Les églises du réveil, des multinationales de la foi radicale

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Foule en prières sur la voie publique à Kinshasa. Photo © CAS-INFO.CA

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Qu’est-ce que ce «revivalisme» protestant qui draine des millions de fidèles qui suivent aveuglément des «pasteurs» parfois très critiquables? Le terme «réveil» possède une connotation particulière lorsqu’il s’agit de religion protestante. Cette notion  provient du 16ème siècle déjà avec le renouveau religieux du luthérianisme, le piétisme, une réforme radicale du mouvement protestant. Il s’agit d’une doctrine de foi vivante et missionnaire, sous l’autorité stricte de la Bible, autour du sacrifice expiatoire du Christ. Le but est une conversion des cœurs et une régénération des convertis.

 Il faudrait travailler plus en profondeur cette origine historique des églises du réveil. Pour cela, mieux vaut s’en référer aux travaux de Monique Weis, (1) qui en a dressé un intéressant résumé lors de la journée de sensibilisation sur les églises du réveil en Belgique et en RDC (2). Elle constate un retour régulier de ces phases de « réveil » au cours de l’histoire depuis le 17ème siècle, en alternance avec l’institutionnalisation de la religion. C’est le phénomène de « revivalisme » que l’on observe bien aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne où prolifèrent les églises pentecôtistes, méthodistes et des évangélistes aux stratégies militantes et efficaces ; le tout en lien avec diverses phases socio-économiques de ces sociétés anglo-saxonnes.

Contrairement à l’église catholique fortement hiérarchisée, qui n’autorise pas ce genre de « revivalisme », la réformation protestante, elle, n’est jamais terminée puisqu’il faut sans cesse recueillir l’adhésion des communautés locales. En cela, ces églises peuvent être comparées au phénomène sectaire, en tant qu’associations portées par une contestation populaire, privilégiant une approche personnelle et spiritualiste, avec un grand rôle donné à l’esprit. On y privilégie le rapport direct avec dieu, des efforts de purification et de moralité stricte, une « piété subjective » alliée au rejet de l’autorité des prêtres et une dévalorisation de l’église en tant qu’institution.

Une base ethnique liée aux migrations

A travers une description du patrimoine mobilier et immobilier protestant en Wallonie et à Bruxelles, Laurence Druez (3) a pu approcher la réalité des églises du réveil chez nous, très différente des courants protestants traditionnels, désormais extrêmement minoritaires. Elle retrace diverses phases du « revivalisme » chez nous, très lié aux mouvements migratoires au cours des siècles : missionnaires hollandais, anglo-saxons, allemands, américains suivis par des Italiens, des Espagnols, des slaves (majoritairement polonais). A partir des années 70, on voit apparaître des Africains, des Roumains, des asiatiques. Bref, une multiplicité de groupements évangéliques, attachés à leurs communautés. On compterait environ 180 églises évangéliques rien qu’à Bruxelles, plus de 83% des églises protestantes sont à présent évangéliques (100 % à Molenbeek), présentant une sensibilité charismatique, pentecôtiste.

On a vu une méridionalisation accrue des charismatiques, provenant d’Amérique latine et d’Afrique sub-saharienne. Ce qui coïncide avec la mondialisation de ces églises influentes parmi les populations précaires à qui elles promettent des perspectives de croissance économique (si dieu le veut). C’est l’époque du renversement du phénomène missionnaire, cette fois-ci, du Congo vers la Belgique !

La plupart de ces églises regroupent peu de fidèles mais la plus grande, la Nouvelle Jérusalem à Molenbeek, compterait 2.500 membres. Nombre des églises se sont mises en réseaux comme les « Eglises de dieu », la « Fraternité des églises du réveil », le « réseau Antioche ». Mais beaucoup d’églises charismatiques restent en marge.

Les lieux de culte ne sont pas protégés, souligne Laurence Druez, tout espace peut en accueillir un. Ces églises sont très difficiles à identifier et à comptabiliser. Et les contacts avec leurs dirigeants sont très difficiles. Mais on constate que là où les églises protestantes d’avant permettaient un  brassage de population, les actuelles églises du réveil et autres se constituent sur base ethnique.

