Quand Sam croque la cerise

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Sam Touzani dans « Cerise sur le ghetto ». Photo © Maïté Renson

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Lecture 6 min.

Manneken Pis est encapuchonné et entouré d’un linge blanc. En cercle, enlacés, les Macca gueulent leur chant d’étudiant en dansant rue de l’Etuve au cœur de Bruxelles, au centre de cette Ville foisonnante de ses 200 nationalités, langues et cultures différentes. La Grand-Place scintille de lumières soulignant la richesse des décorations des façades qui nous rappellent la puissance des guildes du Moyen Age, ces commerçants et artisans qui faisaient et défaisaient les ducs, les comtes, les empereurs…

Cette place arbore le sapin du Noël qui s’annonce, plus commercial que jamais, tant la population est avide de distractions simples en cette période tellement troublée. Se promener, se frotter, se mêler aux autres tout en gardant les distances « sanitaires » : les touristes sont eux aussi de retour, timidement encore mais bien présents, découvrant celle « plus belle Grand-Place du monde » dont nous, les anciens nous savions qu’elle n’était pendant notre jeunesse que le plus beau parking du monde ! Au coin, des barrières empêchent le rituel t’Serclaes : frotter le bras, la jambe ou le chien de cette statue en formulant un vœu. On ne peut plus le toucher, Covid oblige.

Plus loin, dans le prolongement de la rue de l’Etuve, s’étire la rue du Poinçon, siège de l’Espace Magh, centre culturel chaleureux, belle vitrine de la vie culturelle bruxello-maghrébine où tous peuvent se retrouver dans la poésie, l’humour, la créativité des âges mélangés, des origines diverses, des identités multiples qui s’enrichissent les unes des autres dans une liberté créative.

Ce soir, Sam Touzani nous propose « Cerise sur le ghetto. Le pouvoir de dire non », hommage à sa mère, à son père, à son quartier de Molenbeek, à la Belgique qui accueille et qui sauve tout en enfermant et excluant les réfugiés, les exilés, les désespérés de la pauvreté.

Seul en scène, Sam déploie un espace de liberté humaniste et politique, d’humour vibrant et tendre pour ces femmes et ces hommes de culture et de religion musulmane, mêlant des mots arabes et des accents marocains à des tirades en français irrésistibles de drôlerie. Et l’on voit la réprobation de tout un quartier lorsqu’enfant il oublie que c’est Ramadan et qu’il ne peut pas croquer cette cerise si juteuse du paquet de fruits et légumes qu’il ramène à la maison. Il décrit la circoncision censée faire de lui un vrai petit musulman et qui le coupe définitivement de cette religion.

Mais surtout, il décrit son père, un peu spécial, et sa quête pour découvrir pourquoi. Il décrit sa mère, celle qui a eu la force de dire non aux autorités marocaines, à savoir le consulat marocain à Bruxelles qui, en 1972, lui refusait son visa pour aller au Maroc, qui l’a enfermée avec sa fille de 15 ans dans la cave de sinistre réputation où étaient battus et torturés les opposants au roi du Maroc Hassan II. Une mère de famille, un jeune fille, battues parce qu’elles ne voulaient pas payer le bakchich exigé par le consul qui ne supportait pas qu’une femme demande elle-même ses documents. Une femme qui s’est relevée, qui a porté plainte, qui a fait plier le consul et révélé au peuple belge la réalité de ce pouvoir dictatorial. Une femme qui a dit non et qui a fait confiance en la justice belge. Et nous, les anciens, on se souvient de cela. Du courage extraordinaire de ces immigrés marocains communistes, syndicalistes, enseignants, pères et mères en quête de liberté, travailleurs courageux alors qu’ils étaient en butte au racisme croissant d’une population qui ne les comprenait pas, qui souffrait de ce qu’ils percevaient comme une concurrence.  

Sam Touzani joue sa pièce un peu partout mais beaucoup dans les écoles, devant des jeunes, dont de nombreux petits-enfants de cette immigration causée par la pauvreté, la répression politique et la politique économique de la Belgique qui importait ses travailleurs pour effectuer les tâches les plus pénibles.

Des petits-enfants qui ne savent pas tout cela, qui s’enferment de plus en plus dans des bulles fabriquées par les illusionnistes de la religion la plus radicale, par des faussaires de l’information, par des extrémistes des pensées dévoyées. Dans les trams et les bus de Bruxelles, ce sont les écrans des smartphones qui illuminent les visages. Chaque jeune est plongé dans cette bulle hypnotique et ne regarde plus l’autre, le voyageur à ses côtés et qu’il ignore. Dans de nombreux quartiers de Bruxelles, des jeunes femmes, importées du Maroc dans la cadre du regroupement familial, vivent recluses, sans possibilité de communiquer avec les autres habitants car elles ne peuvent pas suivre les cours de français, les maris les cantonnent dans le rôle de mère et de cuisinière. Des jeunes se radicalisent au contact de guides spirituels porteurs de haine.

Les religions divisent, voilà pourquoi Sam Touzani milite pour une laïcité, espace de paix, d’émancipation culturelle, de respect des diversités culturelles et religieuses. L’espace Magh en est un exemple.

Le Collectif Laïcité Yallah en est un autre. Je vous invite à lire sa contribution dans le cadre des Assises de lutte contre le racisme, dont les travaux au Parlement bruxellois ont débuté en avril de cette année et qui viennent de se terminer, permettant aux parlementaires d’enfin se pencher sur cette question tellement complexe du racisme.  Ce groupe de citoyens constitué de croyants et de non-croyants ayant un héritage musulman entend lutter contre le racisme en puisant « dans l’humanisme et l’universalisme des Lumières avec comme postulat de base : « je suis un homme et rien de ce qui est humain ne m’est étranger. », comme le suggérait Montaigne. Ce sont les droits humains qui nous rassemblent, qui nous protègent.

Ce soir-là, à l’Espace Magh, avec Sam Touzani, nous nous sommes sentis humains, riant et pleurant, côte à côte, femme en cheveux, femme avec foulard, hommes jeunes et vieux, anciens à peau blanche ou à peau noire. C’était un « temps des cerises » maroxellois, une évasion de nos ghettos, une liberté accrue par celle des autres.

  • Assises de lutte contre le racisme :

http://www.parlement.brussels/assises-de-lutte-contre-racisme/

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