Inter-Environnement Bruxelles, 50 ans de luttes des habitants

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Ce dessin illustre un projet pour la reconstruction du Quartier Nord : l’aménagement en boulevard des tracés autoroutiers que l’on combattait dans les années 80. Extrait du livre « La reconstruction de Bruxelles ».

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Tous les partis politiques sont en lice avec leurs programmes électoraux plus ou moins bien ficelés. Tous parlent, bien évidemment, du logement qui apparaît pour tout le monde comme la clef de la sécurité des familles, du développement urbain harmonieux, de la stabilité économique des villes, de la paix sociale, de la lutte contre la pauvreté, etc.

Avant de détailler dans un prochain article ce que nous proposent les représentants politiques en cette matière complexe et essentielle, deux anniversaires nous rappellent que la lutte des habitants fut longue pour conquérir « droit de cité ».

Mai 1974 : Inter-Environnement Bruxelles

En effet, c’est le 6 mai 1974 que 29 représentants de comités de quartier, d’associations et de collectifs bruxellois, ainsi que des groupements de défense de la nature (déjà!) s’unissaient dans l’asbl Inter-Environnement Bruxelles.

Il faut dire qu’à l’époque, le ras-le-bol de la population était généralisé : il ne s’agissait pas de bourgeois des beaux quartiers menacés par des autoroutes urbaines, des tours, de la bétonisation de l’environnement. Il s’agissait aussi et surtout d’habitants des quartiers populaires où des populations véritablement misérables croupissaient dans des logements infâmes, des taudis appartenant à des gens riches et qui osaient louer cela à des personnes vulnérables, incapables de se défendre mais liés à leur quartier comme des moules sur un rocher.

C’était l’époque des luttes contre la pauvreté style Abbé Pierre. Chez nous. il s’agissait de l’abbé Jacques Van der Biest, flamboyant curé des Marolles, érudit au verbe haut, bousculant les hiérarchies religieuses autant que politiques. Un bel exemple d’« indigné » d’avant Stéphane Hessel et qui avait rassemblé autour de lui des sociologues, architectes, fonctionnaires, journalistes et autres militants pour plus de justice sociale.

Le noyau central de cette mouvance était constitué par les membres de l’Atelier de Recherche et d’Action Urbaines (ARAU), fondé en 1969 par l’architecte Maurice Culot, l’avocat Philippe De Keyser, le sociologue René Schoonbrodt et notre fameux Jacques Van der Biest. Le mot d’ordre était simple : les Bruxellois revendiquent le droit à la ville. Car l’air de la ville rend libre et les habitants ne veulent pas qu’il soit pollué par l’envahissement automobile de millions de navetteurs rejoignant le centre ville transformé en mini world trade center ou encore un quartier qui n’était pas encore européen mais qui allait devenir le cœur de l’Europe en chassant ses habitants originels.

Il est essentiel de rappeler que Bruxelles n’était pas une région avec ses propres pouvoirs mais un ensemble de communes gérées par des bourgmestres pas toujours très éclairés et parfois même tentés de succomber aux avances argentées et discrètes de grands promoteurs immobiliers. C’était un ministre national qui traitait des affaires bruxelloises. Alors, les protestations d’habitants pauvres…

Cette fascination du progrès à l’américaine - et donc très libéral en passe d’être mondialisé - était en contradiction flagrante avec la culture urbaine bruxelloise jalouse de son indépendance vis-à-vis des pouvoirs supérieurs : l’hôtel de Ville n’est-il pas le reflet de la fronde des guildes qui ont fait plier les comtes, les ducs et même les rois, pour préserver leur liberté ? La fronde d’un peuple pourtant mélangé en origines, en cultures, en langues mais qui se retrouve dans cette petite statue du Manneken Pis qui, depuis le XVème siècle, se fiche bien des puissants et des convenances.

