Quand Trump tue le multilatéralisme

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Le troisième séminaire aura lieu le 22 janvier 2020 au CAL.

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C’est avec beaucoup d’arrogance que le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a annoncé le 18 novembre 2019 que la colonisation israélienne dans les territoires occupés en Palestine n’est pas contraire au droit international. Car, selon les Etats-Unis, affirmer cette illégalité ne fait pas avancer la paix ! Une gifle cinglante, une de plus, aux Nations Unies et à ses perpétuelles condamnations de l’Etat d’Israël qui viole depuis des dizaines d’années tout l’arsenal du droit censé assurer la paix dans le monde et un règlement pacifique des différends.

Voilà qui illustre dramatiquement l’exposé qu’a fait Mario Télo, qui enseigne les relations internationales depuis 1987 à l’ULB et dans plusieurs universités européennes, asiatiques et américaines. C’est dire s’il a contribué à former une nouvelle génération de chercheurs, dans le monde entier, sur ce thème du multilatéralisme.  « Un contrat pour le monde entier. La seule façon de se battre pour une paix durable ; il s’agit en quelque sorte d’une coutume laïque de la paix. » dit-il d’emblée. Il retrace les relations multipolaires qui se sont installées entre les Etats depuis les Traités de Westphalie et qui ont donné naissance au système moderne et sécularisé des Etats laïques. Puis vint l’hégémonie des USA et nous voilà, actuellement, dans un cadre multipolaire mondial avec l’émergence de grandes puissances comme la Chine, l’Inde, le Brésil…

Ce qui oblige le système mondial à se rénover. Le président Donald Trump accélère la tendance, la rupture avec le siècle de politique étrangère US hégémonique concrétisée par les accords de Bretton Woods obligeant les Etats européens et du reste du monde à se soumettre au dollar pour assurer la stabilité financière du système mondial, explique Mario Télo. Ainsi, les USA fournissent une sorte de « bien commun », le dollar que même l’URSS possédait dans ses banques. La défaite américaine au Vietnam marque le début du déclin des Etats-Unis fortement endettés par cette guerre ruineuse. Ils se retirent progressivement de leurs responsabilités globales et le dollar devient l’instrument de leur politique, à leur seul profit.

Après l’effondrement de l’URSS de 1989 à 1991, le président Bush père essaie encore d’instaurer un nouvel ordre mondial sous l’hégémonie des Etats-Unis, par la voie militaire notamment. Son fils ne parvient pas à assurer la puissance commerciale du libre-échange made in USA. L’échec est patent sous Obama avec la rupture des négociations avec l’Union Européenne sur les traités commerciaux transatlantiques (TTIP).

L’Europe peut le réinventer

Nous nous trouvons à présent devant un système multilatéral post-hégémonique et un grand défi lancé aux Européens, inventeurs du concept : un monde multipolaire et une culture du multilatéralisme grâce notamment à l’émergence de réseaux multilatéraux issus de la société civile, des forums divers, un renforcement des organisations internationales, l’apparition de nouvelles organisations comme la Cour Pénale Internationale et celles chargées de gérer le changement climatique. Grâce à cette augmentation du nombre et des ambitions des organisations internationales, se crée une communauté : nous avons des partenaires dans chaque continent même si nous présentons des langages et des cultures différents. Ainsi, le multilatéralisme crée de l’efficacité et de la légitimité dans les relations internationales. L’accord multilatéral avec l’Iran en est un bel exemple… Que Donald Trump s’est empressé de boycotter au point d’exercer un chantage insoutenable sur les entreprises européennes qui veulent commercer avec l’Iran.

Contre le principe même du libre-échange, Donald Trump attaque l’Europe sur les solutions de règlements des conflits, sur les mécanismes d’arbitrages. Bref, contre tout ce qui limite la souveraineté nationale des Etats-Unis. Il attaque au cœur même du système de l’Organisation mondiale du commerce, d’ailleurs à réformer, et le vide d’autorité morale et politique.

Face à cela, l’Europe a une responsabilité spéciale et la récente critique fondamentale de l’OTAN, par le président français Macron, symbolise bien cela. Le nouveau représentant de l’Union européenne en charge des relations internationales, l’Espagnol Josep Borrell, parviendra-t-il à faire de l’Europe le leader collégial d’un système multilatéral, avec l’apport des citoyens et de toutes les forces vives de nos sociétés ? L’Europe pourrait créer un système d’alliance avec les pays intéressés par le multilatéralisme, développer le dialogue avec la société civile américaine qui n’est pas d’accord avec le président Trump.

Comment arriver à cela, interroge Mario Télo. En renforçant le régionalisme et l’inter-régionalisme dans le système des Nations Unies, ce qu’incarnent bien le Mercosur (Marché commun du Sud) et l’Union Européenne elle-même. La protection des droits humains, valeurs universelles, est plus efficace au niveau régional, remarque Mario Télo. Ainsi l’ASEAN (Association des Nations de l’Asie du Sud-est) s’est dotée d’une Charte des droits de l’Homme et de la démocratie, et elle demande à la Chine de la respecter. Dans le domaine du droit des travailleurs, l’Organisation Internationale du Travail (créée en 1919 en marge de la Société des Nations, cent ans déjà !) a signé des conventions avec la Chine.

L’Europe peut donc avancer, même si Donald Trump rempile pour 4 ans à la présidence des Etats-Unis : elle peut créer un nouveau multilatéralisme post-hégémonique, avec un leadership différent, multiniveau (global, régional, interrégional) sur base du concept de réciprocité et donc de confiance entre les partenaires. Cela implique aussi un monitoring du suivi plus efficace et donc une limitation de la souveraineté des Etats. Mais aussi une limitation du principe de non-interférence dans les affaires des Etats pour autant qu’il s’accompagne d’une responsabilité de protéger les populations (à l’inverse donc de ce qui a été fait en Libye qui a été détruite parce que les Européens voulaient changer de régime en tuant Kadhafi).

Selon Mario Télo, un multilatéralisme mieux agencé et mieux contrôlé par les ONG est possible.

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Nos autorités nationales et internationales ont du pain sur la planche : réformer le système des Nations Unies et notamment le Conseil de sécurité, issu des décombres de la deuxième guerre mondiale et dominé par les puissances de l’époque, renforcer les coopérations sociales et culturelles et pas seulement économiques. Et surtout, faire appliquer la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (1992, Rio, Sommet de la Terre), le premier traité qui porte sur une question globale intéressant toute la planète, explique Bénédicte Frankinet qui fut longtemps ambassadeur de Belgique aux Nations Unies. Sur cette Convention, sur la réalisation des Objectifs du développement durable, se jouent la crédibilité des Nations Unies et la responsabilité des Etats.

Aux Parlements à jouer leur rôle de représentation des peuples !

  • « D’Henri la Fontaine à Donald Trump, la fin de l’utopie multilatérale ? », trois séminaires organisés par la Fondation Henri La Fontaine, avec le concours du centre de droit international de l’ULB. Le troisième séminaire « Crise et réformes nécessaires ? » qui était programmé le jeudi 28 novembre 2019 est déplacé au jeudi 22 janvier 2020. Adresse : Centre d’Action Laïque, salle W. Peers, ULB, Campus de la Plaine, accès 2, 1050 Bruxelles. Inscription : cal@laicite.be. Informations : www.laicite.net.
  • https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifsde-developpement-durable/
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