Face aux vents contraires, "Les oiseaux sans plumes"

Chemins de traverse

Par | Journaliste |
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Ce livre permet de comprendre la difficulté de quitter son pays pour reconstruire sa vie là où on peut la gagner, avec un courage de chaque instant. Photo © Marcel Leroy

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Lecture 3 min.

Deux cent trente pages, quelques photos en noir et blanc, un titre qui pourrait être celui d'une chanson sur l'exil. Pour écrire "Les oiseaux sans plumes", Anna-Maria Sechi a sondé sa mémoire et réfléchi aux conséquences de ses mots avec constance, pendant des années. Après avoir terminé son manuscrit, elle a entamé un long combat pour le publier, animée de la conviction qu'elle devait parler pour ceux qui n'ont pas droit à la reconnaissance et dont on ne mesure guère les efforts qu'ils ont dû consentir pour reconstruire leur vie loin de leurs racines. Originaire de Sardaigne, Anna-Maria a rejoint son papa en 1953. Elle quittait, avec sa famille, une île d'une grande beauté mais où régnait la misère après la guerre 40-45. Dans le cadre des accords de 1946 entre l'Italie et la Belgique, son père vint dans le Hainaut pour arracher du charbon. Loin d'être l'eldorado décrit, le pays des charbonnages et des terrils offrait une existence dure aux émigrants. Comme tous ses compagnons de route, Anna-Maria apprit à vivre de peu, mais dignement, et fit de grands efforts pour s'adapter. Elle s'est mariée jeune, a eu deux filles, en a perdu une, en raison d'une maladie grave. Son époux était mineur comme son père. Souffrant de silicose, Pierre s'est reconverti. Ils ont été domestiques à Bruxelles. Il a étudié et travaillé dans le diamant. Elle a appris le métier de pédicure. Ils ont réussi mais ce  fut un parcours semé de sacrifices.

Au-delà de l'histoire d'Anna-Maria, ce livre est un document rare. Il est écrit avec élégance et détermination par une femme qui a dû s'imposer dans un monde d'hommes. Qui a quitté une culture pour en découvrir une autre. L'auteur établit un pont entre la Sardaigne et la Belgique, un  lien humain fort et lucide. De Perfugas à Jumet, où elle vit aujourd'hui, de ses 12 ans à la maturité, Anna-Maria a toujours observé la société. Souvent, ce qu'elle a vu a suscité sa révolte mais jamais elle ne s'est résignée. Avec son mari, elle a réussi à quitter l'univers de la mine - en bout de course - et ils  peuvent être fiers de ce qu'ils ont accompli. Quand elle retourne en Sardaigne, dans la maison sur la colline, la dame de Jumet s'exprime dans une langue sarde classique qui étonne ses voisins. De son île, elle parle avec ferveur, retrace son histoire, les invasions, la résistance des gens attachés à leur mode de vie. C'est en Sardaigne qu'elle puise sa force.   

Ce document permet de se mettre dans la peau d'une personne qui n'a eu d'autre choix, pour survivre, que de prendre la route avec son léger bagage pour trouver sa place au soleil. Même si l'histoire d'Anna-Maria Sechi n'a rien à voir avec celle des émigrés d'aujourd'hui, ceux par exemple qui passent par le parc Maximilien, le lecteur ne peut s'empêcher d'établir un lien avec l'actualité. De tout temps, des êtres se sont levés pour aller de l'avant et trouver leur salut. Le fait que quelqu'un, sensible à leur voyage, les écoute un moment, leur offre un repas en partage, apparaît alors comme un signe d'humanité dans un monde souvent très dur, où le repli sur soi par instinct de conservation prime trop souvent sur l'altruisme. "Les oiseaux sans plume" font entendre une voix forte et sensible.

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"Les oiseaux sans plumes" par Anna-Maria Sechi. Editions Le Livre en papier. 20 euros. 230 p.   

 

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