Nous à la place du je. Travail et non émancipation

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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L'école semble avoir assimilé un vocabulaire précis. Ses acteurs se sont habitués à dire "nous" plutôt que "je", nous exerçons notre métier dans une école de la réussite, nous vivons dans la communication, nous nous coopérons, nous sommes solidaires, alors que les occasions de se rencontrer réellement disparaissent. Les réunions efficaces auront lieu avec une numérisation de plus en plus envahissante par écrans interposés. Ainsi, l'amoureux des mots que je suis, dénonce une instrumentalisation de la langue dans une visée purement utilitariste qui délaisse progressivement la pédagogie humaine. La personnalité du pédagogue n'importe plus, son expérience n'est plus envisagée, de jeunes cadres à la pensée dogmatique nous conforment à utiliser le vocabulaire adéquat: compétences, UAA, innovations, applications, Teams. La globalisation opère une disparition du territoire de l'enseignant qui est contraint à toujours plus de procédures, d'actes normalisés.

Ce n'est pas tant les partis d'extrême droite qui pourraient nous inquiéter mais leur idéologie qui se banalise partout même chez des personnes qui ne sont pas nécessairement extrémistes, on peut en effet trouver ce vocabulaire même chez des démocrates: "clandestins, centres fermés, musulmans modérés, immigrés illégaux, etc". Nous vivons dans un pays qui peut se targuer de battre le record des détenus en prison. Notre beau pays qui à plusieurs reprises est interpellé par les représentants des droits de l'homme. On peut aussi le constater par une obsession critique de l'islam qui néglige la nuance qui aboutit à la théorie de remplacement. Parallèlement, le même mécanisme s'opère avec le vocabulaire du marché qui pénètre l'espace scolaire. Nous mangeons les mots du marché si facilement, nous sommes sous influence, experts, hommes de bureaux qui ne se rendent jamais sur le terrain, mais qui savent tellement mieux et plus que vous.

Ainsi, comme les hôpitaux, les chemins de fer, l'école n'est plus un service public. Les recommandation ne relèvent plus des acteurs de terrain mais bien d'experts, qui à partir de sondages, nous désirent plus performants. Certes, il est important que les jeunes trouvent un emploi, mais aussi l'école avait pour vocation l'émancipation de tous, l'autonomie, le sens critique. Mais, surtout, nous savons que de nombreuses personnes qui gagnent leur vie ne sont plus à l'abri de la pauvreté, certains d'entre eux dorment même dans leur voiture. Les libéraux de droite, nous font croire que le bonheur consiste uniquement à travailler. Cette pensée unique pénètre également l'école. Le pédagogue est cofondu dans le capital humain, dans les ressources humaines, il est dépersonnalisé, automatisé. Le mot "projet"depuis longtemps, est bien un terme qui nomme la pensée entreprise.

Quelques mots pour illustrer mon propos: une formation, un métier, un avenir, une école, plusieurs chemins de formation, une école 2.0, immersion précoce en néerlandais et en anglais, l'avenir est dans nos classes. Nous pouvons donc observer que ce n'est pas le présent de l'élève qui devrait intéresser l'enseignant mais seulement son avenir. Ce n'est pas sa motivation personnelle qui pourrait s'épanouir aujourd'hui en classe, mais son travail futur. "La volonté partagée de réussite" est répétée sans cesse dans nos oreilles. L'école en est réduite à la propagation de slogans qui se banalisent dans notre pensée. Les récalcitrants deviennent alors de vieux dinosaures accusés de ne pas rejoindre ce "nous" si beau.

Une école qualifiante qui répond à tes attentes, voilà qui est agréable à entendre. Désuet est dorénavant l'idée de former des citoyens autonomes, responsables qui peuvent participer directement à la formation d'une démocratie. Cette phrase est de moins en moins prononcée puisque d'autres priorités sont prises en considération dorénavant. En accompagnement du plat principal, nous avons toute une série d'euphémismes afin de nous faire avaler la sauce. Philippe Schmetz dans son article "une école démocratique" (APED) paru en 2022 en cite quelques exemples: "s'épanouir et se former, école de la bienveillance, école du cœur, une école familiale." La technique de l'euphémisme qui est aussi présente dans les régimes totalitaires, cache la barbarie, l'agressivité, la disparition du civisme, la généralisation des usurpateurs, des pervers narcissiques, des tricheurs.

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Alors, la première démarche, c'est de conserver notre lucidité sur ces mots qui se propagent si facilement, ce qui ne signifie pas que l'école ne doit pas être en relation avec les entreprises, mais elle devrait conserver son territoire, je dirais son espace de liberté pour aussi proposer autre chose qu'un projet unique. Sinon vous entendrez un élève de rhéto vous répondre: "moi, je me destine à l'architecture, pourquoi devrais-je suivre des cours d'histoire?

Pour terminer, il faut bien soulever cette question: pourquoi dans ce monde où l'homme est une ressource assistons nous encore aujourd'hui à cette fascination envers le leader? Pourquoi les frustrations sont tellement importantes que les populismes (au sens négatif du terme) les récupèrent à leur profit? C'est peut-être parce que l'école de la réussite ne réussit plus à former des êtres humains épanouis, autonomes. L'école devrait tenir ses distances face à une ligne d'horizon qui serait fixe, unique. Je crains que le nombre de personnes qui perdent confiance se tournent vers ceux qui proposent des solutions simples. Si les élèves sont pris par une ségrégation qui les classe selon leur métier d'avenir, en divisant les types d'enseignement selon les intérêts du marché, en sections sous couvert de bienveillance, on peut se demander où se trouve le vrai désir de former à la fraternité, à une République sociale et universelle. Le mot République récupéré par les néolibéraux perd alors sa dimension révolutionnaire. Divisés, les élèves ne perçoivent dés lors plus ce qui construit le Commun, la Commune.

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