Plus qu'un simple bye bye

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Jeudi, les Britanniques ont décidé, par un référendum, de quitter l'Union européenne. Ce que personne ne sait, c'est jusqu'à quel point.

Tout d'abord, notons que le Premier ministre britannique, David Cameron, lui-même partisan du maintien dans l'Europe, a ouvert la boîte de Pandore pour gagner les élections, probablement sans mesurer que quelles que soient les concessions européennes faites pour lui donner quelques arguments supplémentaires, la vraie question à laquelle ses concitoyens allaient répondre n'avait au fond rien à voir et que tout le populisme et la xénophobie allaient dans tous les cas s'engouffrer dans le débat : la brèche était trop tentante. Sa victoire était celle de Pyrrhus ; elle signifie aussi son départ du 10, Downing street. L'homme s'est surestimé.

Il est cependant difficile de nier que cette décision de larguer les amarres continentales est démocratique et revêt donc une légitimité réelle. Le scrutin a passionné, jusqu'à l'excès, jusqu'au meurtre même. Mais l'émotion qui a saisi les nations britanniques (il y en a plusieurs, il suffit de regarder l'Euro de foot) à l'assassinat de Jo Cox n'aura joué aucun rôle : les comportements plus égoïstes sont décisifs au niveau individuel et la démocratie, dans ce cas, n'est que l'addition d'intérêts particuliers qui coupent en deux la société. Bon nombre de Britanniques originaires des pays du Commonwealth, par exemple, voulaient sortir de l'Europe parce qu'ils espèrent que le plombier polonais sera remplacé par le plombier jamaïcain.

La sociologie du vote, d'ailleurs, est très intéressante. C'est surtout l'Angleterre profonde et le pays de Galles qui ont voté pour le Brexit, là où l'on trouve les débris de la classe ouvrière laminée comme partout ailleurs en Europe occidentale, les retraités, les laissés-pour-compte, les petites gens. Les jeunes, les plus diplômés et les plus ouverts au multiculturalisme préféraient le Remain.

À l'heure où ces lignes sont écrites, c'est-à-dire très peu de temps après l'annonce de la victoire des séparatistes, alors que la journée commence, les marchés financiers sanctionnent durement ce vote sacrilège. Reste à voir si ces réactions épidermiques vont perdurer : la rationalité n'est pas le point fort de l'économisme, même si sa doctrine apparaît implacable. L'ampleur réelle du Brexit, on a eu beau essayé de la prédire, il faudra la vivre pour la mesurer.

Car maintenant les négociations vont commencer officiellement. Il y a un préavis : deux ans. Mais les scénarios, bien sûr, ont déjà été envisagés. Les mâles déclarations de Jean-Claude Juncker, dedans c'est dedans et dehors c'est dehors, vont céder la place à la discussion, parce que précisément, dehors ce n'est pas tout à fait dehors. Il y a autour de l'Union européenne une série d'états plus ou moins satellisés, comme la Norvège, la Suisse ou l'Islande, sans compter les candidats à l'adhésion, qui bénéficient souvent d'accords. Le marché unique, en réalité, et contrairement à ce que les populistes prétendent, s'accorde très bien de l'existence officielle des frontières. Il n'y a jusqu'aux négociations du TTIP qui nous le rappellent : est-il question d'une fusion entre l'Union européenne et les États-Unis ?

Dans le cas de la Grande-Bretagne, la situation se complique d'autant plus que les tensions nationalistes internes risquent fort de renaître et d'emporter la cohésion interne. Il est clair que l’Écosse et l'Irlande du Nord veulent rester dans l'Europe. À l'époque du référendum sur l'indépendance écossaise, le vote indépendantiste, l'avait-on assez souligné, aurait de fait obligé le nouveau pays... à demander son adhésion à l'Union européenne.

Quant au problème irlandais, rien que l'évoquer suscite la crainte. Vivre en paix, c'est une des raisons de l'existence de l'Europe, et ses contempteurs minimisent le rôle que le projet européen a joué dans l'histoire. Comparer les deux après-guerre est pourtant éclairant.

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Pour l'Union européenne elle-même, le choc va être rude, n'en doutons pas, surtout au niveau politique. Que reste-t-il du rêve ? Dans nos démocraties désenchantées, les populistes vont tout faire pour créer un effet domino...

Mais pendant qu'on discutera, les affaires continueront, n'en doutez pas. Le poids des intérêts économiques des remainers est considérable et va à présent se porter sur une démarche de style limitons les dégâts. Ce qui paradoxalement n'est pas une bonne action politique. Un Brexit désastreux pour la Grande-Bretagne, ce que tout le monde va essayer d’éviter, permettrait de montrer par l'absurde l'intérêt d'une Europe dont chacun veut les bienfaits mais dont personne ne veut endosser les inconvénients. Au bout du compte, au bout des comptes, se dessinera plutôt un compromis bien dans la tradition. Ce n'est pas par hasard que le siège de l'Europe est à Bruxelles.

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