Pieter Aspe et les obscurs secrets belges

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Pieter Aspe, en pleine séance de dédicace lors de l’Antwerp Book Fair, le 10 Novembre 2008. Photo Wikimédia Commons.

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Ainsi Pieter Aspe est mort. Pierre Asperslag, de son vrai nom de Brugeois pur jus, était un touche-à-tout navigant de petits boulots à petits métiers jusqu’à devenir concierge - et ce pendant 12 ans - de la basilique du Saint-Sang à Bruges ! Un métier calme qui lui permit de mouliner une quarantaine de romans policiers, un à deux par an, dopé par la célèbre bière que boit régulièrement son héros, le commissaire Van In. Il a quitté la scène romancière ce 1er mai à l’âge de 68 ans. Trop tôt, hélas, car l’actualité aurait pu lui fournir quantité de thèmes d’enquêtes dans les tréfonds de nos arcanes politico-financières très secrètes. C’était cela le talent de cet auteur assez rabelaisien. Il dénichait de belles affaires dans le fouillis de nos vrais faits-divers et drames politico-affairistes, revisitant notre histoire contemporaine, nos secrets inavouables, nos intrigues malsaines, nos corruptions multiples et folkloriques. Tout au long des enquêtes de son commissaire habité par la dive bouteille qui n’obscurcit pas un esprit critique et une lucidité percutante, très amoureux de sa substitute préférée Hannelore, l’auteur se montre terriblement humain mais aussi très dérangeant.

Pieter Aspe, cet auteur popularisé par une série télévisée, mérite d’être mieux connu du côté francophone car ce qu’il raconte est le fruit d’une liberté d’expression bien supérieure à ce que peuvent relater les journalistes d’investigation, tenus aux faits et aux preuves.

Hommage au journalisme dérangeant

Profitons-en pour rendre hommage à un de ces journalistes d’exception : Walter De Bock qui, dans De Morgen, Article 31, CelsiuS, dévoilait la face sombre de notre vie politique belge gangrénée par l’extrême-droite et la corruption. Assassinat d’André Cool, affaire toujours non élucidée des Tueurs du Brabant, qui déstabilise l’Etat belge et pourquoi ? Dans le sillage de Walter De Bock, Hugo Gijsels, René Haquin, Philippe Brewaeys et d’autres ont poursuivi ce travail de révélation, grignotant petit à petit les grands et inavouables secrets d’Etat.

En 1983, Walter de Bock avait publié un livre essentiel : « Les plus belles années d’une génération », « L’Ordre nouveau en Belgique avant, pendant et après la seconde guerre mondiale”. Cet ouvrage paraissait dans la foulée des célèbres émissions pour la BRT de Maurice de Wilde, qui en signait la préface.

Alors que le secret d’Etat pèse lourdement sur tous ces travaux, que les ministres de la Justice successifs n’ont jamais divulgué l’état réel de certaines enquêtes et que des familles pleurent toujours leurs proches assassinés par de mystérieux tueurs aux alentours des années 1985, il reste aux romanciers et aux cinéastes à révéler des fragments de réalité historique par le bais de fictions.

« Salamandre » et l’extrême-droite complotiste

Ainsi, tout récemment, Arte a diffusé l’inquiétante série télévisée belge néerlandophone « Salamandre », un complot mené par un groupe d'extrême-droite mené par un banquier qui tient sa fortune d’un assassinat lors de la deuxième guerre mondiale. Dans cette histoire, ce n’est pas un journaliste mais bien un commissaire de la police fédérale qui mène l’enquête. Cette série date déjà de 2012… et elle n’a jamais été diffusée sur les antennes de la RTBF ! Et pourtant, l’implacable montée de l’extrême-droite en Belgique ne se limite pas à la Flandre, elle menace tout notre appareil politique et policier.

Des romans, des séries télévisées servent parfois à nous ouvrir les yeux, à réveiller notre vigilance démocratique, à inciter les journalistes et les parlementaires à mener des enquêtes afin de sauver nos démocraties vacillantes, sapées par d’obscurs réseaux.

J’exagère ? Voyons l’actualité : des anciens gradés français revendiquent un ordre fort en France, et ils sont applaudis par la probable future présidente de la France, Marine Le Pen, leader de l’extrême-droite tendance fascisante. En Flandre, le groupe « Schild en Vrienden » rassemble des jeunes, dont beaucoup d’universitaires, partisans d’un ordre nouveau, racistes, antisémites, violents… Un parlementaire du Vlaams Belang en était membre. Dans certains corps de police locale, des policiers, des gradés, ne se cachent pas comme racistes et partisans de méthodes « fortes ». L’Allemagne commence à s’inquiéter de la puissance des milices néo-nazies et de partis d’extrême-droite.

Partout en Europe des partis nationalistes penchent vers une extrême-droite de plus en plus visible et décomplexée.

J’exagère ? Lisez-donc l’excellent ouvrage coordonné par Dominique Vidal : « Les nationalistes à l’assaut de l’Europe ». Le chapitre consacré à la Belgique est rédigé par Manuel Abramowicz, du journal RésistanceS ; le « web journal de l’Observatoire belge de l’extrême-droite ». Il y retrace l’historique de la montée du Vlaams Belang mais aussi l’infiltration dans des partis démocratiques de représentants d’extrêmes-droites turque (les « loups gris ») et rwandaise (hutus génocidaires). Quant à l’extrême-droite française, elle est bien représentée à Bruxelles par le biais de très nombreux expatriés français travaillant pour la plupart dans les institutions européennes.

Eveiller la vigilance démocratique

Comment atteindre le grand public afin d’éveiller sa vigilance démocratique ? La fiction peut nous aider à réveiller les consciences, à stimuler la réflexion politique, à renouer le dialogue avec nos représentants politiques. Il faudrait aussi que l’éducation à la citoyenneté soit amplifiée et pour cela que des aides soient apportées aux enseignants qui constituent le socle de base de la pensée démocratique. Et enfin, que les journalistes renouent avec les magnifiques enquêtes belges comme l’ont fait auparavant Maurice de Wilde, Walter De Bock, René Haquin. La télévision de service public, la VRT, a révélé l’affaire Schild & Vrienden. La RTBF a lancé Investigation. La presse écrite publie les enquêtes internationales de réseaux de journalistes d’investigation. Et Julian Assange reste emprisonné : preuve de la complicité de certains Etats avec ceux qui veulent taire les secrets obscurs qui ébranlent la démocratie.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Pieter_Aspe

https://nl.wikipedia.org/wiki/Walter_De_Bock

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https://www.resistances.be/

  • “Les nationalistes à l’assaut de l’Europe », sous la direction de Dominique Vidal. Conclusion de Bertrand Badie. Coll. Questions contemporaines. Ed. L’Harmattan. Décembre 2020.
  • A voir : « Les nouveaux habits de la ‘bête’», rencontre avec François Debras et Olivier Starquit.  https://www.youtube.com/watch?v=IYblTiRmPQQ

Deux exemples de grands défricheurs de secrets jalousement gardés en Belgique.

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