Changer la Finance? Mais oui, c’est possible

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Par | Journaliste |
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Une manifestation de sans-papiers au boulevard Pachéco, au pied de la Tour des Finances à Bruxelles et non loin du siège de la Banque Nationale de Belgique. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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La Finance, avec un grand F : tout un monde dont nous ne percevons que l’aspect utilitaire et ses contraintes, pour nous, dans la vie de tous les jours et une image de coffre-fort de plus en plus numérisé censé abriter nos maigres fortunes (avec un petit f !)

La Finance représente surtout une gigantesque constellation de multinationales bancaires, de fonds de pension, d’organismes internationaux censés la réguler, d’outils d’évasion fiscale (dont les célèbres paradis fiscaux) … Tout cela nous plonge dans l’enfer de l’incompréhension d’un système multiforme qui brasse des milliards de milliards de monnaies servant le système économique actuel baptisé de capitalisme mondialisé.

Nous avons connu un système bancaire proche de nous, gérant avec nous l’arrivée de nos salaires et autres revenus sur nos comptes, notre épargne patiemment accumulée et notée sur des livrets qui nous suivaient quasi depuis notre naissance jusqu’à notre décès. Des employés nous conseillaient, nous expliquaient comment emprunter pour le logement qui allait abriter notre famille, pour la voiture qui était présentée comme le symbole de notre « liberté » d’aller où nous voulions quand nous le voulions ou presque.

Il y avait de la confiance en ces banques et caisses d’épargne qui accomplissaient un rôle sociétal, et un dialogue permettant de mieux choisir comment gérer nos biens.

Des colosses aux pieds d’argile

Cela, c’était il y a 50 ans. Progressivement a été instauré un système de capitalisme mondialisé basé sur des idées néolibérales propagées par des économistes américains et soutenues parfois par la force des armes par les gouvernements des Etats-Unis. L’Europe, l’Asie, l’Afrique et même la Russie se sont alignés sur ce système qui a vu le triomphe des super banques, elles que l’on a qualifiées de « too big to fail » à l’occasion de la crise financière de 2008.  Une crise qui a marqué la fin d’un système devenu fou à cause de la cupidité des acteurs financiers détachés de l’économie réelle, la nôtre et celle de nos entreprises locales.

Dans Financité, Valéry Paternotte nous décrit la puissance de ces banques : « le bancassureur KBC fait par exemple 1,38 fois la taille d’AB Inbev, près de 13 fois celle de Solvay et 67 fois celle de Proximus. »  « En Allemagne, Deutsche Bank pèse l’équivalent de 45% du PIB du pays. Les 4 plus grandes banques françaises représentent ensemble 314% du PIB du pays. Le groupe ING fait presque 1,4 fois le poids du PIB des Pays-Bas. »

Ces banques sont devenues des poids lourds et encore, moins lourds que les hyper banques dont voici le Top 10 mondial : Banque industrielle et commerciale de Chine (4.913 milliards de dollars d’actif total), Banque agricole de Chine (4.008 milliards de dollars), China Construction Bank Corporation (3.652 milliards de dollars), Bank of China ltd (3.627 milliards de dollars), Mitsubishi UFJ Financial Group (Japon, 3.354 milliards de dollars), JPMorgan Chase (USA. 3246 milliards de dollars), HSBC Holdings plc (Grande-Bretagne, 2.956 milliards de dollars), BNP Paribas (France, 2.946 milliards de dollars), Bank of America (USA, 2.738 milliards de dollars), Crédit agricole (France, 2.386 milliards de dollars).

On constate ici l’enjeu de la guerre financière entre les Etats-Unis et la Chine, remportée pour l’instant par la Chine ce qui provoque l’ire du président US Jo Biden, bien décidé à reconquérir la première place mondiale. 

La puissance de ces hyper banques est plus grande que celle des Etats et nos gouvernants n’ont quasi plus rien à dire. Une armée de lobbyistes est à l’œuvre auprès de nos décideurs politiques, et leurs experts deviennent des hauts fonctionnaires de nos institutions politiques européennes où ils influencent les politiques économiques et financières.

Or, ces grandes banques font de moins en moins de crédits aux entreprises et de plus en plus d’opérations sur titres ou sur les produits dérivés, souligne Valéry Paternotte. « Ces banques sont de plus en plus tournées vers les marchés de capitaux et ‘vers elles-mêmes ‘. Comme le rappelle l’économiste John Kay, le secteur financier fait beaucoup de choses qui n’ont pas besoin d’être faites et oublie de faire des choses qui ont besoin de l’être, à savoir répondre aux besoins des ménages et des entreprises. »

Nous avons pu constater en effet que de grandes banques comme ING par exemple, font tout pour éjecter de petites associations, non rentables pour elles. On connaît pourtant l’importance de la vie associative pour revitaliser le fonctionnement démocratique de la société. Quant à l’aide aux personnes âgées ou handicapées, ou trop pauvres, désorientées par l’informatisation complète du système bancaire, elle est de plus en plus parcimonieuse et elle coûte de plus en plus cher. Et l’on voit des personnes âgées désespérées par l’indifférence de « leur » banque où le personnel n’est plus disposé à les aider à gérer leurs comptes et leur assène un « voici un lecteur de carte, c’est très facile ! » qui sonne comme une insulte. Cela s’est vu chez BNP Paribas, qui se trouve dans le Top 10 des plus grosses banques mondiales. Mais les exemples d’exclusion bancaire sont multiples.

