L'homme nouveau

Allo, allo, quelle nouvelle

Par | Penseur libre |
le
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D’habitude, au réveil, il se passe machinalement la main gauche sur le visage. Un rituel. Ce matin, c’est impossible. Son bras gauche n’est plus attaché à son corps, il est même tombé du lit. Il repose là, à côté de ses pantoufles. Du sang séché apparait au niveau des veines et des artères sectionnées. Des muscles blancs trainent sur le sol comme des plantes mortes mais il ne souffre pas. - La première chose à faire est d’aller voir le médecin, se dit-il en se levant. Lui montrer, en parler. Il pourra peut-être remettre mon bras à sa place. Tant qu’on n’a pas vu le médecin, il reste de l’espoir. Il range son bras dans un sac de sport, enfile une chemise, une veste et le voilà parti. Dans le bus, personne ne remarque rien. Avec sa main droite, il se cramponne à une rampe comme si sa vie en dépendait. Le médecin peut le recevoir immédiatement. Une chance ! Les médecins font de très longues études sur l’humain, la vie et la mort afin de n’être jamais étonné par rien. - C’est intéressant, dit le médecin assis dans son confortable fauteuil alors que son patient brandit son bras gauche dans sa main droite. - Vous pensez que vous pourrez me le replacer, docteur ? - Je pourrais le faire, répond le médecin mais cette opération n’aurait aucun intérêt. - Pourquoi sans intérêt ? demande le patient qui, depuis le temps, s’était habitué à ses deux bras. - Vous vivez seul ? - Oui. - Vous ne prenez jamais personne dans vos bras ? Une femme, un homme, un enfant ? Vous ne possédez ni chien, ni chat ? - Je ne prends jamais personne dans mes bras et je ne possède pas d’animal domestique confirme le patient. - Voilà pourquoi votre bras est tombé, se réjouit le médecin qui aime comprendre. Votre bras est tombé parce qu’il est devenu inutile. C’est un des principes fondamentaux de la théorie de l’évolution de Darwin - Inutile ! s’indigne le patient. Il n’était pas inutile, mon bras gauche. Je l’utilisais tous les jours pour me laver, m’habiller et me confectionner des sandwiches. - Oui, mais le bras de l’homme du vingt et unième siècle ne peut plus seulement être fonctionnel comme l’était le bras de l’homme de Neandertal. Le bras de l’homme d’aujourd’hui doit pratiquer l’amour et la tendresse, l’humanité et l’empathie. Votre bras est tombé parce que vous ne l’utilisiez plus. Vous savez qu’il y a plusieurs millions d’années, l’être humain possédait une queue qui était le prolongement naturel des vertèbres de notre colonne vertébrale actuelle. Cette queue a disparu parce qu’elle était devenue obsolète. - Ah bon, répondit l’autre. Vous voulez dire que je serais le premier exemplaire de l’homme nouveau. - Vous êtes bien plus qu’un exemplaire, vous êtes l’homme nouveau, cher monsieur, conclut le médecin en se levant pour mettre fin à la consultation. L’homme nouveau sortit dans la rue avec la conscience d’être un élément charnière dans l’histoire de l’humanité. Il en avait tellement conscience qu’il devint vite imbuvable pour ses rares connaissances et ses quelques voisins. Le lendemain, l’homme nouveau se réveilla sans son bras droit mais il ne s’en inquiéta pas. Quand on est le premier exemplaire de l’homme nouveau, on peut supporter les petites contrariétés. Il vécut plus douloureusement la disparition de son appendice sexuel qu’il chercha en vain plusieurs jours entre ses draps. Il n’était pas si minuscule, pourtant ! Où est-il passé ? Même si son appendice sexuel n’était plus fonctionnel depuis plusieurs années, cette perte-là, il ne la supportait pas. Quand on est un homme nouveau, on est avant tout un homme. Il n’avait pas jugé utile de consulter le médecin pour la perte de son bras droit mais la disparition de son appendice sexuel, c’était autre chose. On pourrait peut-être lui greffer le sexe d’un acteur porno mort ou lui placer une prothèse ? La médecine est capable de miracles aujourd’hui. Il reprenait espoir. L’homme tronc sortit donc de chez lui pour prendre le bus. Cette fois, pas question de se cramponner à une rampe. Il a besoin d’aide mais personne ne bouge. C’est alors qu’il se rend compte que le bus, la rue et même la ville sont remplis d’hommes nouveaux sans cœur parce que, depuis longtemps, cet organe ne leur est d’aucune utilité. - Pff, se dit l’homme tronc, même quand on innove, on finit toujours par être démodé !

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