Apprendre à lire et à vivre

L'as-tu lu,lulu?

Par | Journaliste |
le
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On n'imagine pas à quel point la vie de critique littéraire est dure. Je sais, j'ai déjà fait dire ça à l'Ogre, en remplaçant littéraire par gastronomique. Mais il y a des points de ressemblance et ce sont deux romans à déguster que nous vous proposons aujourd'hui: «Ariane», de Myriam Leroy, et «Apprendre à lire», de Sébastien Ministru. Par lequel commencer?

Dans la logique la plus absolue, il vaudrait mieux d'abord apprendre à lire, mais l'ordre alphabétique avantage de justesse l'initiale L. J'ai donc, après de douloureux moments d'hésitation et déchiffrage des quatrièmes de couverture, commencé par voir quel fil tissait cette Ariane-là. C'est du vénéneux, du maléfique, et en lisant l'histoire de cette amitié adolescente fusionnelle entre la narratrice, qui se sent moche et très classes moyennes (encore que bonne élève, la sociologie n'est pas la sémantique), on en vient à se demander comment Myriam Leroy, qui ne cache pas une part autobiographique dans tout ça, a survécu à cet enfer. Sans doute parce qu'elle le nimbe d'une élégance soignée.

C'est bien écrit sans être léché et si par moments, on cherche des comparaisons (celle qui vient le plus naturellement à l'esprit est Leila Slimani), soudain quelques pages très fortes n'appartiennent qu'à elle, comme ce coup de téléphone destructeur et cette réflexion perçante sur la difficulté de faire vraisemblable quand on dit le vrai. C'est une histoire de la fin du XXème siècle, avant les réseaux sociaux et les moteurs de recherche – une autre époque. Il faut presque lire ça comme on le ferait de Choderlos de Laclos, à ceci près que la ligne fixe a remplacé la lettre manuscrite.

Sébastien Ministru, lui, vit dans l'époque contemporaine : son narrateur est un grand journaliste qui parti de rien est arrivé.

Arrivé, mais encore faut-il savoir dans quel état, comme dirait l'humoriste, car s'il exulte discrètement d'une réussite professionnelle précise, le lancement d'un journal en ligne, le bonhomme n'est pas de prime abord extrêmement sympathique, même si par sens du devoir, il veille sur son vieux père, un veuf venu dans le Nord pour travailler dans la mine. Or le vieillard, tout au début du livre, émet un vœu insolite : il demande à son fils de lui apprendre à lire. Car il n'est allé à l'école que très peu de temps, son père l'en extrayant pour en faire un berger dans les collines de Sardaigne. Le fils cède malgré ses réticences. À quoi diable peut servir à un octogénaire d'apprendre à lire ? Mais à savoir lire, répond-il. Puis un troisième personnage apparaît de nulle part, s'affirme instituteur et en effet, apprend à lire au vieil homme avant de s'évaporer à l'autre bout du monde. Ce court et percutant roman, dont la chute trahit son journaliste de talent, est à la fois une interrogation existentielle et un hommage à l'amour filial même quand celui-ci n'est pas facile. (Texte J.R. et photos J.-F.H.)

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Myriam Leroy, Ariane, Don Quichotte, Paris, 2018.
Sébastien Ministru, Apprendre à lire, Grasset, Paris, 2018.

Lire aussi le reportage de la présentation des deux romans à la librairie TaPage

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