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Par Théophraste !

Par | Journaliste |
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Ancienne affiche publicitaire Coca-Cola bien conservée dans une rue, maintenant souterraine, du vieil Atlanta. Novembre 2007. Photo © Rundvald. Wikimédia Common

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En 2004, Patrick Le Lay, patron de TF1, expliquait dans un livre la véritable fonction de sa chaîne : « Le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola à vendre son produit. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible. » (« Les dirigeants face au changement », Editions du Huitième Jour, Paris). Cet incroyable cynisme est le résultat de la commercialisation croissante du secteur de l’information mais aussi la conséquence de l’ambiguïté du secteur audiovisuel, véhiculant à la fois de l’information et du divertissement. Ces propos reflètent un mépris parfait de l’audience, tout juste bonne à être consommatrice décervelée par les multiples propagandes commerciales qui occupent un espace laissé vide par l’information critique. Jamais aucun patron de presse n’avait dit cela avec une telle sincérité. Preuve une fois de plus que le discrédit dont souffre le secteur vient de sa commercialisation par des patrons qui n’ont plus rien à voir avec le journalisme.

Et Internet a précipité le phénomène. Ignacio Ramonet dans Le Monde Diplomatique de janvier 2005, expliquait déjà que le site Forbes.com du magazine économique américain Forbes utilisait un nouveau procédé pour faire de la publicité : des liens promotionnels sont intégrés dans le contenu des articles. En effet, les annonceurs achètent des mots-clés, lorsque la souris de l’internaute passe dessus, s’ouvre une fenêtre contenant un message publicitaire. Les journalistes ne connaissent pas les mots ainsi vendus aux annonceurs. Outre le parasitisme de la lecture, on peut craindre que le lecteur perde confiance en ces journalistes qui semblent achetés. Quant aux journalistes ils craignent de se voir imposer l’écriture de certains mots-clés particulièrement rentables…

La presse écrite commerciale a besoin désespérément de publicité pour survivre. A moins d’augmenter démesurément le prix de vente du journal, il lui est impossible de payer le papier, l’imprimerie, les journalistes et le personnel employé et ouvrier nécessaire pour fabriquer ce produit d’une rare complexité technique. Il est loin le temps où certaines rédactions pouvaient se permettre le luxe de refuser des publicités pour motifs idéologiques par exemple celle du nucléaire ou celle de la Grèce des colonels (ce fut le cas à La Cité à l’époque).

Bien entendu une certaine vigilance reste appliquée, en fonction de l’image de marque que veut se donner une publication. Mais combien de publicités sexistes, abêtissantes, grossières envahissent nos pages et offusquent les lecteurs un peu critiques ? Il est facile de leur dire que sans cet argent il n’y aura plus de publication d’articles sérieux, documentés, de reportages indépendants parce que payés seulement par la rédaction… Ils répondent qu’ils ne payent pas un journal pour se voir imposer des pages de publicités et des photos non informatives même si elles sont plaisantes. Et la méfiance se renforce entre public et journalistes.

Connaître le prix de l’information de qualité permettrait pourtant de mobiliser les citoyens désireux de participer aux réflexions démocratiques que véhicule la presse. Ils pourraient alors aider les journalistes dans leur combat pour l’indépendance de l’information, grâce au renforcement des rédactions, il est possible de s’opposer aux pressions commerciales, économiques des patrons de presse, des annonceurs publicitaires. Il serait possible d’exiger des messages publicitaires de qualité dans un journal qui resterait crédible grâce à sa capacité critique intacte, vis-à-vis des annonceurs.

C’est la crédibilité qui fait la valeur d’un organe de presse et pas sa sujétion aux pouvoirs économiques.  Une notion parfaitement étrangère aux nouveaux patrons de presse issus des milieux industriels et financiers, comme Serge Dassault, alors propriétaire du Figaro, qui déclarait en 2004 qu’un journal « permet de faire passer un certain nombre d’idées saines ». Entendez : des informations qui ne nuisent pas aux intérêts commerciaux ou industriels du pays, ce qui veut dire, en clair, les intérêts du marchand d’armes qui a censuré une interview sur la vente frauduleuse d’avions Mirage à Taiwan ainsi qu’une information sur un projet de vente d’avions Rafale à l’Algérie (voir Le Monde Diplomatique de janvier 2005).

Depuis, la bataille de l’indépendance journalistique est perdue sur de nombreux fronts : les médias télévisuels sont l’objet de marchandages d’ampleur par des hommes d’affaires et même dans les médias de services publics qui tentent de conserver des émissions véritablement informatives, nous sommes assaillis par des masses de publicités plus abêtissantes que jamais.

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Heureusement, profitant de la numérisation de l’information, des médias sont apparus qui perpétuent la pratique d’un vrai journalisme de terrain, d’analyse critique, dérangeant les pouvoirs en place, pariant sur l’intelligence des mouvements sociaux et citoyens. Exemples en France : Médiapart, Bastamag.net ; Et en Belgique : Apaches.be, Daardaar.be et bien entendu entreleslignes.be (publicité non payée !)

https://www.institut-pandore.com/mentalisme/publicite-manipulation-esprit-techniques/

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