Gratuit comme la beauté de la vie

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Des enfants de Kenscoff, en Haïti, sont retournés à l'école après une longue période de troubles en 2019. Ils ont reçu du riz et des haricots, dans le cadre du programme d'alimentation scolaire du PAM. Photo © PAM/Alexis Masciarelli

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Oui, les chiffres sont consternants. Oui la pandémie nous enserre de plus en plus étroitement dans son étau. Oui, la pauvreté explose, aussi bien dans les pays plus vulnérables d’Asie et d’Afrique, les plus soumis au néocolonialisme, que chez nous, producteur de ce virus économique dévastateur.

Dans Le Soir, Abhijit Banerjee, prix Nobel d’économie, avertit : « l’abandon des pays en développement à leur propre sort, avec leurs lots de contraintes, de maladies déjà existantes, de problèmes sociaux. La pandémie plonge des millions de personnes dans une pauvreté absolue. Nous avons besoin d’un plan Marshall-Covid 19 pour les pays du Sud. » Car la majorité de la population du Sud n’aura pas accès aux vaccins contre le Covid-19, au contraire des populations des pays riches.

Ce qui plaide pour la campagne mondiale pour un vaccin « bien public » lancée par Riccardo Petrella (lire sur notre site).

Face à la catastrophe humanitaire qui se profile dans ces pays pauvres où les usines ferment, les récoltes pourrissent faute de pouvoir êtes exportées, les prix des matières premières s’effondrent, les pays riches doivent réagir : « Il suffirait que l’Europe réoriente 15 milliards de ses fonds pour sauver des millions de vies. Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, réclame 38 milliards pour les organisations qui relèvent des Nations unies », explique l’économiste indien.

Son plaidoyer est souligné par l’actualité : le Prix Nobel de la Paix vient d’être décerné au Programme Alimentaire Mondial (PAM), organisation des Nations Unies créé en 1963 pour lutter contre la faim dans le monde. Il a été récompensé pour « ses efforts de lutte contre la faim, pour sa contribution à l’amélioration des conditions de paix dans les zones touchées par les conflits et pour avoir joué un rôle moteur dans les efforts visant à empêcher l’utilisation de la faim comme arme de guerre », a déclaré la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen.

Au moment où le multilatéralisme est gravement menacé par les politiques nationalistes et guerrières menées par des Trump et autres leaders asiatiques et occidentaux, cette distinction à un Programme des Nations Unies est une belle réponse à l’appel angoissé qu’avait lancé le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, pour que cessent les conflits et que la solidarité devienne notre arme mondiale contre la pandémie et les ravages qu’elle provoque non seulement au point de vue sanitaire mais aussi aux plans économiques et sociaux.

Chez nous, les avertissements se multiplient. Ainsi, l’Observatoire social européen a mené une vaste étude qui constate que les inégalités d’accès aux soins de santé en Belgique sont parmi les plus marquées de l’Union européenne. La chercheuse Sophie Cès précise : « En Belgique, 2% de la population déclarait, en 2017, ne pas pouvoir accéder à des examens ou des traitements médicaux en raison de leurs coûts. » Mais « chez les personnes socio-économiquement défavorisées, le risque de renoncement ou de report de soins monte à 6,7% ». Sur l’échelle de ce baromètre européen, seules la Grèce et la Lettonie font pire. Or, cette étude date de 2017 et la situation n’a fait que se dégrader depuis et encore plus en cette période d’épidémie.

Une des conclusions de Sophie Cès est que les enfants doivent avoir accès aux soins de santé gratuitement ; qu’il faut réformer le dispositif de l’intervention majorée et développer les maisons médicales, améliorer la couverture de l’hospitalisation et de certains soins peu ou pas remboursés, étendre le système de tiers-payant à tous les soins ambulatoires…

Alors, la gratuité des services publics ne serait-elle pas une meilleure piste que les diverses tentatives de créer un revenu de base ?

La question est analysée par Romain Gelin, chercheur au GRESEA. Décortiquant une étude menée en Grande-Bretagne, il souligne que les chercheurs ont estimé « le coût du ‘paquet’ de services basiques universels à 42 milliards de livres par an (2,3% du PIB britannique ou 5% du budget de l’Etat) contre 250 milliards de livres pour le revenu de base inconditionnel (13% du PIB britannique ou 31 % du budget de l’Etat). La gratuité d’un ensemble de services pourrait donc coûter six fois moins cher que la mise en place d’un revenu de base. »

Et pour financer cela, il est proposé une taxation progressive des revenus afin de faire contribuer les ménages en fonction de leurs revenus. En résumé, « la gratuité est une prise en charge collective et non marchande des besoins élémentaires de la population », écrit Romain Gelin.

Une belle perspective révolutionnaire, non ?

Pour en savoir plus :

https://plus.lesoir.be/330277/article/2020-10-08/abhijit-banerjee-le-covid-induit-des-risques-de-catastrophes-terribles-dans-le

https://www.entreleslignes.be/humeurs/les-indign%C3%A9s/covid-19-la-sant%C3%A9-publique-mondiale-reste-chose-priv%C3%A9e

« Se soigner, de plus en plus un luxe ? », entretien avec Sophie Cès par Joëlle Delvaux, paru dans « En Marche », organe des Mutualités Chrétiennes le 1er octobre 2020.

http://www.ose.be/files/publication/health/Communique_Presse_Rapport_INAMI_30072020.pdf

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« Protection sociale : gratuité ou revenu de base ? », par Romain Gelin, L’esperluette, trimestriel du CIEP/MOC n°105 septembre 2020.

https://gresea.be/La-gratuite-revolutionnaire

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