Quand sombre l’Europe

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Par | Journaliste |
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8 décembre 1987 : le secrétaire général du Comité central du parti communiste de l’Union soviétique, Mikhaïl Gorbatchev et le président US Ronald Reagan signent le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Photo © White House Photographic Office. Domaine public.

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L’Europe ressemble à un grand paquebot de luxe, transportant, pas sur les mêmes ponts, les plus riches, les moyens revenus et les plus pauvres, issus de cultures variées et pourtant toutes européennes (y compris russe !). Comment l'empêcher de sombrer?

Cette année, nous célébrerons le 9 mai, « Journée de l’Europe », en même temps que Vladimir Poutine commémorera le « Jour de la Victoire », fin de la « Grande Guerre Patriotique » à savoir la seconde guerre mondiale (1940-1945). Il faut en effet rappeler que cette guerre immensément meurtrière (plus de 60 millions de morts en majorité des civils dont 27 millions de Russes, soldats et civils) lancée par le régime nazi en Allemagne fut gagnée grâce aux contributions essentielles de l’armée soviétique et de l’armée américaine.

La mémoire est vive et douloureuse en Russie.  Le Generalplan Ost allemand considérait les peuples soviétiques comme « sous-humains ». De plus, lors de l’occupation allemande, le Hungerplan organisait  la confiscation des stocks de nourriture, ce qui a provoqué des famines meurtrières. Les Nazis ont aussi exercé des représailles brutales contre des civils suspectés d’être des partisans. « Les combats intensifs détruisent des terres agricoles, des infrastructures et des villes entières, laissant une grande partie de la population sans abri et sans nourriture. », lit-on sur Wikipedia. Pendant la guerre, des civils soviétiques comme tant d’autres en Europe occupée ont été déportés en Allemagne comme travailleurs forcés dans des conditions inhumaines.

La Russie d’aujourd’hui a été écartée de l’Europe qui, poussée par les Etats-Unis, a refusé toute notion de « maison européenne commune » prônée par le président Gorbatchev en juillet 1989. Il faut relire son appel, porteur d’une vision pacifique des relations Europe-Union Soviétique : « Depuis des siècles l'Europe apporte sa contribution irremplaçable à la politique, à l'économie, à la culture mondiales, au développement de la civilisation toute entière. Son rôle dans l'histoire mondiale est universellement reconnu et apprécié. Pourtant n'oublions pas que les métastases de l'esclavage colonial se sont propagées dans le monde à partir de l'Europe. C'est ici qu'est né le fascisme. C'est ici que les guerres les plus destructives ont commencé.
Alors, l'Europe qui a toutes les raisons d'être fière de ses réalisations est encore très loin de s'acquitter de sa dette face à l'humanité. Ceci reste toujours à faire. Elle devra le faire en cherchant à transformer les relations internationales dans l'esprit d'humanisme, d'égalité, de justice, en donnant l'exemple de la démocratie et des réussites sociales dans ses propres pays. Le processus d'Helsinki a déjà entamé cette grande œuvre de portée globale. » (…)  « Notre idée de la maison européenne commune est, elle aussi, mise au service de cette cause. »

La suite de l’histoire est connue : tout a été fait pour écarter l’Europe de la Russie. Un monde de confrontation bipolaire a été instauré et les conflits de basse intensité se sont multipliés pendant qu’émergeaient d’autres puissances et principalement la Chine.  

Le conflit ukrainien s’inscrit dans la continuité d’une nouvelle guerre froide. L’Europe n’a rien fait pour empêcher les massacres perpétrés par des forces armées d’extrême droite ukrainienne dans le Donbass contre des populations et des combattantsukrainiens russophones qui voulaient créer des républiques autonomes.  Selon l’ONU, ces combats ont causé environ 13.000 morts entre 2014 et 2020 (3.350 civils, 4.100 membres des forces ukrainiennes et 5.650 membres de groupes armés russophones) et le déplacement de près de 1,5 million de personnes.

Les Européens alliés aux Etats-Unis d’Amérique ont favorisé la montée du populisme d’extrême-droite ukrainien, alors même que le gouvernement de ce pays était non seulement corrompu mais aussi lancé dans une logique guerrière anti russe appuyée par les USA, tandis que les séparatistes russophones étaient soutenus par la Russie. Les bases militaires de l’OTAN sont disséminées tout au long des frontières occidentales de la Russie. La logique guerrière prime sur celle de la diplomatie. L’Europe a raté son rendez-vous avec la paix.

La Conférence sur l’avenir de l’Europe

Ce 9 mai sera donc pour nous la « Journée de l’Europe », commémorant le discours prononcé le 9 mai 1950 par le ministre français des Affaires étrangères, Robert Schuman, qui a conduit l’année suivante à la création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier devenue ensuite l’Union européenne.

Ce jour-là on connaîtra le résultat d’une vaste consultation des citoyens européens qui avaient été invités à donner leur avis sur l’avenir de l‘Europe. En effet, lors de la session finale des 29 et 30 avril, l'assemblée plénière de la Conférence sur l'avenir de l'Europe a adopté 49 propositions comportant plus de 300 mesures de changement. Selon le co-président de cette conférence, le belge Guy Verhofstadt :

"Il est temps de revenir au rêve [des pères fondateurs], à leur objectif initial de créer une véritable unité européenne, une véritable intégration européenne. Un renouveau des idées des pères fondateurs est nécessaire pour la survie de notre beau continent."

