Les belles intentions

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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Le personnel de l’Athénée Royal de Ganshoren a voté une motion pour que l’établissement soit rénové et que les élèves soient déplacés temporairement dans des locaux sécurisés. Leur demande est soutenue par l’association des parents d’élèves. Les belles intentions du pacte d’excellence ne peuvent ignorer la réalité du terrain. C’est dans cette réalité que le nouveau système idéaliste désire réduire le nombre d’échecs, diminuer le redoublement, éviter le décrochage scolaire. Les idéalistes qui utiliseront la culpabilité pour atteindre les professeurs traités de râleurs, de rouspéteurs, d’individualistes. En deux mois, j’ai été confronté à des groupes de classes qui changent constamment, avec des élèves qui s’ajoutent et qui s’en vont.

Le nouveau système bien emballé aux belles intentions avec un beau vocabulaire formidable va nous présenter des plans de pilotage qui deviendront des contrats objectifs. Ce système qui, en fait, cache le dogme de la croissance, alors qu’aucun projet pédagogique n’est présenté. C’est à nous de nous débrouiller avec les moyens du bord. Au nom de l’efficacité renforcer la responsabilisation des enseignants par rapport à des résultats des classes nombreuses, avec des enfants qui connaissent bien la liberté, l’égalité, mais plus la solidarité. Ce n’est donc plus l’élève qui est responsable de son échec, mais bien l’enseignant qui désormais travaille à la place de l’élève pour sa réussite obligatoire. 

Jadis, on tentait de percevoir la responsabilité des deux parties de l’apprentissage. Aujourd’hui, peu importe si l’élève n’a pas lu la consigne, s’il n’écoute pas, c’est le professeur qui ne l’a pas bien rédigée! Ce n’est plus l’élève qui ne travaille pas assez, c’est l’enseignant!  Donc, puisque le nouveau système a décidé que l’enseignement est onéreux, c’est aux professeurs de payer de leur temps si possible bénévolement, de s’user, de s’épuiser.

Le vocabulaire du bonheur obligatoire, le refus de l’échec, le refus du risque, les méthodes vendues du développement personnel cachent une volonté du système de nous obliger à toujours plus de croissance dans la recherche d’un bonheur devenu absolument nécessaire qui finit par se retourner contre l’humanisme. 

Pacte d’excellence ou pacte d’uniformisation? Bien sûr, les tenants de ce pacte présentent de nobles causes mais connaissent-ils le terrain? Quel est le budget qui sera accordé à améliorer l’état des bâtiments scolaires surtout à Bruxelles? Quelle sera la valorisation salariale accordée aux professeurs en début de carrière? Comment exprimer clairement l’importance d’un métier? 

Si nous ne pouvons plus prétendre qu’un élève ne travaille pas et que c’est le professeur qui n’est pas compétent, comment expliquer alors la persévérance des artistes qui passent leur temps à peindre, à photographier, à graver? Comment expliquer le génie précoce de Mozart et de Rimbaud si ce n’est pas leur aptitude à mettre le travail avant tout dans leur création? 

La valorisation des services publics accessibles à tous est liée à la défense politique de l’idée de l’universalité. En effet, la logique néolibérale s’accommode des particularismes en les mettant en concurrence. Le tout économique et la compétition favorisent le régionalisme, le nationalisme, le tribalisme. La libre concurrence encourage le maintien des réflexes tribaux. Dans cette perspective qui ruine l’espoir de solidarité, l’école publique semble menacée. La logique marchande remet en cause sa vocation humaniste.

Le professeur s’interroge sur son rôle initial. Même ceux qui sont les plus flexibles, les plus à jour, qui ont compris que la jeunesse a changé, continuent à affirmer que leur métier est de plus en plus incompris. Quel que soit le milieu social de leur public, son origine, ils se plaignent d’une incompréhension mutuelle : « Je pourrais sortir de la classe, ils ne s’en apercevraient même pas ! » Quelle culture choisie transmettre si l’élève est prié de réussir nécessairement sans goûter au risque, sans comprendre que l’échec est inhérent à la vie? 

Les beaux discours séducteurs nous bernent. S’adapter aux besoins spécifiques des élèves avec des trucs et astuces bidons, des remèdes de pacotilles, alors que derrière cet angélisme se profile la formation de jeunes consommateurs qui  se désolidarisent des adultes qui proposent un autre mode de pensée. Les adolescents narcissiques préfèrent demeurer perpétuellement entre eux. Or l’école est justement ouverte afin de permettre la rencontre entre des jeunes et des adultes. Elle serait donc un lieu de solidarité, de partage.  Cependant, l’égoïsme du moi je vis comme je veux prime actuellement sur l’entraide. Il ne s’agit pas d’un égoïsme positif qui permet de s’apprécier, de s’estimer afin de mieux entrer en relation avec autrui. Il s’agit d’un égoïsme guerrier qui engendre la trahison, l’arrogance. 

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L’enseignement par les compétences formatées par le langage de l’entreprise privilégie le concret au détriment de l’abstrait. La société du mode d’emploi nous écarte de la patience, du questionnement, de l’émerveillement. Les textes officiels  affirment toujours que l’école forme de futurs citoyens responsables et autonomes. Ces citoyens qui peuvent pratiquer le libre examen, opérer des choix volontaires, acquérir une identité librement, épanouis. Pourtant, les professeurs sont confrontés aux adolescents violents, déprimés, névrosés, aux parents dépassés. Il existe donc un écart entre les beaux discours et la réalité sur le terrain. Les boucs émissaires existent toujours, le harcèlement se banalise, les inégalités se renforcent, des minervals sont réclamés, les frais scolaires augmentent aussi bien pour les élèves que pour les professeurs.

Il existe un réel décalage entre l’école et l’évolution de notre société de consommation. L’enseignant est du côté de la lenteur, de la patience, de la nuance. Il doit se battre contre la précipitation de ses élèves. La lenteur de la transmission devient intolérable pour les hommes pressés qui veulent tout vite fait et bien fait. Dès lors, l’austérité apparente de l’apprentissage est ressentie comme une violence insupportable et le plaisir qui peut s’en dégager n’est plus ressenti. Le jour où les experts du nouveau  système du pacte d’excellence me présenteront un véritable projet pédagogique révolutionnaire, je le soutiendrai car je ne suis pas un conservateur ni un traditionaliste de l’école.

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