Et viennent les réfugiés…

Zooms curieux

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28 avril 1998 : Manifestation de l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan à Peshawar, au Pakistan, "pour condamner le sixième anniversaire du déferlement des fondamentalistes sur Kaboul." (RAWA, CC BY 3.0, Wikimedia Commons)

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Le grand désordre mondial créé par les Etats-Unis et les pays membres de l’OTAN démontre une fois de plus l’insondable carence de l’Europe en matière de politique étrangère. Et ce qui est très inquiétant alors que l’Afghanistan s’enfonce dans une guerre civile qui s’annonce sanglante, l’Organisation des Nations Unies est paralysée politiquement et se contente d’apporter l’aide possible aux réfugiés fuyant les combats et la terreur inspirée par l’intégrisme violent des Talibans et celui, plus violent encore, des ultra radicaux de l'Etat islamique.

« En termes de chiffres, nous nous préparons à environ 500 000 nouveaux réfugiés dans la région. Il s'agit du scénario le plus pessimiste », a déclaré Kelly Clements, Haut-Commissaire adjointe de l'agence de l'ONU pour les réfugiés (HCR), à l'occasion de la présentation du Plan régional de préparation et d'intervention pour les réfugiés afghans.

 « N'oubliez pas que plus de 2,2 millions d'Afghans sont déjà accueillis par l'Iran et le Pakistan, et que la fuite est parfois non seulement le dernier recours, mais aussi la seule option dont disposent les gens pour survivre et jouir des droits humains les plus fondamentaux », a-t-elle ajouté.

L'Iran et le Pakistan accueillent en outre 3 autres millions d'Afghans ayant divers statuts, dont de nombreuses personnes sans papier, selon le HCR.

Les puissances occidentales ont dépensé des milliards de dollars pour détruire une société afghane complexe mais qui s’orientait vers une modernisation à l’occidentale dans les grandes villes seulement. Lisez, ci-dessous, l’article de John Pilgers qui rappelle comment cette évolution vers une modernité démocratique a été balayée par les Etats-Unis qui ont favorisé les ultra musulmans, les moudjahidines, et les Talibans dans le but principal de contrer l’influence de l’Union Soviétique dans la région et assurer un projet pétrolier à son profit.

Et nous voilà avec des centaines de milliers de réfugiés parqués principalement dans les pays voisins, et quelques milliers d’heureux bénéficiaires de la protection occidentale qui seront accueillis chez nous.

Alors, l’ONU et ses organisations mettent en branle leurs programme d’aide et d’assistance, avec les moyens réduits que veulent bien lui donner les mêmes pays qui n’ont pas regardé à la dépense militaire. Le plan onusien prévoit un appel de fonds de 299 millions de dollars (254,4 millions d'euros) pour financer cette année les activités des agences de l'ONU, dont le HCR, le Programme alimentaire mondial et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef), ainsi que d'ONG qui travaillent avec les Nations Unies.

Mais qui parle de l’aide indispensable aux populations afghanes dans leur territoire ? Comment protéger les droits des femmes et des enfants ? Comment protéger les défenseurs des droits humains, hommes et femmes héroïques qui entendent bien poursuivre leur mission auprès de leurs concitoyens malgré le nouveau pouvoir en place. Des appels sont lancés au niveau du Parlement européen pour que l’UE protège ces personnes dans le cadre des relations futures avec le nouveau pouvoir afghan.

Ce grand désastre démontre une fois de plus l’obligation que nous avons d’accueillir et d’aider les réfugiés et demandeurs d’asile victimes des agissements des puissants de ce monde. Cette obligation est rappelée par Jean-Pierre Alaux, juriste et membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti) en France :

« L’Hexagone se doit d’appliquer la Convention de Genève de 1951, tout comme les autres pays signataires. Il s’agit du texte fondateur international en matière de droit d’asile, dont le grand prêtre est le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR). Cette Convention définit ce qu’est un réfugié, quels sont ses droits et quelles sont les obligations des Etats signataires à son égard.

L’article 1 stipule qu’un réfugié est une personne qui est persécutée, ou qui craint de l’être, et qui, en raison de cette crainte, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité. Autre élément fondamental de la Convention, spécifié dans l’article 31 : un pays ne peut pas appliquer de sanction aux réfugiés du fait de l’entrée sur son territoire sans autorisation.

