Danaé Brissonnet : l’étoffe des rêves.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Lecture 7 min.

Comment qualifier la fresque que Danaé Brissonnet vient de peindre sur le Mur12 à Paris ? D’aucuns diraient bizarre, fantastique, étrange, surréaliste, onirique... Ils n’auraient pas tort ! La fresque est tout cela à la fois et peut-être plus encore.

Elle représente une longue bestiole avec une tête et un corps qui court sur le long mur courbe. Elle est, en effet, orientée. Dans un coin du mur, une toile d’araignée et une énorme tête suivie des « anneaux » de la bête. Anneaux allant du plus grand au plus petit.

Une drôle de bête, au demeurant, avec de drôles de pattes. Une tête qui ne ressemble pas du tout à une tête de bêtes dûment répertoriées et des « anneaux » ressemblant bien davantage à des épis de blé curieusement habités par des êtres à têtes humaines. Quant aux pattes, les antérieures ressemblent à des jambes de femme, les postérieures à des pattes de crabe. Enfin, je dis « bestiole » mais ce n’est peut-être pas une bête. Je dis « épis de blé » comme j’aurais pu dire, « fleur fraichement déclose ». Je dis « patte de crabe » comme j’aurais pu dire « patte d’insecte ». En fait, il faut bien l’avouer, je vous le concède : mon ignorance est totale. Je ne sais pas nommer ce que je vois.

Digression

Chemin faisant, nous remarquons la difficulté d’un locuteur de nommer ce qu’il voit mais ne comprend pas. Il procède alors par comparaison et par métaphore, c’est-à-dire, en tâchant de rapprocher des éléments inconnus d’éléments connus de tous. Ainsi, par approches successives, pas à pas, nous décrivons une réalité approchée certes mais, comme la ligne d’horizon, jamais atteinte.

 

Le fait de ne pouvoir nommer les détails et a fortiori l’ensemble de la fresque m’a amené à poser à l’artiste la question naïve de la signification de l’œuvre. Je vous livre, brut de décoffrage, sa réponse : « Le millepatte se transforme en French cancan à la fin où la dernière danseuse regarde à travers le masque qui est la tête ! Et elle regarde la petite araignée qui est prise dans une maison ou bien c’est sa maison ? » Je vous vois, lecteurs, froncer les sourcils. Avez-vous saisi le sens de la fresque ?

Un résumé s’impose ! Nous avons donc une araignée, nous en voyons la toile, qui est suspendue par un fil, et qui est dans une maison. Nous avons alors une douloureuse alternative : soit l’araignée est prise dans le piège de la maison, soit la maison est son domicile et non la toile susnommée. A ce personnage, il convient d’ajouter un autre acteur : un millepatte composé en partie, et en partie seulement, de danseuses bien parisiennes de French Cancan. Ce millepatte formé d’une longue théorie de danseuses a une danseuse, la première en partant de la tête, ou la dernière en partant de la queue, une danseuse disais-je qui, devant-elle, tient un masque. Lequel masque tient un long fil tenant une maison avec, à l’intérieur, une araignée. Fiat lux !

La lumière a peut-être laissé quelques zones d’ombre. Quelques compléments s’imposent pour accéder au graal, le sens de l’œuvre. La canadienne Danaé Brissonnet est peintre mais elle crée également des marionnettes et des masques. Il ne vous aura pas échappé qu’à l’intérieur des « anneaux », il y a des personnages. Nous n’en voyons que le visage et le haut du corps. Les visages sont tous différents mais ils se ressemblent. Tous regardent les spectateurs qui les regardent. Dans le masque nous retrouvons ce même visage, comme un motif redondant. Les marionnettes et les masques de Danaé Brissonnet empruntent ces mêmes traits.

A la réflexion, la présence d’une foultitude de petits personnages m’évoque Le jardin des délices de Jérôme Bosch. Convenons que les œuvres sont fort différentes. Mais, l’irruption, hors de toute situation, de visages humains, est peut-être une réminiscence de L’enfer et du Paradis, icônes mondiales du bizarre !

Autre observation, l’araignée est dans une maison, une maison comme en dessinent encore les enfants de l’Ecole maternelle, avec un toit à double pente, des fenêtres, une porte. Bref, une représentation iconique de la maison. Ces mêmes maisons, nous les retrouvons dans les marionnettes, les personnages et les accessoires créés par Danaé Brissonnet.

Dans les créations de cette artiste, nous retrouvons presque à tout coup ces mêmes motifs : le visage et la maison. So what ?

Je ne sais pas. Pour avoir regardé avec attention les fresques que l’artiste a peintes un peu partout dans le monde, je remarque l’importance des symboles. Visages humains et maisons ont-ils dans cette œuvre une valeur symbolique. Certainement. C’est la piste que nous livre Danaé Brissonnet : « J’aime bien laisser l’imagination du passant aller vers un chemin initiatique ». Je comprends bien que le chemin vers la Connaissance est jalonné par des symboles pour guider celui qui cherche la Lumière mais rien n’est plus polysémique qu’un symbole ! L’univers symbolique est étroitement lié à une culture et aucun symbole, me semble-t-il, jusqu’à preuve du contraire, n’a une valeur universelle. Les visages posés sur des corps annulaires renvoient autant à l’humanité qu’à l’animalité. La maison est un refuge, certes. La forte occurrence de visages et de maisons dans les multiples créations de l’artiste a-t-elle un sens pour Danaé Brissonnet ? Peut-être, certainement, c’est possible voire probable (soupir prolongé dont la signification ne vous a pas échappée). Je pense volontiers que tout signe porte une signification, consciente ou non. Reste à savoir si l’artiste est consciente de la signification des symboles qu’elle peint ! Je pense également que ce que nous cache l’artiste doit rester caché !

Finalement, confronté à une œuvre de cette nature, le problème de la signification est second, l’essentiel ce sont les émotions que suscite la fresque. Quant au sens, chacun le construira avec ce qu’il a, ses connaissances, ses expériences, ses images, ses désirs, ses peurs etc.

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La fresque n’est qu’une partie de la « performance » de l’artiste. Devant la fresque jouant le rôle d’un élément de décor de théâtre, l’artiste et des comédiennes, donnent un spectacle. Un spectacle fait de mime, de marionnettes, de musique. L’« intervention » de Danaé Brissonnet est un ensemble : en plein air, dans un cadre urbain, des comédiennes jouent une pantomime, les thèmes, les costumes, les marionnettes, les accessoires sont en étroite relation avec la fresque murale.

La comparaison avec la commedia dell’arte semble évidente : des comédiens portant des masques perchés sur des tréteaux, le fond de la scène fermé par un rideau peint formant le décor. Réalité approchée encore ! L’idée n’est certes pas neuve mais elle trouve ici une reformulation d’une grande intelligence. Le street art se conjugue avec le théâtre et la musique pour proposer aux chalands un spectacle.

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