Seth, globe-painter, mais pas que…

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Seth, globe-painter, adapte sa fresque au support.

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Seth, disons-le au risque de vous déplaire, n’a rien à voir avec la divinité égyptienne au museau pointu et aux oreilles dressées. Julien Malland est français, né à Paris en 1972. Il s’illustre dans des disciplines différentes de l’art : la fresque, le mur, la peinture de chevalet, la sculpture, l’édition. Si son blaze, son nom d’artiste, n’a pas de rapport avec l’homme et l’artiste, son surnom de « globe-painter » définit assez bien une part de son projet artistique.

Si les formes de son art sont multiples, deux thèmes sont récurrents : la représentation de situations mettant en scène des enfants, un goût assumé du surréalisme. Les deux fusionnant le plus souvent pour donner à voir des enfants dans des situations surréalistes.

Ceci étant dit, on reste à la surface des choses, littéralement, on est superficiel. « La vérité n’est pas ailleurs », comme aurait dit notre regretté ami David Vincent, mais elle se cache. Essayons de soulever une partie du voile.

Réduire l’univers graphique de Seth aux enfants n’est pas tout à fait juste. Il est vrai que la grande majorité des œuvres montrent des enfants mais on trouve également des « grandes personnes », des femmes notamment, et, aussi des animaux. Ne chipotons pas, l’œuvre est dominée par des portraits de l’enfance. Des enfants, garçons et filles, intégrés dans un environnement « local », ayant les traits distinctifs (quoiqu’exagérément démonstratifs) de leur identité. Ces traits (ceux du visage, de la coiffure, du costume etc.) sont des marqueurs identitaires symboliques qui s’éloignent notablement de la fidélité dans la représentation. Les sujets, les éléments de décor, ne sont pas réalistes ; les « traits pertinents » sont codés et font sens pour les Occidentaux. Les enfants de Seth sont des enfants rêvés par un Français, des portraits symboliques aisément lisibles pour celui qui regarde.

Les enfants semblent avoir à peu près le même âge : ils ont entre, disons 8 et 12 ans. Ce ne sont plus des « petits enfants » ; ce ne sont pas des adolescents. Gardons le mot « préadolescents » pour en parler. Des « préados » donc, des deux sexes. Le genre est rendu manifeste par la forme des visages, de la coiffure, des vêtements mais les attributs des garçons et des filles renvoyant à la sexualité sont évités. Evités, masqués, cachés. Les enfants sont des garçons et des filles d’avant l’éveil de la sexualité. Les situations dans lesquelles garçons et filles interagissent sont, de ce point de vue, significatives. No sex. On ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec le « bon sauvage » de Rousseau. L’Homme était naturellement bon avant d’être perverti par la société. Les enfants impubères sont peut-être, c’est une hypothèse, des enfants purs. Des « anges », des « chérubins », dont les attributs ramènent à une pureté originelle.

Le fait que les enfants de Seth sont quasiment tous représentés soit de trois-quarts arrière, soit de derrière, est-il le signe d’une certaine volonté de ne pas mettre l’accent sur le genre des personnages ? Excluons la difficulté pour Seth de peindre des visages. Il a peint des visages de face, d’enfants et d’adultes. Et fort bien. Reste l’hypothèse de centrer l’œuvre sur autre chose que « l’art du portrait ».

Le discours de Seth est un discours poétique. Une poétique qui flirte avec le fantastique et/ou le surréalisme. Toutes les œuvres, des toiles aux murs, ont un dénominateur commun : elles montrent un enfant «innocent », essayant de franchir un obstacle, pour passer vers… ailleurs. Dans de très nombreuses fresques, Seth représente un enfant la tête déjà en partie de l’autre côté d’un ailleurs dont l’accès est représenté par des variantes chromatiques de l’arc-en-ciel. Je n’oublie pas que dans certaines traditions l’arc-en-ciel est la porte du « ciel ». Non pas le ciel physique mais plutôt les « cieux », ceux des mythologies et des religions.

Seuls les enfants ont gardé cette proximité d’avec le merveilleux pour pénétrer dans des mondes inconnus des « grandes personnes ». Le passage n’est pas un rite d’initiation mais il illustre la capacité des jeunes enfants de voyager dans plusieurs univers. Les pieds restent sur terre mais la tête est déjà « dans les nuages ». Ainsi, les scènes de passage, si nombreuses dans le travail de Seth, sont des allégories de la condition des enfants, à cheval entre deux réalités.

Seth et ses enfants sont des passeurs. Comme Charon, le nocher des Enfers, les enfants voient l’invisible. Ils évoluent dans un monde charnière voisin d’autres réalités. Des réalités que ne voit plus les adultes ; un monde qui n’est pas le nôtre, un monde dans lequel nos lois physique ne s’appliquent pas. Le caractère « surréaliste » des œuvres tient à cette proximité, à cette « confusion » des mondes.

Les œuvres de Seth séduisent tout d’abord parce qu’elles sont belles : un graphisme digne des planches des dessinateurs de bandes dessinées à la « ligne claire », les couleurs éclaboussent des scènes qui étonnent et surprennent, les décors sont somptueux. Mais sous la couche d’acrylique, il y a un discours sur l’enfance.

Seth évoque pour moi « Alice au pays des Merveilles » de Lewis Carroll. La chatte Dinah aide à passer de notre monde au pays des Merveilles comme l’arc-en-ciel-vortex de Seth. Les animaux du bestiaire, la Souris, le Canard, le Dodo, le Loir, l’Aiglon, le Lapin blanc et bien d’autres côtoient les cartes, le Deux, le Sept, Le roi de Cœur et le valet de Cœur. Les objets, les animaux et la Duchesse, la Cuisinière et le Valet de pied se côtoient dans un pays où les règles du monde des Hommes n’ont pas cours.

Si je ne crois pas que le monde des « préados » est « le vert paradis des amours enfantines », il est vrai que « la pensée magique » qui existe chez tous les adultes est encore davantage présente chez de jeunes enfants.

« Je me souviens », petit garçon assis sur la banquette arrière de le Frégate familiale, avoir regardé les nuages, ces « merveilleux nuages », et avoir essayé de commander leur fuite dans l’azur…

Fresque Bogota.

Passage. Le bas du visage est peint. Le "trou", cerné de cercles colorés, est une entrée dans un monde merveilleux.

Scène de passage.

Scène de passage

Scène de passage

Scène de passage.

Un passage "horizontal" d'un petit garçon et de ses compagnons, les oiseaux.

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Un portrait de petite fille (parc de Belleville, Paris.)

Portrait d'un garçon bleu (parc de Belleville).

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