Les réfugiés ont ainsi le droit, garanti par l’ONU, de traverser les frontières sans y être autorisés au préalable. Enfin, l’article 31 dit également qu’il n’est pas question pour les États signataires de renvoyer les réfugiés dans leur pays d’origine.

Il est important de noter que, pour la Convention, un réfugié ne se limite pas à ceux qui ont obtenu le statut de réfugié, mais comprend également ceux qui visent la protection du statut de réfugié. »

Soulignons que ce juriste a été indigné par les termes utilisés par le président français Macron appelant à propos des événements en Afghanistan à « anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants ».

« J’ai été scandalisé. Tout simplement car, par définition, il n’y a pas de flux irréguliers de demandeurs d’asile. C’est le droit qui le dit. Un Afghan qui traverse un certain nombre de pays franchit plusieurs frontières, et arrive en France par exemple, n’est pas du tout un « flux irrégulier », puisque la Convention de Genève, que la France a signée, dit que les demandeurs de protection internationale ont la particularité unique, par rapport aux autres types de migrants, de pouvoir se déplacer sans autorisation et, donc, de ne pas être en situation irrégulière lors de ce déplacement. Et ça, Emmanuel Macron le sait parfaitement. Il ment en connaissance de cause. », explique Jean-Pierre Alaux.

  • Interview parue dans Alternatives économiques du 25/08/2021.
  • Le texte de John Pilger, traduit en français :

« Le Grand Jeu de destruction des nations (Consortium News) »

Tandis qu’un tsunami de larmes de crocodile submerge les politiciens occidentaux, l’histoire est occultée. Il y a plus d’une génération, l’Afghanistan avait obtenu sa liberté, que les États-Unis, la Grande-Bretagne et leurs "alliés" ont détruite.

En 1978, un mouvement de libération dirigé par le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan (PDPA) a renversé la dictature de Mohammad Dawd, le cousin du roi Zahir Shah. Cette révolution, immensément populaire, a pris les Britanniques et les Américains par surprise.

Les journalistes étrangers présents à Kaboul, rapporte le New York Times, ont été surpris de constater que "presque tous les Afghans qu’ils ont interrogés ont déclaré qu’ils étaient ravis du coup d’État". Le Wall Street Journal rapporte que "150 000 personnes ... ont défilé pour honorer le nouveau drapeau ... les participants semblaient véritablement enthousiastes".

Le Washington Post rapporte que "la loyauté des Afghans envers le gouvernement peut difficilement être mise en doute." Laïque, moderniste et, dans une large mesure, socialiste, le gouvernement proclama un programme de réformes visionnaires comprenant l’égalité des droits pour les femmes et les minorités. Les prisonniers politiques furent libérés et les dossiers de la police brûlés publiquement.

Sous la monarchie, l’espérance de vie était de 35 ans ; un enfant sur trois mourait en bas âge. Quatre-vingt-dix pour cent de la population était analphabète. Le nouveau gouvernement introduit la gratuité des soins médicaux. Une campagne d’alphabétisation de masse fut lancée.

À la fin des années 1980, la moitié des étudiants universitaires étaient des femmes, et les femmes représentaient 40 % des médecins, 70 % des enseignants et 30 % des fonctionnaires afghans.

Soutenus par l’Occident

Les changements furent si radicaux qu’ils restent vivaces dans la mémoire de ceux qui en ont bénéficié. Saira Noorani, une chirurgienne qui a fui l’Afghanistan en 2001, se souvient :

"Toutes les filles pouvaient aller au lycée et à l’université. Nous pouvions aller où nous voulions et porter ce que nous voulions... Nous avions l’habitude d’aller dans les cafés et au cinéma pour voir les derniers films indiens le vendredi... tout a commencé à mal tourner lorsque les moudjahidines ont commencé à gagner... ils étaient soutenus par l’Occident."

Pour les États-Unis, le problème du gouvernement PDPA était qu’il était soutenu par l’Union soviétique. Pourtant, il n’a jamais été la "marionnette" raillée en Occident, pas plus que le coup d’État contre la monarchie n’a été "soutenu par les Soviétiques", contrairement à ce que prétendait la presse américaine et britannique à l’époque.

Le secrétaire d’État du président Jimmy Carter, Cyrus Vance, a écrit plus tard dans ses mémoires : "Nous n’avions aucune preuve d’une quelconque complicité soviétique dans le coup d’État."

