Shaka : Déconstruire la forme, reconstruire la forme.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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La distinction entre les mots « artisan » et « artiste » est récente. A peine plus de sept siècles. Deux mots de notre langage pour désigner deux concepts différents, cela nous semble relever de l’évidence. Pourtant appliquée à des domaines particuliers la distinction interroge.

Prenons l’exemple du street art (comme par hasard !). Tentons d’y voir clair ! Il est vrai que nombre de street artistes font ce que font des entreprises de décoration extérieure qui peignent des « murs » ou des trompes l’œil, voire de somptueux panoramiques dans des appartements et des villas de grand luxe. Ce n’est donc pas l’œuvre achevée qui permet de distinguer l’artisan de l’artiste. Je propose la définition suivante de l’artiste : l’artiste est un créateur. Un créateur de formes et/ou d’harmonies colorées. Il invente ce qui n’a, avant lui, jamais existé.

Quelques exemples, d’après moi, vérifient cet essai de définition. Si une entreprise de décoration extérieure peint une superbe fresque en 3 D sur un mur, ce ne sont pas les peintres, ceux qui tiennent le rouleau et le pinceau, qui sont les créateurs. C’est le créateur du projet artistique, celui qui a dessiné les croquis qui ont servi de modèles aux peintres. Dit autrement, c’est lui l’artiste.

Cet exemple rejoint l’histoire de la peinture. Les grands peintres de la Renaissance travaillaient dans des ateliers avec des apprentis qui fabriquaient les couleurs et des « petites mains ». En fonction de leur expérience et de leurs talents, des apprentis se spécialisaient dans la peinture des tissus, d’autres dans les éléments de décor, d’autres encore dans les paysages. Le maître élaborait les croquis préparatoires et se « réservait » le visage et les mains dont la représentation était la « signature » du maître. Cette division du travail, ancêtre du taylorisme appliqué à l’industrie, a atteint à mon sens son apogée avec la baroque flamand. Les maîtres (je pense à Rubens, Van Dyck etc.) recrutaient les peintres de leur pays les plus doués pour peindre, qui les dentelles, qui les fleurs, qui les velours, qui les paysages etc. Personne n’oserait attribuer une toile de Rubens à la somme des peintres de son atelier ayant participé à la réalisation du tableau.

Bref, ces considérations valent également pour les street artistes. Il y a des artisans et des artistes. Curieusement, comme un retour aux ateliers d’antan, les muralistes d’aujourd’hui sont en fait des équipes dont les membres sont spécialisés. Les « murals » sont attribués à l’artiste créateur du projet et inventeur des formes. Incontestablement, Marchal Shaka est un artiste. La découverte de son travail a été une belle rencontre[1]. Une rencontre avec des œuvres qui surprennent.

Surprise tout d’abord dans le « process » mis en œuvre. On a le sentiment que l’artiste dans un premier temps décompose une représentation d’une réalité en volume en longs rubans ayant une épaisseur et, dans un deuxième temps, reconstruit le sujet à l’aide de multiples rubans qui s’enchevêtrent suggérant la profondeur et le relief. Un process fondé sur une déconstruction et une reconstruction.

Les « rubans » et leur entrelacs subtil composent des portraits, des personnages en pied, des scènes. Trait typique de l’art de Shaka, il ne peint que des personnages. Parfois des visages exprimant des émotions, des personnages symboliques comme Marianne, des scènes mettant en relation plusieurs personnages. De manière symptomatique, Shaka ne représente pas les « éléments de décor ». Ses personnages sont dessinés ou peints dans l’espace du plan. Ils revendiquent le statut de création de l’esprit. Ils n’imitent pas les acteurs d’une scène naturaliste. Ce sont des dessins, des fresques, des « murals », objets-en-soi et non des imitations de la nature et des conventions de représentations qui y sont attachées. Pas de pluralité des plans dans le travail de Shaka, pas de paysage, pas d’environnement. Car ces personnages sont pures créations qui ne singent pas la nature ou si peu. Bien sûr, nous reconnaissons les traits d’un visage. Ou plutôt, nous recombinons les « rubans » pour, à notre tour, recréer la création. En ce sens, l’œuvre de Shaka est une œuvre radicale.

Dans mon précédent article, une certaine naïveté m’a amené à voir dans les décompositions des formes de Shaka une manière de rendre compte du mouvement. Ce sont les formes courbes qui m’ont trompé. Il est vrai que les « rubans » courbes sont des formes très dynamiques qui semblent traduire le mouvement des personnages. C’est parfois juste. Mais seulement parfois. En fait, la courbure des rubans marque les contours qui sont eux courbes et les lignes d’un corps sont toutes courbes et on sait que la ligne droite n’existe pas dans la nature. Notre monde est courbe.

Comment s’étonner que l’œuvre peinte de Shaka s’enrichisse de la sculpture. Ces œuvres peintes qui recréent si bien le volume sont en quelque sorte les croquis préliminaires des sculptures.

Comment s’étonner d’une œuvre qui intègre l’abstraction ? Toute l’œuvre de Shaka est abstraite et elle n’a aucun point commun avec le naturalisme.

Shaka sur la scène street art française est une exception et son œuvre échappe à toute catégorisation. Elle ne doit rien au graffiti, pas grand ’chose à la peinture de chevalet. Elle est bien davantage apparentée à la sculpture y compris l’œuvre graphique. Le raffinement, la sophistication des œuvres crée un rare plaisir au regardeur dont le regard se perd dans les circonvolutions des rubans dont l’entrelacs crée l’illusion du volume. Notre regard suit le chemin tracé par les rubans et s’égare. C’est le parcours de notre regard qui donne à l’œuvre une seconde naissance. En cela, le travail de Shaka a plus à voir avec un art contemporain cinétique et conceptuel.

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