L’utopie multilatérale : la paix par le droit

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Cartooning for Peace a été un des lauréats du prix Henri La Fontaine. Dessin de Plantu.

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La Belgique compte parmi ses grandes figures humanistes Henri La Fontaine. Pourtant, elle l’a oublié dans les tourmentes de la dernière guerre. Or, cet homme avait obtenu le Prix Nobel de la Paix pour ses longues années d’efforts en Europe et aux Etats-Unis afin d’unir les nations autour d’un idéal de paix, d’harmonie entre les peuples.

C’était en 1913. Il n’a jamais pu aller chercher son prix car la guerre de 14-18 submergea l’Europe et le monde ensuite mais pas l’idéal magnifique de ce juriste, sénateur socialiste, grande figure du mouvement pacifiste international. Parce qu’il croyait au droit comme moyen de prévenir et de résoudre les conflits, Henri La Fontaine élabora un projet de système international, complet et cohérent, qu’il détailla dans son livre paru en 1916 aux Etats-Unis : « The great solution – Magnissima Charta. Essay on Evolutionary and Constructive Pacifism ». La version française de ce texte se trouvait bien cachée au Mundaneum de Mons et la voici, enfin, éditée. On y découvre une pensée visionnaire et réaliste à la fois, un système idéal de coexistence des Etats avec des procédures strictes de règlement des conflits autres que la guerre, toujours horrible, toujours sans vainqueurs ni vaincus face à la mort d’êtres humains.

La paix par le droit, un principe magnifique concrétisé par cette Magnissima Charta, et ce avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (née, elle après une deuxième guerre encore plus atroce que la précédente) et d’où découle l’instauration du système des Nations Unies, succédant à la Société des Nations, engloutie en 40-45.

Ce texte est en réalité une convention principale en 72 articles et trois conventions complémentaires portant sur « le règlement amiable et juridique des conflits internationaux », « sur les moyens de contrainte dans les relations internationales » et la dernière qui est « relative à la circulation internationale des personnes », un sujet brûlant aujourd’hui ! Il s’agit donc d’un projet très précis d’une sorte de Constitution mondiale et qui servit à l’élaboration de la Société des Nations, première tentative de « gouvernement mondial » pour les Etats. Cette Société d’Etats devait se doter d’un pouvoir législatif international, d’un pouvoir exécutif et d’une organisation judiciaire internationale.  Malheureusement, cet idéal succomba devant la montée des fascismes en Italie, en Espagne, en Allemagne et Henri La Fontaine mourut en 1943, désespéré par cette guerre qui marquait la ruine de tout idéal pacifiste et de progrès de l’humanité.

Le titre de « Magnissima Charta » qu’avait choisi Henri La Fontaine fait référence à la « Magna Carta » qui, dans le royaume britannique, en 1215, a permis de soumettre tout le monde, y compris le roi, à l’autorité de la loi. Plus tard, un système supplantant le pouvoir royal et celui de l’Eglise fut concrétisé par les Traités de Westphalie en 1648, après de violents conflits en Europe. Ces Traités mettaient en place un système international liant des Etats. Première avancée du multilatéralisme moderne comme facteur de paix.

La Fondation Henri La Fontaine, avec le CAL et le centre de droit international de l’ULB, organise trois séminaires afin d’approfondir ce thème central du multilatéralisme et son avenir à l’ère d’un Donald Trump qui s’évertue à le déconstruire.

On y explora la dimension historique de l’action d’Henri La Fontaine et son apport à l’élaboration du droit international, un domaine dans lequel la Belgique joue un rôle majeur. Juliette Lafosse démontre que ce droit international, tout en étant bafoué par la « Grande guerre », continue de se construire car les juristes travaillent sur le droit de la neutralité, les devoirs et obligations de puissances occupantes, la dénonciation des atrocités allemandes commises en Belgique se fait au nom du droit à l’intégrité du territoire, en référence aux traités internationaux précédents… La guerre est ainsi criminalisée car elle s’oppose au droit. Face à cela, l’Allemagne s’empare aussi du droit pour légitimer l’occupation sur notre sol, une « absolue nécessité » face à la France qui s’apprête à envahir la Belgique. Le président turc Erdogan ne prétexte rien d’autre en envahissant une partie de la Syrie !

On le voit, le début du XXème siècle est une période d’intense activité intellectuelle pour la réforme du système international : la conférence pour la paix de La Haye en 1907 regroupait déjà 44 Etats, souligne Jean-Michel Guieu. A cette époque, la Grande-Bretagne jouait un rôle pionnier concernant les moyens d’éviter la guerre, ce qui explique qu’Henri La Fontaine séjourna d’abord dans ce pays afin d’y diffuser ses idées de gouvernement mondial pour la paix, avant d’émigrer aux Etats-Unis, neutres à l’époque. Mais il y fut confronté aux dissensions entre mouvements pacifistes américains ! Il reste que sa « Magnissima Charta » publiée à Boston en 1915 propose un projet d’organisation pratique, simple et souple à la fois et qui concrétise l’espoir de substituer le droit au principe de la lutte armée. Il y préconise l’entente des humains pour la vie, une unité pour le bien commun de l’humanité, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, une cour internationale de justice pour dire le droit, une coordination militaire pour le faire respecter, une reconnaissance de la société civile dans la vie internationale (et qui triomphe aujourd’hui grâce aux mouvements altermondialistes et aux réseaux d’associations), une naturalisation de migrants (un problème brûlant aujourd’hui !), un système d'arbitrage pour régler les différends entre Etats (tout autre chose que l'arbitrage privé imposé par l'Organisation Mondiale du Commerce et qui s'avère très défavorable aux Etats face aux multinationales) …

Une vision de rêveur, d’un humanitaire, méprisée par les diplomates de l’époque, explique Vincent Genin. Ils estimaient qu’un « droit à la guerre » serait plus pragmatique face à la menace imminente d’un second conflit avec l’Allemagne. Des juristes, des médecins militaires, des économistes tentent de réguler la guerre par des conventions, sous les auspices de la Croix-Rouge. On y prévoit des villes et localités sanitaires à sanctuariser, l’assistance sanitaire par des non belligérants, la protection des prisonniers de guerre, de la population civile et des sanctions… Bref, encadrer la guerre, la corseter pour l’humaniser. La deuxième guerre mondiale fut un triomphe de la barbarie face à cette « humanisation » mais les Conventions de Genève virent tout de même le jour en 1949. Elles restent une référence absolue même si les guerres actuelles démontrent que « la paix par le droit » reste un idéal et certainement pas une réalité en ce monde.

(Suite dans un prochain article.)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_La_Fontaine

http://www.ulb.ac.be/wserv2_oratio/oratio?f_context=unibooks&noteid=688&style=&f_type=view&data-file=bib1

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