Dans la même administration se trouvait Zbigniew Brzezinski, conseiller à la sécurité nationale de Carter, un émigré polonais, anticommuniste et moraliste fanatique dont l’influence durable sur les présidents américains ne s’est éteinte qu’avec sa mort en 2017.

Le 3 juillet 1979, à l’insu du peuple américain et du Congrès, Carter autorisa un programme d’"action secrète" de 500 millions de dollars pour renverser le premier gouvernement laïc et progressiste d’Afghanistan. La CIA baptisa ce programme du nom de code "Opération Cyclone".

Les 500 millions de dollars ont permis d’acheter, de soudoyer et d’armer un groupe de fanatiques tribaux et religieux connus sous le nom de moudjahidines. Dans son histoire semi-officielle, le journaliste du Washington Post Bob Woodward écrit que la CIA a dépensé 70 millions de dollars rien qu’en pots-de-vin. Il décrit une rencontre entre un agent de la CIA désigné sous le nom de "Gary" et un chef de guerre appelé Amniat-Melli :

"Gary a posé une liasse de billets sur la table : 500 000 dollars en liasses de billets de 100 dollars de 30 cm de haut. Il pensait que ce serait plus impressionnant que les 200 000 dollars habituels, la meilleure façon de dire que nous étions là, que nous étions sérieux, que nous avions de l’argent, que nous savions que vous en aviez besoin... Gary allait bientôt demander au quartier général de la CIA et recevoir 10 millions de dollars en espèces."

Recrutée dans tout le monde musulman, l’armée secrète américaine fut formée dans des camps au Pakistan dirigés par les services de renseignement pakistanais, la CIA et le MI6 britannique. D’autres furent recrutés dans un collège islamique à Brooklyn, New York - à deux pas des tours jumelles. L’une des recrues était un ingénieur saoudien appelé Oussama ben Laden.

L’objectif était de répandre le fanatisme islamique en Asie centrale et de déstabiliser, puis de détruire l’Union soviétique.

Des intérêts plus larges

En août 1979, l’ambassade des États-Unis à Kaboul déclara que "les intérêts plus larges des États-Unis ... seraient satisfaits par la disparition du gouvernement du PDPA, malgré les revers que cela pourrait entraîner pour les futures réformes sociales et économiques en Afghanistan ".

Relisez les mots en gras ci-dessus. Il est rare qu’une intention aussi cynique soit exprimée aussi clairement. Les États-Unis disaient qu’un gouvernement afghan véritablement progressiste et les droits des femmes afghanes pouvaient aller au diable.

Six mois plus tard, les Soviétiques faisaient leur entrée fatale en Afghanistan en réponse à la menace djihadiste créée par les Américains à leur porte. Armés de missiles Stinger fournis par la CIA et célébrés comme des "combattants de la liberté" par Margaret Thatcher, les moudjahidines ont fini par chasser l’Armée rouge d’Afghanistan.

Se faisant appeler l’Alliance du Nord, les moudjahidines étaient dominés par des seigneurs de la guerre qui contrôlaient le commerce de l’héroïne et terrorisaient les femmes des zones rurales. Les Talibans étaient une faction ultra-puritaine, dont les mollahs étaient vêtus de noir et punissaient le banditisme, le viol et le meurtre, mais bannissaient les femmes de la vie publique.

Dans les années 1980, j’ai pris contact avec l’Association révolutionnaire des femmes d’Afghanistan, connue sous le nom de RAWA, qui avait tenté d’alerter le monde sur la souffrance des femmes afghanes. À l’époque des talibans, elles dissimulaient des caméras sous leurs burqas pour filmer les preuves d’atrocités, et faisaient de même pour dénoncer la brutalité des moudjahidines soutenus par l’Occident. "Marina" de RAWA m’a dit : "Nous avons apporté la cassette vidéo à tous les principaux groupes de médias, mais ils ne voulaient rien savoir ....".

En 1996, le gouvernement éclairé du PDPA fut renversé. Le premier ministre, Mohammad Najibullah, s’était rendit aux Nations unies pour demander de l’aide. A son retour, il fut pendu à un lampadaire.

Le Jeu

"J’avoue que [les pays] sont des pièces sur un échiquier", a déclaré Lord Curzon en 1898, "sur lequel se joue un grand jeu pour la domination du monde".

Le vice-roi des Indes faisait notamment référence à l’Afghanistan. Un siècle plus tard, le Premier ministre Tony Blair a utilisé des mots légèrement différents.

