La plus vieille servitude du monde

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Des victimes de la misère dans le quartier de l’Alhambra à Bruxelles. Photo © Bx1

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Prostitution, le plus vieux métier du monde… Cette définition masque une réalité tragiquement différente : celle d’un esclavage le plus vieux du monde, depuis que la loi du plus fort supplante la solidarité et que les rapports entre les sexes ont été régis par la violence. Donc, depuis l’aube de l’humanité.

Ce que l’on appelle la civilisation est en réalité la progressive conquête des valeurs humanistes qui consacrent la dignité de la personne humaine en même temps que l’harmonie d’un vivre ensemble basé sur la solidarité et non l’accaparement, la compétition, la guerre.

Parler de « plus vieux métier du monde » pour désigner une exploitation du corps humain est une manière hypocrite d’éviter l’interrogation sur nos propres idées à ce sujet et sur le traitement que la société accorde à ce problème.

L’exploitation sexuelle des plus faibles (qu’il s’agisse d’hommes, de femmes, d’enfants) est actuellement le fait de mafias de la pire espèce. Il s’agit bien d’une traite d’êtres humains aussi maléfique et odieuse que l’esclavage et la traite des Noirs dans les siècles passés. La grande majorité des personnes prostituées sont des victimes de cette violence extrême ou de la pauvreté. Très rares sont celles qui pratiquent cela « librement », hors filières de souteneurs. Dans ce cas, que ces personnes assument leur « métier » à risques. La société ne leur doit rien. C’est bien pour cela qu’en Belgique la prostitution est tolérée mais le proxénétisme et le racolage sont condamnés.

Il faut avoir vu le drame extrême des jeunes filles, des enfants mêmes, kidnappés ou achetés dans des villages très pauvres du Cambodge et asservis à la violence sexuelle le plus grave pour comprendre que l’expression « travailleurs du sexe » est une insulte à la dignité humaine. Esclaves du sexe est le terme adéquat. J’ai visité le red light district de Phnom Penh, très fréquenté par les touristes mâles du monde entier. L’envers du décor rutilant est une profonde misère matérielle, sexuelle et sociale. Et quand ces victimes ont cessé d’être utiles, parce qu’épuisées, malades (à cause des MST et surtout du sida), elles sont jetées à la rue et condamnés à la mendicité et à la mort. J’ai vu le travail extraordinaire d’associations qui tentent d’arracher ces filles à leurs exploiteurs, voire de les racheter et de leur apprendre un métier afin qu’elles puissent survivre dignement après leur esclavage. Beaucoup d’entre elles sont simplement transportées jusque dans leur village natal pour y mourir. Là, j’ai vu des fonctionnaires des Nations Unies s’amener avec leur mode d’emploi des soins à prodiguer aux populations pauvres et dans lequel on trouve l’expression de « sexual worker ». Le comble du politiquement correct ! Sous prétexte de respecter les personnes en ne les qualifiant pas de prostituées, on masque leur malheur réel, celui d’un esclavage toléré par nos sociétés.

Ce que j’ai vu au Cambodge se passe partout dans le monde. Partout aussi, des centaines de personnes dépensent sans compter leur temps, leur énergie, leur générosité pour aider ces victimes de la violence sexuelle. Mais que font les Etats pour démanteler les filières mafieuses, les agissements criminels des proxénètes ? Que font-ils pour sauver ces esclaves modernes et leur offrir un avenir de travail dans la dignité ? On dépense plus d’argent dans la lutte contre le terrorisme et la drogue que contre cette exploitation odieuse de l’homme par l’homme.

Pire, des responsables politiques se réfugient dans des solutions « pragmatiques » qui sont en réalité une institutionnalisation de cette exploitation : des « Eros centers », des maisons closes officielles où, certes, les modernes esclaves du sexe seront mieux protégées et soignées mais où se perpétue l’exploitation du corps humain, légitimé par les pouvoirs publics et surveillé par la police !

Polémique à Bruxelles

Il y a quelques jours, le nouveau bourgmestre de la Ville de Bruxelles annonçait son intention d’éliminer la prostitution dans le quartier de l’Alhambra en pleine rénovation : « D'abord, on ne veut ni l'encadrer, ni la réglementer ; on veut qu'elle disparaisse du quartier, explique Philippe Close. A la Ville, on pense aujourd'hui que dans un état moderne du 21ème siècle, capitale de l'Europe qui plus est, cette traite des êtres humains qui se fait en plein milieu d'un quartier que les familles sont venues réinvestir. Il y a une grosse rénovation urbaine qui est entreprise par la Ville de Bruxelles depuis plus de 15 ans, ce n'est tout simplement pas admissible! »

Le nouveau bourgmestre s’inspire des positions à la fois fermes et nuancées des Femmes Prévoyantes Socialistes qui réclament, comme objectif à long terme, la disparition de la prostitution, le maintien de la pénalisation du proxénétisme, la dépénalisation pour les personnes prostituées et une « formation spécifique, capable de garantir le soutien nécessaire à la sortie de la prostitution, pour les policiers, magistrats, travailleurs sociaux et psychologues travaillant dans des structures susceptibles de rencontrer des personnes prostituées ».

Une politique difficile mais courageuse. La riposte a été immédiate : la secrétaire d’Etat Bianca Debaets, CD&V, qui a visité la Villa Tinto à Anvers, veut imiter ce modèle de  maison close privée à Bruxelles. Il s’agit rien de moins qu’une solution de marchandisation du corps humain au profit d’intérêts privés soutenus par des pouvoirs publics.

On attend donc de la Région bruxelloise une ligne directrice claire et une aide aux bourgmestres pour, enfin, faire respecter la loi : interdire le racolage, pénaliser le proxénétisme et la traite des êtres humains, sauver les victimes de ces trafics indignes. Et réaliser un idéal de dignité humaine qui devrait être celui de tout responsable politique.

Plus d’infos dans « Prostitution, arguments et opinions », publication FPS, 2011. http://www.femmesprevoyantes.be/themes/citoyennete/prostitution/

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En débat : http://bx1.be/bruxelles-ville/les-travailleuses-du-sexe-reprochent-philippe-close-sa-methode-dure-pour-eradiquer-la-prostitution/

 

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