L’alternative : la finance éthique et durable

Ces colosses financiers ont des pieds d’argile : la crise financière de 2008, la grande crise climatique, la pandémie Corona ont révélé l’absurdité et le danger de ce système financier qui sert avant tout ses propres intérêts.

Retrouver une économie qui permette la survie de l’humanité est encore possible grâce à une alliance entre les citoyens et leurs représentants politiques et l’évènement de banques éthiques et durables qui retrouvent leur vocation première : aider l’économie réelle et le bien-être de tous tout en sauvegardant nos écosystèmes. C’est ainsi que l’on voit apparaître de plus en plus de banques éthiques et durables qui prêtent proportionnellement presque deux fois plus à l’économie réelle que les grandes banques européennes d’importance systémiques. Elles s’appuient beaucoup plus sur les dépôts de leurs clients pour financer leur bilan que les grandes banques systémiques, souligne Valéry Paternotte.

Nous avons tous la possibilité de reprendre le pouvoir sur notre argent et sur l‘avenir du système bancaire : choisir d’autres banques qui privilégient l’éthique et le durable, militer pour réinstaurer une banque publique, investir dans des coopératives, faire pression sur nos banquiers actuels en choisissant des secteurs éthiques dans lesquels nous souhaitons investir (logement solidaire et durable, sauvegarde de la nature, énergies durables…) Dénoncer les placements effectués par des grandes banques comme BNP Paribas, comme ING, pour ne citer que les plus proches de nous, dans des activités d’exploitations de matières premières contraires aux droits humains et à la sauvegarde de l’environnement.

Les citoyens peuvent aussi utiliser des monnaies locales afin de renforcer les circuits courts de production et de consommation. Ils peuvent dénoncer le « tout numérique » en continuant à utiliser le cash, en dénonçant l’exclusion des séniors et des plus démunis du système bancaire digitalisé. Ils peuvent placer leur épargne dans des actions solidaires, dans l’immobilier coopératif, réhabiliter le service bancaire de base, obtenir la transparence sur les coûts de gestion des comptes, etc.

« Ensemble, changeons la finance », tel est le slogan du réseau Financité, dont une des principales actions est l’information sur ce monde trop souvent inconnu des citoyens et dont pourtant ils dépendent entièrement. Financité a été d’ailleurs été reconnu comme mouvement d’éducation permanente. Le réseau lance actuellement une nouvelle banque coopérative, éthique : la NewB. Il a aussi lancé « Fin Common », une coopérative d’investissement pour les entreprises d’économie sociale.

La BNB devant la Justice

Les citoyens peuvent aller encore plus loin : la Banque Nationale de Belgique vient d’être traînée devant la Justice par l’ONG Client Earth. La BNB est accusée de participer au programme de rachat de titres financiers mené par la Banque centrale européenne depuis 2015. Or, la moitié du portefeuille ainsi acheté est constitué d’obligations émises par des entreprises actives dans les secteurs les plus polluants pour la planète. « En achetant des obligations à forte intensité carbone, la BNB permet à certains des pires pollueurs européens d’accéder à des financements bon marché et facilite leurs activités alors qu’elles sont tout à fait néfastes pour le climat. », explique Client Earth dans un article de Dominique Berns dans Le Soir. Le tribunal de première instance de Bruxelles devra donc interroger la Cour de Justice de l’Union européenne sur la légalité de ce programme d’achat qui contrevient aux traités européens et à toute la politique européenne visant à protéger le Climat.

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Et si nous devenions nous-mêmes des banquiers de l’économie réelle ? C’est la formule des emprunts d’Etat qui recueillent une partie de l’épargne populaire. Une piste en ce sens a été lancée il y a un an par Georges Hübner, professeur de finances à HEC Liège. Afin d’aider les PME qui ont un urgent besoin d’aide financière dans le cadre de la crise que nous connaissons, on pourrait envisager un « Fonds fédéral solidaire de participation » qui serait financé via un grand emprunt populaire et garanti par l’Etat afin de rassurer les épargnants qui, au mieux, gagneraient quelques dividendes, au pire récupèreraient intégralement leur mise. « L’épargnant solidaire aurait donc la certitude que son investissement sera économiquement au moins aussi rentable que son compte d’épargne, et le sentiment d’œuvrer concrètement pour la remise sur pied d’une économie meurtrie par la crise. », explique Georges Hübner.

De quoi arrimer la solidarité avec la Finance.

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