Enseignants absents des débats médiatiques

L’avenir de l’école

Par | Penseur libre |
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Photo © Laurent Berger

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Le discours actuel médiatique sur l'école est étonnant: les enfants seront en sécurité entre eux, ils ne doivent pas porter de masque, plus la peine de maintenir les mesures de distanciation sociale. Les enfants ne contamineraient pas les adultes, l'inverse serait vrai. Les enfants étaient tenus à l'écart des grands parents, mais ils pourront fréquenter des enseignants qui ont plus de cinquante ans et qui sont invités à ne pas porter de masque en classe. Je ne vais pas évoquer les incohérences des consignes qui nous sont données depuis de cet univers où les experts présentent des certitudes du moment. La science et le politique se mélangent dangereusement. La science se met au service de groupe de pression divers. Au milieu de ces rumeurs chaotiques, l'école est une fois de plus priée de répondre à tous les besoins possibles: sociaux, parentaux, psychologiques, médicaux. 

Ce qui me frappe, c'est que tout le monde parle de l'école alors que les enseignants ne sont pas invités aux débats quelles que soient les prises de position qu'ils pourraient présenter. Des médecins, des experts, des pédiatres, des parents sont médiatisés tous les jours, mais les pincipaux concernés se taisent. Ils doivent répondre présent pour satisfaire des clients exigeants. Eduquer, rassurer, protéger, jouer au papa, jouer à la maman, à l'assistant social, au médecin. Des services qui s'écartent de plus en plus de la pédagogie et de leur formation initiale. 

Ce qui est aussi interpellant, c'est de croire un peu naïvement que les enfants sont heureux à l'école. Que l'école pourra les mettre à l'abri des problèmes qu'ils pourraient rencontrer chez eux avec leurs parents. Comme je l'ai déjà signalé, l'école peut s'avérer un lieu violent et étouffant pour certains enfants qui ne répondent pas au confirmisme et aux aspects normatifs scolaires. Remarquez que plus personne n'évoque le harcèlement scolaire, les dealers présents aux sorties des écoles, le racket. L'école est idéalisée: elle est présentée comme la solution miracle à tous les problèmes que les parents pourraient rencontrer avec leur progéniture. 

De manière hypocrite, on mise sur l'école pour réduire les inégalités sociales alors que la Belgique présente un système scolaire où règnent des inégalités flagrantes. Les écoles européennes sont fermées jusqu'en septembre. Allons-nous nous diriger vers l'enseignement à distance pour les riches et l'école garderie pour les pauvres? Trois heures de français dans l'enseignement professionnel contre cinq dans l'enseignement général. Voyages scolaires formidables organisés dans les écoles de riches, absence de bibliothèque dans l'école des pauvres. Les enseignants qui sont les témoins directs de ces inégalités s'expriment de plus en plus rarement. 

Je voudrais insister sur le fait que l'école publique est délaissée, abandonnée avec ses batîments insalubres, le vandalisme, les toilettes qui deviennent un lieu d'insécurité. Un lieu où la massification, la surpopulation, le clientélisme développent une agressivité générale. La parole des enseignants est absente, elle n'est plus sollicitée. Alors, certains professeurs abandonnent, tombent en dépression après avoir été agressé par un élève, se mettent en congé maladie, sont accusés de ne pas faire preuve de pédagogie devant la violence qui règne. Est-ce que c'est la dynamique sociale qui émancipe réellement à l'école ou putôt la circulation des vêtements de marque, des cosmétiques ou encore des accessoires coûteux?

Durant cette période d'incertitude, les enseignants auraient pu participer à l'expression d'un véritable projet scolaire au lieu d'être sollicités à des consignes contradictoires, à des réformettes à la mode, à des évaluations continues abrutissantes, à une bureaucratie absurde. 

Donner la parole aux acteurs de l'école pour que celle-ci soit réellement un lieu d'émancipation sociale et d'élitisme pour tous, mais non, les enseignants comme d'autres travailleurs de seconde zone aujourd'hui doivent se taire. Une ministre a récemment osé dire que les infirmières étaient des enfants gâtés, comme, certains prétendent que les professeurs sont en vacances, des fonctionnaires fainéants, qu'ils se plaignent tout le temps.  

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En définitive, en cette période où nos libertés individuelles se trouvent encore réduites sous des prétextes sanitaires, pas de risque, que les enseignants descendent manifester en rue, s'inscrivent à des syndicats, retrouvent la parole citoyenne et politique. Et de retour à l'école en juin, s'ils tombent malades, ils auront deux mois de vacances pour s'en remettre!

A l'heure où la culture est réduite aux loisirs, l'école est réduite à la consommation. Je crains que le nihilisme du tout est possible et permis, accompagné d'un laxisme, n'aboutissent au totalitarisme. Si l'école perd son espace de citoyenneté au profit d'un lieu qui ressemble à une entreprise, les professeurs ne seront plus des pédagogues mais des managers. Or, si l'acteur perd son rôle dans le théâtre de la vie, la liberté, l'égalité, la fraternité ne sont plus envisageables.

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