Revendications et renversements de situation

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
le

Photo © Laurent Berger

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Le professeur est devenu au service de l’élève. Le professeur doit travailler pour l’élève. L’élève travaille moins que le professeur. L’élève croit qu’il a accès à tout sur son ordinateur. Le maître passeur disparaît au profit de l’animateur. Le professeur doit se surveiller pour ne pas heurter la sensibilité de l’adolescent. L’adolescent harcèle le professeur. Le professeur répète plusieurs fois pour le jeune qui n’écoute pas. Le professeur hausse le ton, on lui reproche de manquer de psychologie. Le professeur se fait agresser, on lui reproche son manque de pédagogie. Le professeur envoie un élève insolent chez le proviseur, ce dernier renvoie l'élève en classe. Les parents envoient des courriels au préfet reprochant aux enseignants des propos déplacés exprimés devant des jeunes qui pourtant se permettent tout. « Mais excusez-moi mais qu’est-ce que ça veut dire “ euclidien ” ? Quel est l’intérêt, franchement, d’apprendre ce terme aux enfants ? De mon temps, on n’apprenait pas ça et on vivait aussi bien ! » « En première année du secondaire, les gosses n’ont plus leurs cahiers » « Je me suis fait agresser par un parent d’élève à qui j’avais osé faire une remarque ! »

Les jeunes frustrés assimilent parfois la violence à une façon de s'exprimer comme une autre: « Monsieur, on ne fait que s’amuser! » Il se pourrait que ce moyen d’expression signale une absence d’alternative. Certains adolescents défavorisés ne trouvent plus d'issue à leur révolte. Ils n'ont pas reçu la connaissance qui aurait pu les éclairer sur leurs frustrations. Alors, ils montrent leur ingratitude. Leur ignorance devient alors arrogante. Elle se révèle être une arme contre un système insupportable. L’enseignant est parfois vu malgré lui comme représentant des puissants alors qu’il les critique également. Il est des puissants qui méprisent les enseignants: « Ils ne sont pas assez rentables! Ils ne préparent pas assez les jeunes aux métiers de l’entreprise!

Une ministre belge de l’enseignement à peine nommée à cette fonction propose d’allonger les heures de travail des professeurs fainéants ! Elle ignore que ceux-ci prestent des heures de correction à domicile sans parler des heures de bénévolat auxquels ces paresseux sont habitués ! Quelques réunions le vendredi soir pendant l’année scolaire sont devenues habituelles sous prétexte d’informer les parents. Un professeur de français qui a quatre classes d’une petite trentaine d'élèves savoure le plaisir de corriger minutieusement les dissertations de leurs candidats bien inspirés !

L’élève se mettait au niveau du professeur, il savait s’élever, aujourd’hui, le professeur se met au niveau des élèves. « Partez de leur vécu, partez de ce qu’ils savent, partez de leur culture ! » Encore faudrait-il savoir de quelle culture partir ? De la culture jeune produite par des jeunes adultes ? Du jeunisme qui est à la mode ? Du politiquement correct qui accommode ? Des accommodements raisonnables avec les communautés ? Les conceptions humanistes de l’école sont ainsi remises en cause : sociale, républicaine, laïque, libertaire. Le communautarisme et le particularisme semblent l’emporter si bien que le ventre devient mou. Cette mollesse s’accordant avec le clientélisme.
Le professeur choisissait d’élever ses élèves vers certaines hauteurs, aujourd'hui, il s’agit avant tout de faciliter l’apprentissage, de réduire la présence des obstacles, de réduire les exigences afin de plaire à la majorité. « Pourquoi voulez-vous enseigner la littérature à vos élèves, apprenez-leur à rédiger des lettres de candidature. Le principal, c’est qu’ils se tiennent tranquilles !

Parallèlement à la tendance au laxisme poussée par le néolibéralisme se dresse l’agressivité de la compétition, de la performance. Soyons cool, mais soyons performants ! L'enseignant est prié d'être efficace, aimable, prêt à recevoir les coups, disponible pour les heures de bénévolat le soir, aimer son école, comprendre les enfants rois, rassurer les parents dépassés. Il doit s'en sortir devant un public capricieux, ingrat. Ainsi, un professeur agressé manquerait de pédagogie. Les gestionnaires de l’efficacité lui conseillent de se former à la violence. Ceux-ci prétendent que le professeur peut anticiper la violence. Mais, la violence est irrationnelle lorsqu’elle surgit: « Je n’ai pas vu le coup partir! J’ai reçu une pierre dans la nuque pendant que j’écrivais au tableau. »

Les professeurs étaient jadis soutenus, défendus, aidés, accueillis par leur direction, cette dernière est actuellement plus soucieuse de l’image de son école qu’il doit gérer comme un manager, qui doit se conformer à la volonté omnipuissante des parents rois capricieux. Il existe donc un renversement de situation où le maître n’est plus le maître, ou l’apprenti est devenu le client à satisfaire. « Laissons-les venir en training sinon on risque de les perdre ! » « Laissons les jeunes filles venir voilées en primaire, pas grave ! Il faut relativiser quand même ! »

Il est impossible de défendre la pédagogie lorsqu’un rapport de force déséquilibrant s’introduit. Ce rapport de force est la négation de l’autorité. Autorité dans le sens d’être l’auteur d’une nouvelle vie. Celui qui a une belle autorité n’est pas un tyran. Le tyran est arbitraire. Apprendre, s’émanciper exigent un effort, supposent l’acceptation de la difficulté. Le "tout le monde est gentil et beau" diffusé est un mensonge religieux qui nous fait croire que tout est facile. L’égalitarisme doctrinaire ne permet plus d’envisager l’égalité sur un plan politique. A savoir l’égalité qui consiste à vouloir que chacun puisse selon ses moyens accéder à une certaine hauteur de vue, à un certain niveau d’exigence et de dépassement de soi. Dictées supprimées, auteurs trop dérangeants censurés, peintures trop osées occultées, certains sujets historiques et scientifiques évités, neutralité convenue.

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L’école est le lieu où les adolescents rencontrent les limites qui s’imposent par la vie en commun et l’apprentissage. L’autorité ne signifie pas la tyrannie. L’auteur présente une autorité reconnue non arbitraire, puisqu’il n’utilise pas la force. Il a recours à l’argumentation, au raisonnement rationnel. Aujourd’hui, la formulation de droits privatisés sans cesse répétés aboutit à la tyrannie. La tyrannie de l’élève qui se différencie par ses signes, ses comportements privés, ses objets visibles. Le marché incite à la différenciation et à la privatisation si bien que l’entendement commun devient impossible. Il est par conséquent impossible d’envisager la construction d’une société qui est remplacée par la juxtaposition plus ou moins pacifique de communautés qui se regardent de loin. Un arbre sans racine meurt. Si le maître ne peut plus semer dans son jardin, les graines ne pousseront plus. Ce qu'on appelle le nivellement par le bas est provoqué par une médiocratie qui s'installe qui aboutit à un manque de reconnaissance de celui qui pourrait nous dépayser, nous parler autrement, nous rendre ailleurs. 

 

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