Un musée des horreurs

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Des horreurs! Sur nos murs, les street artistes peignent, affichent des horreurs! Des horreurs vous dis-je!

Des exemples? Ils sont innombrables!

Considérons l'oeuvre d'Eric Lacan, oeuvre remarquable à bien des égards à propos de laquelle j'ai déjà beaucoup écrit. L'artiste peint des crânes humains, des os, de noirs corbeaux festoyant de chair humaine, des rats se délectant de cadavres...et de ravissantes femmes. Ravissantes, mais on ne peut plus mortes! Leur peau, décomposée, laisse apparaitre le squelette. Pire encore, le regard, lui bien vivant, fixe le chaland. Un sacré cauchemar sous la forme classique d'une vanité.

Ajoutons pour faire bon poids, les animaux les plus effrayants, des monstres, les portraits des êtres les plus machiavéliques de notre cinéma et même, last but not least, le diable en personne est convoqué. Belzébuth, le prince des ténèbres, l'ange déchu, Méphistophélès.

La mort, ses attributs et ses variantes, côtoient le Mal incarné.

Le nombre des représentations de l'horreur, de l'angoisse, de la peur, méritent qu'on s'y arrête pour essayer d'y voir clair. Pourquoi une telle récurrence des figures de l'horreur?

Faute d'un examen exhaustif de l'ensemble de ces figures, je limiterai mon propos dans ce billet à une figure typique : celle du squelette. Quitte à aborder dans de prochains billets d'autres figures intéressantes : celle de l'animal et la référence aux "méchants" quasi universels dont les images sont de nouvelles icônes.

Le equelette est présent dans de très nombreuses oeuvres, le squelette humain et le squelette animal.
Les crânes humains sont le plus souvent intégrés dans des compositions, les vanités. Elles symbolisent explicitement la mort. La vanité qui dans la peinture classique avait une fonction religieuse, a quelque peu perdu aujourd'hui de sa signification première. Traditionnellement, le spectacle de la mort et de son cortège symbolique (le temps qui passe, la briéveté de la vie et l'éternité de l'au-delà, la vanité des choses humaines etc.) était un constant rappel de l'échéance finale. La vie étant une "vallée de larmes", les fidèles devaient par une vie de dévotion et d'obéissance aux commandements de l'Eglise préparer leur salut, sous peine d'endurer pour l'éternité les tourments de l'enfer. Longtemps, ces vanités eurent leur place dans des lieux dédiés à la prière.

La représentation des squelettes dans le street art, les crânes et les os, ont de nos jours perdu cette dimension religieuse.
La représentation des crânes, des skulls comme disent les initiés, sont des exercices obligés permettant de juger du degré de maîtrise de l'artiste. Les dits skulls renvoient bien davantage au comportement bravache de celui qui ose défier la mort, qui nargue la camarde. Peindre les attributs de la mort revient symboliquement à la défier. Même pas peur!

Ne négligeons pas le fait que peindre sur un mur, dans un lieu public des crânes et des ossements est certainement pour nombre d'artistes une provocation délibérée des "braves gens".

Cela résulte, en grande partie, d'un malentendu.

Pour beaucoup, tous les attributs de la mort, ont une valeur sacrée. Il suffit pour s'en convaincre d'observer les comportements des visiteurs des cimetières. La décence obligée de la tenue vestimentaire, le silence, le respect des tombes etc. sont des comportements sociaux hérités d'anciennes croyances. Croyances elles-mêmes intégrées dans un système social durablement marqué par les interdits religieux.

Notre rapport aux représentations de la mort s'est érodé comme s'est érodé la pratique et la culture religieuse. Jusqu'à perdre, du moins pour certains, la dimension symbolique des représentations de la mort. Une perte de signification à laquelle s'est subtituée d'autres significations se démarquant d'une pensée religieuse.

Pour ce qui concerne les squelettes d'animaux, je pense en particulier au travail du Belge Roa, le discours est d'une tout autre nature.

L'oeuvre puissante et spectaculaire de Roa n'est pas sans poser question. Pour ma part, je considère que sa représentation des squelettes animaux n'a rien voir avec le concept des vanités et l'imaginaire de la mort. J'y vois plutôt l'expression et l'exaltation de la beauté formelle de la savante architecture d'un squelette. J'ai noté que le choix des squelettes obéit à des contraintes du support. En d'autres termes, Roa choisit un squelette et une position de ce squelette de manière à occuper la plus grande partie de l'espace disponible, en veillant à l'équilibre et à l'harmonie de la composition.

Cela n'est pas sans rappeler les squelettes d'animaux qui décoraient jadis les cabinets de curiosités. Ces squelettes reconstitués étaient appréciés pour leur intérêt scientifique mais également pour leur rareté et leur beauté formelle. Nombre de ces squelettes ont servi de modèles aux dessinateurs et aux peintres, séduits par les ressources graphiques qu'ils présentaient.

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Etrange paradoxe, les Hommes, depuis des temps immémoriaux, ont donné aux ossements humains une valeur sacrée alors que ces mêmes Hommes ont privé les animaux de la dimension sacrée de leurs os en voyant dans l'architecture complexe de leurs squelettes une image de la beauté révélée.


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