La folie destructrice des hommes

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Notre cerveau, nouveau champ d’innovation guerrière. Dessin © Nato Innovation Hub

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Ces jours-ci, le monde aura les yeux tournés vers Glasgow où se jouera une nouvelle scène du grand théâtre planétaire, dernier acte avant la fin de notre monde. L’Anthropocène est disséqué et les Etats peinent à imposer des mesures efficaces contre les grandes entreprises qui poursuivent leur conquête effrénée des énergies fossiles et autres ressources naturelles: on découvre de nouveaux gisements de gaz naturel et de pétrole sous terre et mers, on veut conquérir les pôles et les fonds des océans pour atteindre les ressources naturelles cachées là.  L’espace est de plus en plus pollué par les innombrables satellites et fusées de toutes sortes et même par la pub d’un des super riches de ce monde. Rien n’échappe à la folie destructrice des hommes.

La colonisation des esprits

Même pas nos cerveaux et nos capacités de communication avec nos semblables, qui sont devenus la matière première rentable des puissantes firmes multinationales comme Facebook (pardon : Meta !), Google, Amazon, Microsoft… Ces géants du web ont porté à l’échelle planétaire le modèle de propagande le plus efficace : celui des Etats Unis comme « terre de liberté » où chacun, individuellement, a toutes ses chances et s’il échoue c’est qu’il n’est pas assez bon, assez performant. Un modèle qui, bien entendu, est basé sur une attitude de conquérants, de colonisateurs sans pitié pour les populations autochtones qui ont été impitoyablement réprimées voire même massacrées. Ce modèle de colonisation qui est imposé après les guerres de conquêtes comporte un volet essentiel dont on parle moins : la colonisation des esprits. Décortiquer cette colonisation, la Belgique vient d’en faire l’expérience avec l’enquête sur la colonisation du Congo qui nous révèle la réalité historique enfouie sous des décennies de propagande mensongère.

Des conquêtes, des colonisations qui ont fait l’effet de rouleaux compresseurs sur les cultures, les civilisations et sur la nature elle-même. C’est cela l’Anthropocène.

On pourrait croire que l’imminence de la catastrophe écologique freinerait les ardeurs conquérantes et destructrices des puissants de ce monde. Mais non : plus que jamais les grandes puissances s’arment précisément pour maîtriser en leur faveur les rébellions, les révoltes, les guerres, les migrations…

Les Etats-Unis s’arment contre la Chine et la Russie, et font de l’OTAN un outil de propagande destiné à entraîner les pays européens dans cette stratégie belliciste. En riposte, la Chine et la Russie s’arment contre les Etats-Unis, et veulent chacune installer leur empire économique et militaire sur une partie du monde.

La guerre cognitive

Et pour entraîner l’adhésion des populations, les guerres de propagande font rage, en sourdine, discrètement, presque silencieusement. C’est la guerre de l’information, de la désinformation, des fake news, de la culture qui vise à nous distraire des véritables enjeux en présence. Bref, la guerre de conquête du cerveau humain rentre dans une phase extrêmement dangereuse.

En effet, la cyberguerre se développe à toute vitesse. Le militaire reprend le dessus et l’OTAN vient de décider d’affecter un milliard de dollars à la recherche sur la « guerre cognitive » définie comme ceci par un des chercheurs, François du Cluzel, de l’OTAN Innovation Hub : « La guerre cognitive n’est pas seulement un combat contre ce que nous pensons, mais c’est plutôt un combat contre la façon dont nous pensons, si nous pouvons changer la façon dont les gens pensent, c’est beaucoup plus puissant et cela va bien au-delà de la [guerre] de l’information et des opérations psyops ». La guerre cognitive se recoupe avec les entreprises Big Tech et la surveillance de masse, car « il s’agit d’exploiter le big data », explique Du Cluzel. « Nous produisons des données partout où nous allons. Chaque minute, chaque seconde, nous allons en ligne. Et il est extrêmement facile d’exploiter ces données afin de mieux vous connaître et d’utiliser ces connaissances pour changer votre façon de penser. »

