Armel Job et Franck Bouysse se sont croisés à Bruxelles

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Armel Job est un grand conteur de Wallonie. Franck Bouysse puise son inspiration dans les grands espaces des Cévennes. Photos © DR / Robert Laffont et DR

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Foire du Livre de Bruxelles, un soir de février. La nuit est tombée, la balade de la gare du Nord à Tour & Taxis passe par l'ancien garage Citroën qui deviendra un centre d'art posté au bord du canal. Dans les halls les visiteurs ont la tête qui tourne. Tant de livres à découvrir. Un peu comme les lumières d'une ville. Chacune abrite un foyer, des gens que vous risquez de ne jamais croiser. Dans les espaces dévolus aux rencontres et débats, des auteurs se livrent, le public défile, certaines personnes se posent pour écouter. Des écrivains, ici, croisent leurs trajectoires. Ainsi Armel Job et Franck Bouysse, venus parler des espaces qui les inspirent. Le premier plante ses personnages et leurs histoires en Wallonie, que ce soit en Ardenne ou au Pays Noir ou encore à Liège. Le second, qui vient de Corrèze, élabore une fresque dont les racines poussent dans le Massif Central.
 









Armel Job Photo © DR

Armel Job présente son dernier ouvrage, "Une femme que j'aimais", publié chez Robert Laffont. Quelque part dans le décor carolo, un homme enquête sur une femme dont il était proche et qui le fascinait. En arrière-plan, la catastrophe de Marcinelle 1956. Cet auteur a publié une quinzaine d'ouvrages. Il a un sens du récit qui tiendrait de l'art des conteurs de toujours. Franck Bouysse est venu avec "Glaise", sorti à la Manufacture de Livres. Ce drame se déroule dans le Cantal, durant l'été de 1914. Une grande passion dans une contrée si éloignée des villes qu'on la croirait oubliée dans une campagne invisible où la nature déploie toute son âpreté.

Armel a été professeur, Franck aussi. Vingt années les séparent. Franck approche des 50 ans. Armel enseignait le latin et le grec, Franck, la biologie. Ils écrivent mûs par un besoin de tracer sur le papier, à la main, lentement, les paysages, les atmosphères et les visages qu'ils ont en tête. ils libèrent, chacun à leur manière, des personnages qui prennent le lecteur par la main et lui font oublier l'endroit où il déchiffre les mots. Les histoires de ces auteurs qui se rencontrent ont quelque chose de familier, des liens. Peut-être une ancienne fascination pour les moments où l'on écoutait parler un ancien, le soir. Ou des fragments de lectures captés lors de dictées, à l'école primaire, quand on rêve grâce à la couleur et à la sonorité des mots, quand on voit s'écarter les murs par la grâce des phrases.

Les deux auteurs évoquent les décors qui les ont façonnés, la quête qui les pousse à prendre par la main leurs héros pour en révéler la lumière à des inconnus. Ils aiment Giono, Simenon,  Jim Harrisson, James Crumley, William Faulkner, ces auteurs qui ont cherché à embrasser des univers en marchant à travers villes, champs et aussi sans doute à travers le temps qui file comme la truite fario nage dans la Lienne du côté de Chevron. Et la magie de l'instant s'instaure, Armel et Franck, au-delà de leurs ouvrages, écrivains qui ont chacun un public important, témoignent de cet art qui fait que les lignes finissent par se brouiller, tels les souvenirs flous, jusqu'à  faire tourner la tête. Puis, quand le roman est fini ils se remettent au boulot, commencent à reconstruire un autre monde de papier, d'encre et de souvenirs transcendés. Pour les partager.

La rencontre touche à sa fin et on sent bien que les gens assis pour écouter n'ont pas envie de se lever. Il faudra lire et relire les livres d'Armel Job et Franck Bouysse, pour s'aventurer plus profondément dans leurs grands paysages, pour écouter avec eux le vent qui chante dans les arbres de la forêt, les appels des oiseaux quand se pointe le printemps, pour ressentir la solitude qui parfois s'avère plus froide que le gel au fond de l'hiver, que ce soit dans les vallées d'Ardenne, les terrils de la cordillère noire ou à l'ombre des volcans, dans l'entaille des vallées des Cévennes et ces hameaux où les derniers paysans tentent de s'accrocher à un mode de vie malmené.


Franck Bouysse Photo © DR / Francetvinfo

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Suivons-les, ces enchanteurs... Dans "Glaise", page 194, Franck nous dit; "On passa à l'hiver par un mince trait d'union teinté d'ocre et de rouge. Le froid s'installa, la neige se mit à tomber début novembre, et on se recroquevilla derrière les murs, car il n'y avait plus guère que cela à faire, courber l'échine, attendre que ça passe." Et Armel, page 134, dans "Une Femme que j'aimais": "Le samedi, vers cinq heures, je suis allé jusqu'au café Chez Leduche, où les musiciens de la fanfare ouvrière avaient l'habitude de prendre un verre après la répétition. Ils étaient une dizaine, installés autour des tables rondes à trépied sur lesquelles reposaient les instruments les moins volumineux."         

Ce soir-là, les artistes étaient d'accord sur un fait qui les rapproche. Chacun à leur manière ils donnent la parole à celles et ceux qui ne parlent pas. Ils peignent les décors que l'on finirait par ne plus voir, parce que trop communs, ou trop lointains, ou parce que les regards s'émoussent si on ne veille pas à lever les yeux. Ces écrivains seraient comme des laboureurs qui creusent des sillons à travers la terre lourde pour y poser des semences de mémoire vive. Ils nous donnent envie de pousser la porte et d'aller explorer les lieux où nous vivons, pour raboter les apparences et aller au coeur du bois dont sont faits les humains, ces arbres aux racines nomades.

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