Ken Loach sous le vent mauvais de la calomnie

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le cinéaste britannique Ken Loach. Photo © Gabrielle Lefèvre

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Relisez « l’air de la calomnie » dans la pièce de Beaumarchais (1816) et mis en musique par Rossini dans son opéra le « Barbier de Séville » :

« La calomnie ! Monsieur, vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j'ai vu les plus honnêtes gens près d'en être accablés ; croyez qu'il n'y a pas de plate méchanceté, pas d'horreurs, pas de conte absurde qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville, en s'y prenant bien… D'abord un bruit léger, rasant le sol comme une hirondelle avant l'orage… telle bouche le recueille, et, piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement ; le mal est fait : il germe, il rampe, il chemine, et, rinforzando, de bouche en bouche, il va le diable ; puis tout à coup, ne sais comment, vous voyez la calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir à vue d'œil ; elle s'élance, étend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraîne, éclate et tonne, et devient un cri général, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription », (Beaumarchais, Barbier de Sév. II, 8).

Dans le récent opéra des honoris causa de l’ULB, « le pauvre diable » Ken Loach, cinéaste anglais bien connu pour ses positions sociales et son soutien à la cause palestinienne, a été visé par une opération de calomnie (« Imputation que l'on sait fausse, et qui blesse la réputation et l'honneur », selon Littré) de grande ampleur. Il n’en a pas été terrassé, heureusement !

L’affaire a débuté il y a plusieurs mois déjà par des attaques de la droite britannique et des associations juives contre le parti travailliste de Jeremy Corbyn dont le cinéaste Ken Loach est un soutien bien connu.

Selon une dépêche de l’AFP, « Jeremy Corbyn a tenté d'éteindre l'incendie en donnant une longue interview à Jewish News jeudi. Il y indique qu'il y a eu 300 signalements pour antisémitisme au sein du parti depuis 2015 et que 150 personnes ont été exclues ou ont démissionné. "Je ne suis pas un antisémite, je ne l'ai jamais été, je ne le serai jamais", a-t-il affirmé, défendant son bilan. Mais le journal n'a pas été convaincu, et proclamait à sa Une: "Nous avons donné une chance à Jeremy Corbyn pour réparer les dégâts mais ses réponses n'étaient tout simplement ... PAS ASSEZ BONNES". (1)

La même tactique a été utilisée par des associations et des personnalités juives en France et en Belgique contre toute personne qui exprime des critiques par rapport à la politique israélienne de colonisation du territoire palestinien et de répression du peuple palestinien. Toute critique de ce genre est immédiatement taxée d’antisémitisme.

Jamais les réponses, les argumentations même les plus étayées « ne sont assez bonnes » et de toute façon, les opérations de calomnie réussissent toujours à semer le doute et la suspicion auprès de l’opinion publique. C’est bien la politique actuelle que mène le gouvernement israélien, de plus en plus échaudé par le succès des campagnes de « boycott, désinvestissement, sanction » (BDS). Ces actions sont menées dans le monde entier par des citoyens indignés par le non respect des décisions des Nations Unies et des règles du droit international, par Israël et par les pays qui soutiennent cet Etat envers et contre tout. En France, c’est le politologue Pascal Boniface qui a été l’objet d’une campagne du même genre, lui qui démontre des positions modérées à propos de cet épineux conflit du Proche-Orient.

Mais qui dit modéré dit convainquant. Pascal Boniface devient donc plus dangereux qu’un antisémite avéré. Il faut donc le discréditer, comme on a tenté de le faire avec ken Loach à Bruxelles. (2)

Heureusement, en décernant à Ken Loach le titre de docteur honoris causa, l’ULB et son recteur Yvon Englert ont démontré que les valeurs de libre-examen, l’indépendance du jugement, le doute, le rejet de l’argument de l’autorité ont triomphé. Les accusations contre Ken Loach étaient injustifiées, cela a été démontré. La raison a triomphé contre la calomnie. Reste la tristesse, explique Yvon Englert, lui-même issu d’une famille juive « qui a vécu les séquelles de la barbarie nazie », après « cette polémique offensante qui réveille les douleurs » dans une communauté juive importante à l’ULB et qui contribue à son rayonnement universel (deux prix Nobel notamment) ; une polémique qui a provoqué des fractures. « L’ULB devra panser ses plaies », déclare Yvon Englert qui voit l’Alma Mater comme la maison commune de la communauté juive et de toutes les composantes de la société, dans la sécurité et le respect de chacun. Respect de la diversité qui enrichit les uns et les autres, un principe démontré par le choix des docteurs honoris causa, cette année.

La grande vedette de la cérémonie et la plus applaudie fut sans conteste Christiane Taubira, ancienne garde des Sceaux en France et qui a démissionné en signe de protestation contre le projet de loi permettant la déchéance de la nationalité dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Elle décrit cette « cité Monde » qu’est l’ULB « où l’on pratique l’altérité », « où la diversité c’est l’état du monde avec sa richesse, sa complexité, ses ambiguïtés… » Elle avertit : « La perte de la diversité des idées et des modes de vie découle des politiques néolibérales et des pratiques et régimes autoritaires. » Nous sommes responsables de ce monde et nous devons » œuvrer, parler contre ce qui viole la dignité de toute personne humaine », en suivant les articles de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. « Il nous faut préparer et instruire les générations suivantes à propos de l’unité de l’espèce humaine », citant les défis que sont les perpétuelles migrations, les populations réfugiées ; elle rappelle deux tragiques anniversaires en ce mois d'avril: les génocides dont ont été victimes les Arméniens (24 avril 1915) et les Rwandais (7 avril 1994). Mais aussi, une belle victoire des droits humains : la loi du 27 avril 1848 abolissant l'esclavage en France. Un discours qui souligne l'importance de la mémoire des pires crimes commis par cette même humanité et singulièrement le génocide des Juifs tout en soulignant la capacité des humains de créer plus d'humanité.  Il nous faut, poursuit Mme Taubira, « construire un nouvel humanisme », une « modernité chargée de savoirs, d’expériences humaines, de fraternité ».

Les nouveaux docteurs honoris causa de l’ULB en sont les artisans.

(1) https://www.la-croix.com/Monde/Tempete-sein-parti-travailliste-britannique-accuse-antisemitisme-2018-03-29-1300927791

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(2) https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-monde/20090203.RUE8159/antisemitisme-qui-veut-la-peau-de-pascal-boniface.html

Christiane Taubira, lors de la réception à l’ULB. Photo © Gabrielle Lefèvre

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