L’éducation, clef de la paix et de la solidarité

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Christine Mahy et Olivier De Schutter en débats lors de la remise du prix Henri La Fontaine 2021 à Bruxelles. Photos © Gabrielle Lefèvre

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Il faut abolir l’idée même de la guerre et la remplacer par le droit, ainsi que l’affirmait Henri La Fontaine, Prix Nobel de la Paix en 1913. Cet homme extraordinaire était ainsi cité par Didier Vivier, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, lors de l’attribution du prix international Henri La Fontaine, attribué à l’école indépendante Ahazaza au Rwanda.

Et quelles meilleures armes contre les guerres et toutes les injustices que l’éducation, que l’apprentissage de la raison et de l’esprit critique ? C’est ce que nous expliqua longuement Faouzia Charfi, professeure à l’université de Tunis, membre de l’Académie tunisienne des lettres, des sciences et des arts qui assurait la présidence de ce prix. L’école est le principal obstacle à l’obscurantisme, aux discours de haine, aux menaces contre la paix, au repli identitaire. En enseignant l’histoire des sciences on transmet les plus belles pages des archives de l’humanité, dit-elle, et on transmet la passion de découvrir le monde, en humanistes.  Et de nous rappeler Hypathia, femme de sciences égyptienne, qui surpassait les autres philosophes de son temps, assassinée par des moines obscurantistes chrétiens en 415 de notre ère ; Giordano Bruno, philosophe et cosmologue italien, brûlé sur le bûcher par l’Inquisition catholique en 1600, Galilée emprisonné jusqu’à sa mort en 1642 par l’église catholique qui déclarent hérétique sa théorie de l’héliocentrisme.

C’est aussi l’histoire des erreurs, des fausses pistes, des querelles entre scientifiques, explique Faouzia Charfi. Ce sont aussi les grandes révolutions contre les dogmes, contre le sens commun : la raison fait violence à l ’imagination, à l’illusion. La compréhension des phénomènes naturels n’est pas facile. Grâce à l’école laïque, au développement de l’esprit critique, les expériences menées par les élèves sont conçues pour valider des théories ou pour ouvrir d’autres questionnements. Ainsi évoluent les idées. C’est l’inverse de la démarche religieuse emprisonnée par des livres saints comme le Veda hindouiste ou le Coran musulman. La raison nous délivre des discours identitaires, de l’obscurantisme, de la montée de l’islam rigoriste. Et l’actualité nous démontre une fois de plus que les filles sont les premières victimes de ces fléaux, le statut de la femme est le grand enjeu de la modernité, conclu Faouzia Charfi.

Ainsi, dans cette école privée et laïque Ahazaza, dans une petite ville rurale du sud du Rwanda, les enseignants prônent la paix, la non-violence, la tolérance par l’éducation. Un système de bourses permet à des enfants défavorisés d’accéder à cet enseignement.

La pauvreté dans nos démocraties

Pour que le plus grand nombre accède à l’éducation, il faut renforcer nos démocraties basées sur le droit mais surtout sur la solidarité entre toutes les composantes de la société. Et pour cela, la pauvreté est l’enjeu premier d’un humanisme moderne, engagé comme celui qu’a incarné Henri La Fontaine. En cela, il était visionnaire, nous explique Olivier De Schutter, professeur et rapporteur spécial des Nations Unies sur l’extrême pauvreté et les droits humains. Une vision transnationale dans laquelle les gouvernements ne sont plus les seuls maîtres et où la notion de collectivisme annonce celle des « communs », ce qui s’est concrétisé dans les mouvements altermondialistes et dans les expériences de démocratie participative qui fleurissent aujourd’hui. Le collectivisme d’Henri la Fontaine représente la construction en commun d’un futur sans laisser à l’Etat le soin de dessiner le futur, précise Olivier De Schutter. Cette notion du collectivisme nous force à nous interroger sur les échecs de notre société, pas assez inclusive, où l’on reproche aux individus d’être pauvres où on les force à être « utiles » à la société mais selon le modèle dominant et pas selon leurs besoins individuels et collectifs.

C’est cela que développe longuement Christine Mahy, secrétaire générale du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté. Inlassablement, elle rappelle que les pauvres, « ceux qui ont trop peu de tout », ne sont pas « vus » par les autres classes de la société, les inondations que nous avons vécues cet été le démontrent encore. Nombre de ceux qui ont été les plus atteints par cette catastrophe étaient déjà pauvres, installés dans les zones inondables, faute de mieux. Or, le logement n’est pas un produit comme un autre, dit-elle. Il doit être traité de manière plus collective, il faut revoir la notion de propriété privée. Car la politique des investisseurs immobiliers privatise les communes : la terre, l’eau, l’air, le paysage, les maisons, les champs, les forêts… Il n’est pas normal, s’insurge-t-elle, que le droit à l’alimentation n’est plus garanti dans un pays aussi riche que la Belgique. La production agricole locale n’est plus garantie et 500.000 personnes vont chercher des colis alimentaires. Face à cela, l’Etat adopte des solutions palliatives qui lui coûtent cher et pas de solutions structurelles comme le maraîchage dans les villes, en commun, comme les emplois publics librement choisis selon l’exemple des communes zéro chômage… La pauvreté coûte cher à l’Etat à cause du mal vivre, des maladies, du chômage, de la délinquance qui s’ensuit. Il paie des associations qui privatisent la pauvreté au lieu d’investir dans les richesses humaines des victimes des inégalités et d’un système économique bancal.

« Notre combat permanent c’est faire voir les inégalités, dit-elle, interroger les droits et les richesses à l’aune des inégalités et arriver à un partage collectif afin de rendre la situation des pauvres meilleure qu’avant ». Et surtout, « voir les richesses diverses, y compris celles des pauvres », souligne-t-elle, des pauvres riches en expertise sur la pauvreté, sur la débrouille, sur le travail et le non travail, sur la solidarité de rue, de quartier, sur l’imagination d’autres manières de vivre.

  • Prix international Henri La Fontaine, cinquième édition, le 20 septembre 2021 à l’Académie Royale de Belgique. http://henrilafontaine.be
  • Faouzia Charfi a publié aux éditions Odile Jacob « La science voilée » retraçant les relations entre la science et l’Islam.
  • « Le collectivisme », texte d’Henri La Fontaine ; introduction : PierrePaul Maeter.
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Faouzia Charfi explique l’importance d’une éducation laïque.

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