Neige sur la Camargue

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
le

Les gardians de Camargue vont à cheval, entre la mer, la terre et le ciel, sur leurs robustes chevaux, habitués à côtoyer les taureaux sauvages. Photo © Marcel Leroy

commentaires 0 Partager
Lecture 4 min.

Les photographes Roger Job et Gaëlle Henkens travaillent depuis près de quatre années pour raconter les manadiers et les gardians de Camargue, leurs chevaux et les taureaux, les décors exposés au mistral et à la tramontane, et saisir l'esprit d'une terre qui bat comme un coeur fou. D'ici  la fin de l'année, un grand livre dont le titre sera "Soleil noir", proposera une fresque qui serait l'envers de la carte postale que ramènent les voyageurs de l'été. Ces reporters au long cours se sont faufilés dans la trame d'un univers que l'on croit approcher mais qui sans cesse se dérobe si on n'est pas invité à s'y aventurer par un initié. 

L'autre jour, là-bas, dans le delta du Rhône et dans la Crau, entre Montpellier et Orange, une tempête de neige s'est déchaînée, bloquant l'autoroute et obligeant les gens à se calfeutrer dans leurs maisons. Ce matin-là, vers neuf heures, une poudre fine avait commencé à tomber du ciel plombé puis s'était intensifiée, jusqu'à recouvrir le vieux pays d'une épaisse couche blanche qui masquait les zébrures des panoramas. Roger a regardé le ciel et s'est dit que la chance était avec lui. Il était descendu en urgence pour assister aux funérailles de Pierrot Aubanel, manadier illustre descendant de Folco de Baroncelli, une figure de légende.

Aux Saintes-Marie-de-la-Mer, le jour d'avant la grande neige, donc, le cercueil de Pierrot s'est reposé un moment à côté du mausolée de Folco face à la Méditerranée puis le cortège des chevaux et des gens s'est dirigé vers l'église des Saintes pour un hommage au défunt, ou si vous préférez, un salut solennel à une histoire qui réunit les êtres, ici, depuis des siècles. Le cheval de Pierrot, mené par un gardian, avait la croupe recouverte d'un tissu de crèpe noir. La procession  luttait contre un vent glacial. Parmi les personnes qui furent appelées à parler, Jeannot Lafon, manadier dans l'âme, lui aussi, salua l'ami qui s'en était allé brutalement, avec ses souvenirs, ses rêves et ses foucades.

Le lendemain qui suivit ces funérailles, quand Roger chargeait la Ford Focus break de couleur rouge pour remonter dans le nord, il vit la neige se faire plus drue. N'en croyant pas ses yeux ni sa chance, il appela Jeannot qui lui dit de faire vite s'il voulait marcher dans le paysage  blanc pour garder des images des taureaux noirs se demandant ce que le ciel leur avait balancé sur le dos. Je me souviendrai toujours du photographe, revêtu de sa grosse veste et de son bonnet, pareil à un moine errant, allant vers les bêtes sauvages pour rester d'abord debout comme un piquet et finir par marcher en parallèle avec les bêtes qui s'habituaient à sa présence étrangère. Alors Jeannot Lafon, avec la sagesse qui appartient à ceux de la terre, a dit qu'il fallait laisser le grand bonhomme venu de La Haute Ardenne, en Belgique, marcher droit devant à travers la terre et l'eau avec le troupeau, qu'il reviendrait avant la tombée de la nuit.

Il semble que vous appréciez cet article

Notre site est gratuit, mais coûte de l’argent. Aidez-nous à maintenir notre indépendance avec un micropaiement.

Merci !

Tard le soir, alors que nous étions face à l'âtre et aux flammes qui réchauffaient la maison pleine de souvenirs, de photos en noir et blanc et où la veillée allait son cours paisible, Jeannot, qui compte un peu plus de 70 printemps et se tient à cheval comme un jeune homme, a rappelé que le mot manadier venait de "main". C'est le manadier qui tient la manade. Qui elle-même est épaulée par les gardians, des amateurs au sens le plus noble du mot. Des personnes qui se lèvent pour défendre un mode de vie où se mêlent la nature, les animaux, les êtres et une forme de solidarité qui s'exprime par ces jeux taurins qui font vibrer villettes et villages, selon une tradition très ancienne, dans le respect des animaux.

On est sorti avec le chien pour voir comment allaient les chevaux, les taureaux et les veaux. En dépit de la nuit, le paysage était clair sous la lune et une lueur rougeâtre nimbait l'immensité qui entoure la manade de Jeannot. A la télé, plus tard, ils ont dit qu'il n'y avait pas eu autant de neige dans la région depuis les années 60. Dehors, un cheval gris a henni dans la nuit.      

commentaires 0 Partager

Inscrivez-vous à notre infolettre pour rester informé.

Chaque samedi le meilleur de la semaine.

/ Du même auteur /

Toutes les billets

/ Commentaires /

Avant de commencer…

Bienvenue dans l'espace de discussion qu'Entreleslignes met à disposition.

Nous favorisons le débat ouvert et respectueux. Les contributions doivent respecter les limites de la liberté d'expression, sous peine de non-publication. Les propos tenus peuvent engager juridiquement. 

Pour en savoir plus, cliquez ici.

Cet espace nécessite de s’identifier

Créer votre compte J’ai déjà un compte