Elles ont des points communs : comme le culte tourne autour de la parole, la décoration est quasi absente, les lieux sont précaires mais partout trône une estrade polyvalente pour les orchestres, les chorales. Au pupitre : les prédicateurs qui exercent une forte autorité pastorale, parfois sans trop de références de la Bible mais bien à une révélation prophétique verbale. Ces églises se disent chrétiennes plutôt qu’évangéliques ou pentecôtistes, elles disent « préférer les ailes aux racines ». On y pratique une culture du temps présent, une identité spirituelle par la musique, les émotions, la verbalisation, les offrandes (surtout !) afin d’obtenir des bénédictions. A tel point qu’on peut se demander si ces églises sont encore vraiment «protestantes ».

L’homme domestiqué

Anthropologue à l’ULB, Maïté Maskens (4) a pénétré cet univers des églises du réveil à Bruxelles en analysant le fonctionnement d’une église latino-américaine et une autre africaine sub-saharienne. Le système est basé sur la conversion, élément central de la transformation des fidèles et chacun devient évangélisateur à son tour. Elle a constaté une grande adaptabilité aux contextes locaux de cette transnationalisation religieuse du XXème siècle, partie dès 1906 des Etats-Unis pour conquérir l’Amérique latine et ensuite l’Afrique. Résultat, le centre de gravité du christianisme a basculé du Nord vers le Sud.

Partout, on constate le croisement avec les questions migratoires : les prières entre voisins, c’est la main agissante de dieu dans la vie quotidienne. Une trame divine dirige leur vie et elle subsiste malgré les échecs. Beaucoup de femmes sont adeptes or, quasi tous les chefs sont des hommes. Il s’agit bel et bien d’un patriarcat biblique où prime la moralité stricte par rapport à une société, la nôtre, vue comme décadente. L’homme y est « domestiqué » : recentré sur la vie familiale, un bon père, capable de douceur. Bref, un modèle alternatif de la masculinité. Quant à la virginité, elle est obligatoire pour les filles avant le mariage. On constate beaucoup de discours sur la sexualité, sur les règles de bonnes pratiques, toujours dans l’optique d’un peuple élu qui tranche avec la décadence de l’occident et qui doit lui apporter le message de la bible. Le sexe n’est pas réprimé comme dans le catholicisme. Il est considéré comme une force vitale qui apporte la plénitude au couple mais seulement dans les liens du mariage, selon le « plan parfait de dieu » sinon, on assiste à la destruction des relations avec dieu. Cependant, la famille en Christ prend parfois plus d’importance que la famille naturelle. Et si ces églises du réveil soutiennent une entraide ethnique, très importante pour des populations de migrants précarisés, elles provoquent aussi des dislocations familiales.

Le Congo, vivier de ces églises du réveil

Le paradoxe du Congo est que cet Etat devrait être plus laïque que le nôtre puisque la laïcité est inscrite dans la Constitution. Or, on constate une montée très importante des évangélistes et des pentecôtistes par rapport à la toute puissance de l’église catholique, parallèlement à la mondialisation et à la nouvelle configuration des forces mondiales politiques et économiques. Etienne Tchamulubanda Wonguba, chercheur en philosophie à l’ULB, explique cette société éclatée, parcourue de réseaux sociaux où les structures communes ne semblent plus protéger les individus. Les communautés ainsi blessées entre bonheur et intolérance se réfugient dans le fanatisme et le fondamentalisme, ce qui déstabilise l’Etat et provoque des crises entre communautés.

Déjà, le colonisateur belge catholique avait imposé  sa religion à cette population où l’animisme guidait la vie autochtone, égrenant des actes sacrés tout au long de la vie humaine, en communion avec le cosmos, invisible, prolongement du monde des vivants, un dieu inaccessible sauf par le truchement des ancêtres. Depuis, on a constaté diverses résistances à la religion du colonisateur, dont le kimbanguisme est un exemple important. Il s’agit en effet de la troisième communauté religieuse au Congo, après les catholiques et les protestants, précise Jean Musway, animateur de cette journée et chercheur à l’ULB sur le même thème.