Donc, les Bruxellois protestent, débattent, se regroupent en comités de quartiers et obligent ainsi les nouvelles autorités bruxelloises, le Conseil d’agglomération, à les écouter. Un représentant politique visionnaire fut Serge Moureaux, échevin de l’Urbanisme de l’Agglomération bruxelloise. Avec lui, les habitants, leurs associations, leurs comités pouvaient dialoguer avec les pouvoirs publics et faire valoir leurs exigences d’une nouvelle démocratie basée sur la consultation des gens.

En 1982, dans le livre « La reconstruction de Bruxelles », Serge Moureaux dépeint clairement l’enjeu économique, politique et culturel de ce combat pour une ville humaine et porteuse d’avenir : « Mais à Bruxelles, on continue à favoriser la traversée de la ville de part en part par cet ennemi juré de la vie des centres urbains qu’est l’automobile. A Bruxelles, on continue à privilégier tout ce que porte l’argent ; et qui va de la tour de bureau en murs-rideaux, aux barres de logements anonymes, en passant par les tunnels et viaducs, les panneaux publicitaires qui se reproduisent tout seuls (y compris ces ordures tractées que certains déposent ça et là) et l’inévitable cortège

de l’État policier de droite avec ses sirènes et ses gendarmes. Ce qui est le mieux entretenu dans cette ville c’est le plexiglas des boucliers des gendarmes et le fer de chevaux de frise.

A côté, on continue à raser l’habitat ancien, les hôtels de maître, les plus beaux fleurons de l’architecture 1900, particulièrement riche à Bruxelles, et qui illustre davantage la ville que le centre ancien, mal défendu hier contre le vandalisme technocratique mais qui sert aujourd’hui d’alibi aux myopes et aux malveillants.

Il faut chasser ces irresponsables et les punir.

Pour reconstruire la ville, la recette est simple. Il faut bien choisir ceux qui auront à

dessiner dans la pierre la ville de vos rêves. »

Good move, métro et spéculation immobilière

Une partie du programme politique de Serge Moureaux et de tous les militants pour une nouvelle urbanité a été conquis et réalisé : dialogue entre communes et comités de quartier, commissions de concertation obligatoires avant de prendre une décision urbanistique, plan de secteur suivi d’autres plans d’aménagement du territoire, eux aussi précédés de consultations des habitants…

Le combat contre l’emprise automobile a pris plus du temps : aujourd’hui, « good move » suscite colère et incompréhension non seulement chez les navetteurs mais aussi chez certains habitants pour qui la voiture est un outil de travail ou une marque de réussite, au détriment du bien commun, du vivre ensemble en centre ville. Sans parler de l’extension des zones piétonnes dangereusement envahies par des trottinettes et des vélos, voire même des motos en libre service. On n’en est pas encore arrivés à la circulation apaisée et la formule célèbre de l’ARAU « des petits trams partout et tout le temps » a été gommée par la politique de métro et gros trams sur et dans des infrastructures très lourdes et coûteuses.

De plus, rien n’a vraiment arrêté la spéculation immobilière, l’emprise des grands promoteurs immobiliers sur la ville, les projets imposants transformant Bruxelles en capitale de l’Europe et paradis des entreprises au détriment de l’habitat à prix abordable pour les habitants de la ville.

Tout cela est visible en vous promenant dans la ville et en consultant le site d’Inter-Environnement Bruxelles. Chaque semaine, on peut y lire le récit d’une lutte passée, d’une victoire ou d’un échec, mais toujours une résistance ! On vous recommande aussi le périodique « Bruxelles en mouvement » dont les articles révèlent la face cachée de bien des problèmes urbains et dont les dossiers sont percutants, genre poil à gratter pour quelques décideurs politiques.

La semaine prochaine, nous évoquerons les 25 ans du Rassemblement bruxellois pour le Droit à l’Habitat.

https://ieb.be/spip.php?page=historique

https://www.arau.org/fr/qui-sommes-nous/

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- « La reconstruction de Bruxelles ». Recueil de projets publiés dans la Revue des Archives d’Architecture Moderne, de 1977 à 1982. Introductions par Serge Moureaux, Maurice Culot, René Schoonbrodt, Léon Krier. Éditions des Archives d’Architecture Moderne. Bruxelles. 1982.

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