"C’est une opportunité à saisir", a-t-il déclaré à la suite du 11 septembre 2001. "Le kaléidoscope a été secoué. Les pièces sont en mouvement. Bientôt, elles se stabiliseront à nouveau. Avant qu’elles ne le fassent, réorganisons ce monde autour de nous."

Sur l’Afghanistan, il a ajouté ceci : "Nous ne nous retirerons pas [mais nous veillerons à] trouver un moyen de sortir de la pauvreté qui constitue votre misérable existence."

Blair faisait écho à son mentor, le président George W. Bush, qui s’est adressé aux victimes de ses bombes depuis le bureau ovale : "Le peuple opprimé d’Afghanistan connaîtra la générosité de l’Amérique. Lorsque nous frapperons des cibles militaires, nous larguerons également de la nourriture, des médicaments et des fournitures aux personnes affamées et souffrantes... "

Presque chaque mot était un mensonge. Leurs prétendues préoccupations étaient de cruelles illusions qui couvraient une sauvagerie impériale que "nous", en Occident, reconnaissons rarement comme telle.

Orifa

En 2001, l’Afghanistan était sinistré et dépendait des convois de secours d’urgence en provenance du Pakistan. Comme l’a rapporté le journaliste Jonathan Steele, l’invasion a indirectement causé la mort de quelque 20 000 personnes, car l’approvisionnement des victimes de la sécheresse a cessé et les gens ont fui leurs maisons.

Dix-huit mois plus tard, j’ai trouvé dans les décombres de Kaboul des bombes à fragmentation américaines non explosées, souvent confondues avec des colis de secours jaunes largués depuis les airs. Elles arrachaient les membres d’enfants affamés en quête de nourriture.

Dans le village de Bibi Maru, j’ai vu une femme appelée Orifa s’agenouiller devant les tombes de son mari, Gul Ahmed, un tisseur de tapis, et de sept autres membres de sa famille, dont six enfants, et de deux enfants tués dans la maison voisine.

Un avion F-16 américain s’était détaché d’un ciel bleu clair et avait largué une bombe Mk82 de 500 livres sur la maison de terre, de pierre et de paille d’Orifa. Orifa était absente à ce moment-là. À son retour, elle a rassemblé les morceaux de corps.

Des mois plus tard, un groupe d’Américains est venu de Kaboul et lui a donné une enveloppe contenant 15 billets : un total de 15 dollars. "Deux dollars pour chaque membre de ma famille tué", a-t-elle dit.

L’invasion de l’Afghanistan était une supercherie. Au lendemain du 11 septembre, les Talibans ont cherché à se distancer d’Oussama Ben Laden. Ils étaient, à bien des égards, un véritable partenaire américain avec lequel l’administration de Bill Clinton avait conclu une série d’accords secrets pour permettre la construction d’un gazoduc de 3 milliards de dollars par un consortium de compagnies pétrolières américaines.

Dans le plus grand secret, des dirigeants talibans avaient été invités aux États-Unis et reçus par le PDG de la société Unocal dans son manoir du Texas et par la CIA à son siège en Virginie. L’un des négociateurs était Dick Cheney, qui deviendra plus tard le vice-président de George W. Bush.

En 2010, j’étais à Washington et je me suis arrangé pour interviewer le maître d’œuvre de l’ère moderne de souffrance de l’Afghanistan, Zbigniew Brzezinski. Je lui ai cité son autobiographie dans laquelle il admettait que son grand projet d’attirer les Soviétiques en Afghanistan avait créé "quelques musulmans agités".

J’ai demandé "Avez-vous des regrets ?"

"Des regrets ! Des regrets ! Quels regrets ?"

Lorsque nous assistons aux scènes actuelles de panique à l’aéroport de Kaboul, et que nous écoutons les journalistes et les généraux dans des studios de télévision se lamenter à distance sur le retrait de "notre protection", n’est-il pas temps de prêter attention à la vérité historique afin que toutes ces souffrances ne se reproduisent plus ?

John Pilger

Le film de 2003 de John Pilger, Breaking the Silence, sur la "guerre contre le terrorisme", peut être visionné ici.

Traduction "Les bons journalistes existent. C’est juste que les grands médias n’en veulent pas" par Viktor Dedaj avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» https://consortiumnews.com/2021/08/24/john-pilger-the-great-game-of-sm...

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