Dans le Congo indépendant, les mouvements évangéliques et pentecôtistes (exportés par les Etats-Unis) se sont installés lors de la rupture entre les catholiques et Mobutu chantre de l’authenticité. On comptait environ 300 à 400 mouvements religieux dans les années 80. A présent, ils sont innombrables. Pour eux, les jeunes hommes en quête d’avenir sont des proies faciles de même que les femmes, crédules et qui espèrent des solutions miracles à tous leurs problèmes, et ils sont nombreux quand on vit la précarité. Résultat : les familles se divisent, les couples se disloquent, on assiste au phénomène grave des « enfants-sorciers » qui doivent être désenvoûtés par le pasteur.  Le monde se divise entre humains proies de Satan et le monde du bien, celui de dieu.  

Selon Etienne Tchamulubanda, l’Etat est impuissant voire complice dans le développement de ces églises car, selon les données obtenues à la direction des cultes à Kinshasa, il suffit de créer une asbl pour constituer une église et payer la redevance due ; on compte ainsi 2500 églises sur le territoire de Kinshasa auxquelles il faut en ajouter plus de 1500 établies sans autorisation. L’Etat est piégé car les assemblées de fidèles sont aussi la base électorale des députés, qui les ménagent donc.

Jean Musway a effectué une enquête auprès des croyants à Kinshasa. La plupart (75%) ne savent pas si leur église fait partie de la « Ligue des églises du réveil » et « ministère du réveil », 93 % considèrent que l’athéisme est diabolique, 97 % sont contre la liberté de ne pas croire, 75% pensent qu’il faut miser sur les piliers religieux pour faire la société. Bref, la laïcité constitutionnelle du Congo est menacée par cette effervescence religieuse, et si la diversité spirituelle et religieuse est importante, l’espace public ne peut être envahi par ce cancer que représentent les églises sans contrôle. Plus que jamais, la laïcité reste le socle essentiel de l’Etat et d’une nation si diverse, rappelle Jean Musway.

Ainsi, la crédulité des personnes en situation de précarité est d’autant plus grande lorsqu’il s’agit de migrants transplantés dans notre société très inégalitaire. Les diverses églises de réveil, constituées sur base ethnique, recréent une communauté enveloppante, rassurante pour ces personnes. Alors même que nombre d’entre elles ne sont que des pompes à dons, extorquant parfois des sommes considérables à des communautés démunies. Certains pasteurs vivent dans l’opulence alors que leurs « églises » sont minables, d’important flux financiers sont constatés entre des églises pentecôtistes ou autres vers leurs centres américains. Mais cet aspect là de la question n’a pas été abordé lors de ce colloque. Un aspect économique et politique de la question qui mériterait d’être approfondi si l’on veut préserver les intérêts des plus crédules et des plus démunis. 

1. Les églises de réveil : voyage à travers les cultures africaines et promotion de la citoyenneté, une journée de sensibilisation organisée par le CAL de Charleroi, avec LHAC (Laïcité et humanisme en Afrique centrale), le 21 avril 2018.

2. Monique Weis est docteure en philosophie et lettres de l'Université libre de Bruxelles et chargée de recherches au Fonds national de la recherche scientifique.

3. Docteur en Philosophie et Lettres, Laurence Druez est Maître de Conférences au Département des Sciences historiques à l’université de Liège. Avec Julien Maquet, elle est l’auteure de « Le patrimoine protestant de Wallonie. La mémoire d’une minorité », Namur, IPW, 2017, 409 p.

4. Maïté Maskens, maître de conférence à l’ULB est l’auteure de « Cheminer avec Dieu - Pentecôtisme et migrations à Bruxelles ».

Églises de réveil, délivrance et migrations

Les Églises de réveil fondées par des prédicateurs congolais font aujourd'hui partie intégrante du paysage religieux et social belge. Trente ans après l'implantation des premières églises, on les connaît pourtant toujours mal.

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Jeudi 17mai à  20h à La Cité Miroir, Sarah Demart, sociologue aux Universités de Liège et de Saint-Louis à Bruxelles, partagera son analyse de cette mouvance avec ses héritages politiques et religieux propres.

http://www.citemiroir.be/fr/activite/de-kinshasa-bruxelles-eglises-de-reveil-delivrance-et-migrations-0

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