Grammaire, sexisme et polémique

Poing de vue

Par | Journaliste |
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Les femmes valent-elles 50% de moins que les hommes? Bien sûr que non! Eh bien en grammaire cela tend asymptotiquement à 100% de moins. Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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La France, comme on le sait, est un pays prompt à la polémique. C'est une habitude séculaire que les mœurs contemporaines ont renforcée. Le dernier salon où l'on cause, c'est Facebook, c'est Twitter. Nous avons déjà évoqué le mot-dièse #balancetonporc. Après le déchaînement de la parole refoulée, il faut bien admettre que la question du genre s'est infiltrée partout, et jusqu'à l'Académie française, où les femmes, rappelons-le, furent longtemps interdites.

Si, voici quelques années, on avait rappelé cette règle élémentaire de l'évolution systématique des langues vers leur simplification (il n'y a rien de plus paresseux qu'un locuteur) dont on pensait déjà il y a plus de deux mille ans qu'elle allait amener la pensée au fond du gouffre, et qu'on avait observé qu'en français, il y avait bien trois genres, le masculin, le féminin et le neutre, peut-être n'en serait-on pas à disserter sur l'écriture inclusive. Il est vrai qu'à l'inverse de bien des langues, le français a poussé le neutre et le masculin à fusionner. L'anglais, qui est une langue créole, mi-latine mi-germanique, a pratiquement tout poussé vers le neutre. Il n'y a que ce qui est caractéristiquement masculin ou féminin qui en prend réellement le genre. Votre chien est-il une chienne, ce sera she. (Détail amusant, le mot ship est féminin.) On pourrait souligner que ce n'est pas un effet du hasard car le côté masculiniste des Français a été dans l'Histoire plus marqué qu'ailleurs, avec des inventions de toute pièce comme la fameuse loi salique. Il n'y a jamais eu de reine de France et demandez-vous ensuite pourquoi votre fille est muette... Mais peu importe: la situation est ce qu'elle est. Croire qu'une langue est une chose figée, éternelle et immobile, est démenti à chaque demi-génération. Où se sont perdues dans les siècles passées les si riches déclinaisons du latin qui faisaient s'interroger gravement les lycéens («Mais comment faisaient-ils, les Romains, pour parler couramment un truc aussi compliqué?»). Eh bien dans la langue de Cicéron, le vocatif ne concernait déjà plus que la deuxième déclinaison: il avait disparu des autres. En albanais, le vocatif a succombé à la fin du XXème siècle. La grammaire, en réalité, freine certainement l'évolution d'une langue en édictant des règles provisoirement immuables et qui ne sont jamais que la fixation de l'usage (ou mieux, d'un usage). Pour en revenir à la langue française, que personnellement j'aime tant et que je n'ai nulle envie d'occire, l'édit de Villers-Cotterêts imposa en 1539, en ses articles 110 et 111, l'usage du français dans les actes officiels et les actes notariés. Si vous lisez des textes antérieurs, vous n'avez pas l'impression de lire du français; il faut à tout le moins faire un effort (essayez avec Rabelais). Dès le XVIIème, pourtant, la langue est pratiquement la même qu'aujourd'hui (relisez le Cid). L'Académie française est contemporaine de Corneille: elle a été fondée sous Louis XIII en ayant pour but déclaré de normaliser et de perfectionner le français. Ce n'est pas un hasard. Devant donc défendre un état présent et le faire perdurer, l'Académie française est par essence une institution conservatrice – on ne peut guère le lui reprocher. J'irai même jusqu'à dire qu'en effet, une certaine stabilité est nécessaire dans une langue pour qu'elle remplisse ses missions, surtout quand cette langue a une portée importante, ce qui est toujours le cas du français, soit dit en passant. Sinon, il y aurait eu autant d'écart entre la langue du XXIème siècle et celle du XVIIème qu'entre celle-ci et celle du XIIIème, qu'il faut traduire.

Mais de là à crier qu'on l'égorge, qu'on l'étripe et qu'on l'assassine quand on imagine des subterfuges comme l'écriture inclusive! Pour parler franchement, mes ami.e.s, elle m'agace infiniment moins que l'auteure ou la professeure. Or cette féminisation, ne nous y trompons pas, n'est pas qu'anecdotique; elle trahit une profonde revendication d'un mouvement qui a commencé il y a un siècle, un siècle et demi, qui vise à l'égalité entre l'homme et la femme – et qui se sent proche d'aboutir.

Reprenons un autre exemple. Y a-t-il une autre langue au monde qui accorde le participe passé avec le complément d'objet direct (à présent souvent appelé complément direct du verbe) si celui-ci précède? Non. J'ai coupé des fleurs. Ah, et les as-tu mises dans un vase? Si le COD arrive avant, on pense à accorder; sinon, eh bien bêtement l'usage avait oublié de le faire et donc la règle est ainsi née d'un manquement désormais sanctifié.

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C'est pourquoi l'idée que le masculin l'emporte sur le féminin, outre sa brutalité que moi, vieux mâle de culture classique, je ressens parfaitement, pourrait être remise en question sans que je verse une larme. Les problèmes et les questions posées (ah, vous voyez? Ce n'est pas si terrible) ne méritent-elles pas un débat plus serein?

À la place de quoi le raide, rigide et scrogneugneu ministre de l'éducation nationale de la République, le sieur Blanquer, renvoie aux oubliettes toute idée qui permettrait, serait-ce symboliquement, de sucrer la loi salique de la langue française. Voulez-vous un pronostic? Ce problème et cette revendication reviendront, gonflés par une rancune et un esprit de revanche qui pousseront peut-être à des solutions moins élégantes et plus extrémistes. C'est alors qu'on pourrait crier à la louve.

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