Les uns et les autres

Le professeur qui exerce sa vocation en temps de guerres médiatisées, commentées, discutées, alimentées par la pensée binaire, par les idéologues qui ont choisi leur camp, par les donneurs de leçons qui désignent les bons et les mauvais: cet enseignant se trouve dés lors en mauvaise posture. La richesse de la nuance n'est pas très fréquente sur les réseaux sociaux. Qui a tort? Qui a raison? Peut-on approuver la vengeance? Peut-on accepter le droit de se défendre n'importe comment? Est-ce que tous les moyens sont autorisés pour répondre à la violence? Est-ce ce qu'on peut nier les faits tels qu'ils se présentent? Nier le colonialisme? Nier l'occupation de territoires? Nier l'idéologie d'un Etat sous prétexte de ne pas paraitre antisémite? Questions auxquelles l'enseignant peut être confronté. Si un humaniste condamne la politique militariste excessive d'un Etat, est-ce pour autant qu'il approuve le Hamas? A chaque fois, celui qui dénonce les excès de la vengeance se voit rappeler aux attaques du Hamas comme s'il était d'accord avec celles-ci. Et puis devons-nous occulter certains faits parce qu'ils dérangent comme le fait que le Hamas a été financé par des Israéliens? Ce fait transforme-t-il celui qui l'admet en complotiste? Si le professeur veut maintenir l'esprit critique en classe se voit traiter de complotiste s'il interroge ses élèves sur certaines mesures politiques prises pendant le Covid, il n'a plus qu'à se taire. Mesures qui se sont révélées illégales par la suite.

Alors, c'est dans ce cadre difficile, que le professeur de français va rappeler le rôle des connecteurs logiques. Celui qui lui parait le plus urgent à mettre en évidence est ce petit mot qui est très important: le mot ET. La pensée argumentée ne peut se contenter de commenter rapidement, de se limiter aux slogans. Le Et est aussi important que le Cependant pour transmettre la permanence de l'existence de la complexité. Nous demandons le cessez-le-feu et la libération des otages. Ce n'est pas l'un sans l'autre, c'est l'un et l'autre. La clarté du "et" est bien explicite. L'humaniste s'interroge sur la violence des uns et des autres et en même temps, il ne peut pas s'abstenir de reconnaître les faits qui se sont déclarés d'un côté comme de l'autre. Nous parlons des colons et des terroristes. Nous décrivons tout ce qui nourrit la haine de l'autre. L'utilisation du et permet d'éviter la myopie. Le cependant ouvre le compas. Prendre du recul afin de voir plusieurs causes et non pas se braquer sur une seule. L'idéologue borné s'arrrête de penser.

La perte de l'utilisation de la conjonction de coordination Et signale un abandon de la reconnaissance de la souffrance de l'humanité dans son ensemble commun. Des commentaires sur les réseaux sociaux mettent la souffrance des uns en valeur en négligeant celle des autres. Toutes les victimes des bombardements intensifs de Gaza seraient responsables de soutenir une organisation terroriste: ce qui est absurde. Le rôle d'un enseignant humaniste n'est certainement pas de donner raison aux vengeurs destructeurs. Comme l'affirment certains Israéliens eux-mêmes "Not in my name!" Cette affirmation rejoint l'importance du Et. Je ne veux pas que mon identité soit récupérée dans la haine de l'autre. Je suis avec les victimes des terroristes et je suis avec les victimes des bombardements.

Monsieur êtes-vous pro israéliens ou pro palestiniens? Question terrible pour celui qui veut maintenir la paix en classe en présence de la diversité. Le professeur doit-il forcément répondre? Il pourrait répondre qu'il est pour la paix ou s'interroger avec ses élèves sur ce qui alimente la haine. Reconnaitre l'oppression lorsqu'elle est un fait et reconnaitre la douleur de l'ensemble des victimes des causes et des conséquences de celle-ci sur les uns et les autres. Mais, certains excessifs le somment de prendre parti, de mettre un drapeau sur son mur Facebook. Ce qu'il ne fera pas, car ajouter de l'huile sur le feu n'est pas dans son caractère! Son devoir est de calmer le jeu, de sauvegarder la lucidité des uns et des autres. Le message donné à ses élèves est par conséquent clair: je condamne les actions du Hamas du mois d'octobre et je condamne les bombardements intensifs menés par l'armée israélienne sur Gaza. J'espère que tous mes lecteurs auront lu le "et" que je souhaite encore être présent pour l'avenir de l'école.