Dans un précédent discours en plénière, M. Verhofstadt avait décrit les périls à venir et la nécessité pour l'UE de changer : "Le monde de demain est un monde d'empires. C'est un monde de danger. Et dans ce monde, nous devons nous défendre, nous organiser [...] et donc nous devons réformer l'UE. Non pas parce que nous aimons les réformes ou parce que c'est amusant de le faire, mais parce que c'est nécessaire pour notre survie, car sinon l'Europe disparaîtra."

La paix, condition nécessaire et indispensable à notre avenir commun, n’est pas au rendez-vous de cette Conférence, alors qu’il s’agit d’une demande de la plupart des citoyens européens. Or de nouvelles propositions existent comme celle avancée par Enrico Letta, secrétaire du Parti démocrate italien : créer une nouvelle coupole politique entre les Vingt-Sept et tous les pays candidats à l’Union Européenne, y compris l’Ukraine. L’idée forte est que l’Europe reprenne le leadership car, « au sein de nos opinions publiques, monte l’idée que cette situation de guerre est gérée par les Américains et que nous, les Européens, sommes à la traîne. » Il ajoute : « Avec l’entrée de l’Ukraine dans cette Confédération, on pourrait mettre de côté pour un temps la question de l’adhésion à l’OTAN, une des questions les plus sensibles dans la relation avec la Russie. »

 Jusqu’à présent, les représentants de l’Union Européenne ont sans cesse appuyé une logique de guerre, de transferts d’armes, de nucléarisation des armes, de soutien à des pays liberticides ou guerriers comme Israël, l’Arabie Saoudite, le Maroc, les Etats-Unis... Ils ont continué à mener une politique néocoloniale dans les pays africains principalement, afin de pomper les ressources et matières premières nécessaires à notre croissance destructrice de l’environnement au détriment du développement économique et social de ces pays. Pas étonnant que des populations, victimes de ces politiques et qui constatent que les migrants poussés par les guerres et par la faim se trouvent confrontés à gardes armés à nos frontières ou à la mort en mer, nous haïssent tant. Relisez « La haine de l’Occident », de Jean Ziegler. Et l’on comprend mieux le soutien que nombre de ces pays donne à la Russie…

Le naufrage européen n’est pas semblable à celui du Titanic ; il est plus lent, plus long, plus diffus. C’est bien ce que nous raconte Ilja Leonard Pfeijffer dans son « Grand-Hôtel Europa ». Sous forme d’une histoire d’amour entre une Italienne et un Hollandais, tous deux très cultivés, à la recherche d’un tableau perdu, dans le décor de Venise sombrant lentement dans les flots, l’auteur dresse un portrait sarcastique de notre Europe, devenu un gigantesque parc d’attraction touristique. Alors que "le seul espoir d’avenir de l’Europe réside dans une intégration, une fédéralisation et une unité poussées, et que l’arrivée d’immigrants jeunes, robustes et résistants est un cadeau pour ce vieux continent chenu, bien plus qu’une menace. »

Dans son discours, Gorbatchev citait Victor Hugo (1802-1885):
« Un jour viendra où vous France, vous Russie, vous Italie, vous Angleterre, vous Allemagne, vous toutes nations du continent, sans perdre vos qualités distinctes et votre glorieuse individualité, vous vous fondrez étroitement dans une unité supérieure, et vous constituerez la fraternité européenne... Un jour viendra où il n'y aura plus d'autres champs de bataille que les marchés s'ouvrant au commerce et les esprits s'ouvrant aux idées ».

Ce rêve datant du XIXème siècle ne peut-il être toujours d’actualité ?

Sur l’histoire des guerres :

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pertes_humaines_de_l%27Union_sovi%C3%A9tique_pendant_la_Seconde_Guerre_mondiale

https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire?iddictionnaire=1644

https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Donbass

https://www.publicsenat.fr/article/politique/russie-qu-attendre-des-commemorations-du-9-mai-205266

Sur la Conférence pour l’avenir de l’Europe :

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220502IPR28409/journee-de-l-europe-2022-le-parlement-europeen-ouvre-ses-portes-aux-citoyens

https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/priorities/conference-on-the-future-of-europe/20220428STO28117/la-conference-adopte-des-propositions-de-changement

Sur la proposition d’Enrico Letta : « Créer une Confédération européenne de 36 pays, tout de suite ! ». Le Soir, 6 mai 2022.

  •  « Grand-Hôtel Europa », Ilja Leonard Pfeijffer, éd. Les Presses de la Cité, 2022.

Mise en perspective : le blog de Nina Bachkatov et son livre sur Vladimir Poutine: http://www.russia-eurasia.eu/?p=393&page=2

https://www.entreleslignes.be/humeurs/l-tu-lululu/poutine-la-russie-avant-tout

Une conférence sur la paix le 19 mai à Bruxelles

La guerre en Ukraine continue. Les principaux acteurs semblent opter pour une longue stratégie militaire laissant peu de place à la diplomatie. Un groupe de travail de la plate-forme "Europe pour la paix et la solidarité" a donc préparé le programme d'une soirée au cours de laquelle nous voulons rechercher des alternatives à la guerre, à l'armement et à la militarisation.

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Nous vous invitons à participer à la conférence de paix 'Comment sortir de la guerre et de la militarisation?, qui aura lieu le 19 mai (19h-21h) au bâtiment CSC/ACV, Rue Pletinckx 19, 1000 Bruxelles. Une traduction sera fournie.

Le programme complet peut être consulté sur facebook

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