Marie-Pierre Raymond, lieutenant-colonel canadienne à la retraite qui occupe actuellement le poste de “scientifique de la défense et gestionnaire de portefeuille d’innovation” pour le programme Innovation for Defence Excellence and Security des Forces armées canadiennes, a déclaré, début octobre : « Il est loin le temps où la guerre était menée pour acquérir plus de terres ». « Maintenant, le nouvel objectif est de changer les idéologies des adversaires, ce qui fait du cerveau le centre de gravité de l’humain. Et cela fait de l’humain le domaine contesté, et l’esprit devient le champ de bataille. »

« Lorsque nous parlons de menaces hybrides, la guerre cognitive est la forme de manipulation la plus avancée vue à ce jour » puisqu’elle vise à influencer la prise de décision des individus et « à influencer un groupe d’individus sur leur comportement, dans le but d’obtenir un avantage tactique ou stratégique. »

Marie-Pierre Raymond constate que la guerre cognitive fait se croiser l’intelligence artificielle, le big data et les médias sociaux.  Elle témoigne ainsi de « l’évolution rapide des neurosciences comme outil de guerre. »

Et pourquoi pas les « communs » ?

Il nous faut donc au plus vite reprendre en main nos droits de citoyens et pousser nos représentants à édifier un nouveau cadre législatif et contractuel au niveau mondial. De plus en plus de dispositions sont prises comme la protection des données privées, la protection des droits intellectuels, la protection des droits fondamentaux en ligne, la taxation (encore très timide) des géants du Net, la protection des lanceurs d’alerte et donc du devoir des journalistes d’informer les opinions publiques sur ce qui détruit nos droits et nos démocraties.

Le mouvement éco socialiste Présence et Action Culturelles propose dans ses analyses que le numérique devienne un « bien commun », par exemple, les GAFAM deviendraient des entreprises publiques accessibles à tous avec une gestion des données par les usagers eux-mêmes.

Cela suppose une véritable révolution mentale où l’on passe de l’omniprésence du concept de propriété privée à celui de biens « communs » à l’humanité, comme l’eau que les forces capitalistes essayent de privatiser, comme l’énergie qui doit devenir « renouvelable » et non plus polluante et privatisée…

Le web avait été créé à usage militaire, donc, financé par les Etats. Il est devenu progressivement la caisse à sous des grosses firmes privées. Il doit revenir dans le giron de la puissance publique, non pas sur le modèle chinois, mais sur le modèle européen d’un réseau neutre d’utilité publique au même titre que des réseaux routiers ou électriques. Bref, il faut créer une « économie dans laquelle les données appartiennent à la communauté et ne peuvent dorénavant plus faire l’objet d’une exploitation unilatérale », selon Ben Caudron (Apache).

Nos gouvernements pourraient bénéficier des milliards d’euros produits par cette économie. Ils peuvent aussi, en urgence, ne pas s’engager dans cette militarisation nouvelle du monde numérique et investir l’argent ainsi économisé dans l’augmentation de production d’énergie renouvelable, dans la transformation du modèle agricole industriel qui détruit la nature, dans l’amélioration de conditions de vie des populations les plus défavorisées, les victimes des guerres, des catastrophes climatiques actuelles et à venir.

Le bien commun est notre seule boussole face à un avenir très sombre.

Sources:

Otan et guerre cognitive:

https://www.rtbf.be/info/monde/detail_otan-un-fonds-d-un-milliard-d-euros-pour-favoriser-l-innovation?id=10864543

https://www.nato.int/docu/review/articles/2021/05/20/countering-cognitive-warfare-awareness-and-resilience/index.html

https://iatranshumanisme.com/2021/10/17/guerre-cognitive-le-cerveau-sera-le-champ-de-bataille-du-21e-siecle/

Les analyses de PAC :

https://www.pac-g.be/analyse-14-philippe-de-grosbois-letat-doit-favoriser-lemergence-dalternatives-libres-et-non-marchandes-face-aux-gafam/

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