"J'aurais préféré ne pas être ici"

Les indignés

Par | Journaliste |
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Photo © Jean-Frédéric Hanssens

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Lecture 8 min.

Voici le texte du discours de Mehdi Kassou prononcé par Adriana Costa Santos à la remise du prix de la fondation Henri La Fontaine 2018 au Sénat de Bruxelles, ce 19 octobre 2018.

Mesdames et Messieurs,

Citoyens, Citoyennes - Solidaires, en vos titres et qualités.

J’aurais préféré ne pas être ici. J’aurais préféré ne pas devoir prendre la parole au nom de dizaines de milliers de citoyens engagés, mobilisés, solidaires.

J’aurais préféré que ce mouvement n’existe pas.

J’aurais préféré que les raisons pour lesquelles nous sommes ici aujourd’hui n’aient jamais existées.

J’aurais aimé que jamais n’existent les:

“ Allez, dégage” accompagnés de petits coups de bottes à l’aube en guise de réveil au parc Maximilien.

J’aurais aimé que les colsons n'aient jamais zippé, serré et blessé tant de poignets.

J'aurais aimé ne jamais assister aux battues organisées par la police dans le parc Maximilien afin que sortent de leurs abris de fortune les quelques centaines de personnes n'ayant d'autre endroit qu'un sol boueux pour se reposer.

J'aurais aimé que nous n'ayons jamais eu à penser ou à organiser la protection d'humains victimes d'une politique migratoire ferme, inhumaine, répressive et d'une violence dont l'histoire se serait bien passé.

Mais nous sommes-là aujourd'hui.

Nous sommes ici aujourd'hui pour recevoir une reconnaissance, mais, comme vous l'aurez compris, nos sentiments sont mitigés.

Si la reconnaissance de nos actions nous touche et nous honore, il serait presque schizophrénique de s'en réjouir tant les raisons pour lesquelles nous existons sont inadmissibles, inacceptables.

Nous sommes nés dans l'urgence.

Nous avons grandi dans l'urgence.

Nous nous sommes organisés dans l'urgence.

Nous avons structuré du mieux que nous pouvions la réponse que nous apportions à une violence bien plus structurée, bien plus équipée, bien plus organisée et surtout... bien plus politisée.

C'est là toute la honte que le gouvernement actuel devra un jour assumer devant l'histoire.

Si la mémoire des uns semble courte et les autorise à nous envoyer au visage des scènes et des comportements dont on pensait qu'ils ne se reproduiraient jamais, l'histoire elle, je l'espère, se rappellera.

(L’histoire) se rappellera de ces dizaines de milliers de citoyens qui répondaient aux coups de bottes par des mains tendues, aux poignets blessés par des accolades fraternelles, au froid de la rue, par un coin près de feu, à l'humidité des cachots par des lits au chaud, dans leurs maisons.

Notre MOBILISATION c'est:

Plus de 200.000 nuitées offertes.

Plus de 400.000 repas partagés.

Plus d'un million de sourires échangés.

Avec un chiffre unique pour notre gouvernement:

Zéro.

Zéro solution.

Lorsque nous avons réclamé un centre d'accueil et d'orientation, Mr le Premier Ministre nous a répondu “Appel d'air”.

Sans arguments, sans fondement, sans rigueur scientifique, sans preuves... Appel d'air.

Lorsqu'un an plus tard nous lui avons prouvé, chiffres à l’appui que l'appel d'air n'existait pas et que la dignité des uns ne devait pas être conditionnée aux peurs des autres…

Il n'a même pas daigné nous répondre.

Rappelons que lorsque notre voisine, la France, a dû démanteler Calais, ce sont les Centres d'Accueil et d'Orientation qui ont permis à 60 % des humains de la triste JUNGLE de Calais de trouver une solution.. une sortie de la boue.

Lorsque le Gouvernement s'est dit défendre un Etat de droit, opposant le droit à la générosité, nous lui avons rappelé que notre état et notre système étaient généreux et que le droit permettait d'amorcer une solution, en activant la clause de souveraineté, par exemple.

Celle-ci permettrait aujourd'hui à de nombreux hommes, femmes et enfants, éligibles à l'asile, d'obtenir une protection de la Belgique sans prendre le risque d'être renvoyés vers l'Italie de Salvini et les camps désastreux dans lesquels sont entassés des dizaines de milliers de candidats à une meilleure vie.

“Qu’ils demandent l'asile”, répondait, arrogant, le Secrétaire d'état à l'asile...

Et lorsqu'enfin l'accompagnement social et le soutien des familles ont conduit à faire de ceux qu’il appelle “transmigrants” des demandeurs d'asile...

Il a répondu “Il faut cesser le chaos de l'asile”. Allez comprendre !

Le gouvernement n'a donc pas fait le moindre pas en avant ni proposé l'ombre d'une solution.

