti. Chaque machine sortant de l'atelier de Meise portait  le sceau de la gloire des victoires du Tour de France, du Giro, de la Vuelta, de Liège-Bastogne-Liège et de Paris-Roubaix réunis. On dit que le propriétaire d'une de ces bécanes intemporelles a accroché la machine à un mur de sa maison pour que le rêve soit accessible en permanence. Tout ça pour dire la puissance poétique de la bécane. Elle transcende les âges, passe de génération en génération. A écouter les amateurs se croisant dans l'atelier de François, le vélo est une philosophie de la vie qui s'apprécie en solo comme en peloton. 

A la radio, ils ont dit que les ventes de vélos ont triplé depuis le début de l'épidémie. Les acheteurs ont raflé tout ce qui était en vente, dans les grandes surfaces comme dans les boutiques des artisans. Les routes désertées par les autos laissant la bride sur le cou des cyclistes, des automobilistes ont revisité la mythologie de la Mécanique Parfaite. Avec des débats du plus haut niveau. Méfiez-vous si on vous demande, mine de rien, ce que pensez du vélo à assistance électrique? Des puristes accusent ces engins à batterie d'être des avatars de la mobylette. D'autres se disent que c'est un pas en avant vers la liberté pour le cycliste quotidien. Bien entendu, on se gardera de trancher, à chacun sa vérité. Une remarquable revue cycliste française, "Le 200", a publié un grand papier sur cette question existentielle.

De là à en revenir au bidon qui dormait dans les rayons de chez Beaumont Cycles, il n'y a qu'un tour de roue de 28. La banalité n'existe pas. Les bidons font partie de la vie du cycliste. Il faut boire régulièrement pour effacer les côtes. A la hâte, mais en roulant doucement quand même. Ou en s'arrêtant pour regarder la plaine ou les collines, se désaltérer et souffler. L'autre jour, un gars que je connais a exhumé un morceau de chocolat noir du fond de sa veste. Croquant dedans, bouleversé, il s'est dit que c'était, en ce moment précis, meilleur que des frites à la banzaï. Impossible? Ben si. Tout arrive, à vélo. Bref, le bidon d'un autre âge, bleu métallisé, capable de conserver - grâce à sa double enveloppe -, le chaud comme le froid, café ou eau, rescapé d'un design oublié, a refait surface pendant l'épidémie. Et avec quelle classe, grâce à sa forme de fusée, à la tonicité de son alu, à sa capacité de rafraîchir le voyageur. Et, surtout, au fait que sa valeur n'était depuis longtemps plus commerciale mais sentimentale. 

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D'un geste, car il fut donné, ce bidon s'est mué en symbole d'une liberté accessible car imprégnée de solidarité, dans un monde respectueux des gens comme de l'environnement, sauvé de la désespérance par l'intelligence d'humains créatifs capables d'inventer des vélos, des bidons, des jardins partagés, de ressusciter des légumes oubliés et, tant qu'on y est, de faire reculer les limites de l'infini. Un bidon peut faire rêver. Tiens, comme cet autre cadeau. Une petite boîte de la taille d'une boîte d'allumettes, ornée d'une lune et d'étoiles découpées dans une feuille de métal doré, incrustées dans un bois parfumé. La petite boîte est vide. Elle n'a pas besoin d'enfermer quoi que ce soit. Il suffit de l'ouvrir pour imaginer ce qu'elle pourrait contenir. Un air oublié, un fragment de lettre, ou de carte géographique, ou un ticket de métro, peut-être une photo. La force de la boîte vide comme du bidon, ce serait peut-être de nous permettre de nous arrêter, pour faire le plein du moment présent. Et on en revient à la douceur du vent qui porte vers le Sud l'être qui ressent l'immensité du ciel, vu de sa minuscule prairie. Heureusement, elle n'est pas ceinturée de barrières. Vive les terrains vagues!

 

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