Il a bien fait un pas de côté sur le projet de loi dit des visites domiciliaires, cédant sous la pression de la société civile.

Il a aussi et surtout fait un sérieux bond en arrière lorsqu'il a décidé de recommencer à enfermer des familles et leurs enfants afin d'organiser et exécuter leur expulsion du pays.

Le 14 septembre dernier, Madame Defraigne disait d'ailleurs être contre l'enfermement des enfants, rappelant qu’elle était également parent.

Nous ne pouvons que regretter que ce sentiment ne soit pas partagé par l'ensemble des membres du gouvernement, aujourd'hui responsables de la détresse psychologique confirmée des 3 premiers enfants nés en Belgique et expulsés en Serbie, pays dont ils ne connaissaient rien avant d'y atterrir.

Nous ne pouvons que regretter que le gouvernement actuel nous ait propulsé 10 ans en arrière.

Car oui, entre 2004 et 2008, plus de 2000 enfants avaient été détenus avec leurs parents, dans des centres fermés en Belgique.

Rappelons qu'en 2008, la pratique consistant à enfermer des familles avec enfants a cessé suite aux trois condamnations de la Belgique par la Cour européenne des droits de l'Homme.

Aujourd'hui, après avoir placé quelques trompes-l’oeil et des toboggans à 200m d'une piste d'atterrissage, Mr Francken pense avoir fait le nécessaire pour garantir que ces détentions d'enfants se fassent dans des conditions plus adaptées, plus acceptables?

J'espère que Mr Francken et ceux qui pensent comme lui seront bientôt à nouveau condamnés et qu'enfin on appliquera ce que la raison et le coeur nous font répéter depuis trop longtemps maintenant:

ON N'ENFERME PAS UN ENFANT. POINT.

Depuis trop longtemps des évidences sont répétées parce que depuis trop longtemps des décisions inhumaines sont appliquées.

Nous existons à cause de ces décisions.

Nous sommes la conséquence de ces décisions politiques.

Nous sommes la conséquence de la déshumanisation des décisions politiques.

Et si nous étions une poignée il y'a un an, nous sommes aujourd'hui un troupeau, une fourmilière qui s'organise, qui grandit jour après jour et qui souffle un vent nouveau.

Nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que nous nous devions de répondre à l'urgence en posant un acte de solidarité.

Nous sommes de plus en plus nombreux à comprendre que cet acte de solidarité dépasse désormais l'urgence.

C'est dans l'urgence que s'est construite une compréhension nouvelle de notre société, de la Belgique, de nos interactions avec le politique, de ce que nous pouvons accepter et de ce que nous n'accepterons jamais.

S'il est un message que nous devons rappeler et qui devrait être compris en cette période électorale...

… c'est que nous sommes la base,

nous sommes les gens,

nous sommes la société...

… nous n'avons rien à gagner si ce n'est que laisser un monde plus humain à ceux qui viendront après nous.

Nous sommes les électeurs et le vent a commencé à tourner.

Nous choisissons, nous votons, nous décidons de ce que notre société sera.

Nous ne partageons pas toujours les mêmes objectifs politiques mais nous savons ceci:

Si nous ne peuplons pas le monde de gens plus solidaires, si nous n'oeuvrons pas ensemble à ce que les plus vulnérables parmi nous soient les plus protégés…

...si nous permettons aux politiques du repli sur soi d'exister, de se propager...

Il ne restera rapidement plus qu'un parterre d'égoïstes pour faire tourner notre planète.

Que Messieurs et mesdames nos décideurs l'entendent.

Nous sommes-là et nous sommes de plus en plus nombreux.

Nous sommes sur le terrain, occupés à pallier leurs manquements.

Il leur sera donc facile de nous trouver lorsqu'il arrêteront leur politique de l'autruche et sortiront la tête du sable.

Espérons qu'alors nous pourrons ensemble permettre à la Belgique de retrouver un peu de sa superbe.

Merci.

Merci à Mokhtar Trifi, président de la Ligue tunisienne des Droits de l’Homme, honoraire Prix Nobel de la Paix 2015, Président d'honneur du Prix Henri La Fontaine 2018.

Merci à la Fondation Henri La Fontaine.

Merci à Madame Defraigne, pour avoir été la première à voter la motion dite des communes hospitalières mais aussi la première motion s'opposant au projet de loi des visites domiciliaires.

Merci 42.000 fois aux membres de la Plateforme pour être ceux qu'ils sont, faire ce qu'ils font et souffler un vent d'espoir sur notre Belgique.

Mais surtout, je voudrais adresser nos plus sincères et chaleureux remerciements et applaudissements aux centaines d'hommes et femmes que nous avons rencontrés, venus du Soudan, d'Ethiopie, d'Erythrée ou d'ailleurs, pour nous avoir enseigné...

la patience,

le courage,

la résilience,

le partage,

la force,

la persévérance.

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