A Bruxelles, face à la précarité
Titre, "Des rencontres et des mots". Sous-titre, "Ecritures conjuguées". Publié aux éditions Ker, ce recueil de quinze témoignages résulte de la détermination de la Foire du Livre de Bruxelles, d'Amnesty International et de Médecins du Monde. Quinze rédactrices et rédacteurs, en duo avec autant de témoins, s'efforcent de parler au nom du peuple des invisibles, pour rappeler leur existence, manifester leur présence. "Le Soir" vient de publier un dossier sur un fait qui choque sans vraiment déranger, à la longue. Dans la capitale de l'Europe, une personne sur trois vit sous le seuil de pauvreté. En Wallonie, la situation n'est pas meilleure. Malgré l'action de CPAS sous-financés et d'associations qui se décarcassent avec des bouts de ficelle. Telle est la réalité que l'on ne perçoit, dans les rues, qu'à condition d'ouvrir tout grand les yeux et d'écouter les gens. Pas si facile.
Didier Daeninckx, dans sa préface, cite un court extrait d'un des textes: "L'année de mes dix-sept ans, je ne me suis pas lavé une seule fois". Il réagit avec ces mots..."Il y a des phrases comme ça, que l'on entend au milieu d'un flot de paroles et qui transpercent d'un coup le mur des indifférences. Celle-ci a été prononcée par un jeune Croate obligé de fuir son pays où la guerre avait bouleversé tous les arrimages historiques, politiques ou familiaux". A la page suivante, Gregory Laurent et Christine Defoin, de la FDL, manifestent la volonté d'être au plus près des personnes pour qui lire est plus compliqué que pour d'autres. Déjà, pour lire paisiblement, il faut avoir un endroit décent où se poser. Avoir l'esprit libre de ces tourments qui plombent le quotidien, quand on n'a plus de quoi faire des projets.
Lors de la présentation de ce document de lutte, des comédiennes et comédiens des Universités Populaires du Théâtre ont prêté leurs voix à des extraits des textes, appuyés par deux musiciens. Quand Denis Uvier, ancien SDF devenu éducateur de rue à Charleroi, entendit Virginie dire son poème dédié à la mémoire d'une jeune femme emportée par la rue et ses maux, il était bouleversé, en pensée avec ces compagnons qu'il défend avec cette énergie qui voudrait n'être pas du désespoir. Contre vents et marées, il lutte, c'est le sens de cet ouvrage, de tous ces textes, dans leur diversité de tons, de thèmes, de formes. .
Ecoutez donc "Trop Tôt Tu T'es Tue", carolo blues à la Denis Uvier, balancé sur facebook, d'instinct, ainsi un message confié à la mer numérique, récupéré pour ce bouquin...
"Les yeux mouillés
Le coeur noyé
Main tendue vers quoi
La peur de vivre ta vie
Elle a dit, tremblante
Une petite pièce s'il vous plaît
Je ne bois pas, ne fume pas
Te demande juste
De quoi manger
Elle a baissé la tête
Sous le regard de l'autre
Qui ressent son humanité
Suis parti avec elle
Manger chez l'ami Pippo
Comme d'hab, il a souri
Un paquet de frites, un cervelas
Une fricadelle, un orangina
Modeste repas, tu diras
Elle, folle de joie
Trop vite mangera
Elle dit merci, sourit
S'en alla je ne sais où
Jamais plus
Je ne la croiserai
Puis, triste, triste
J'ai appris, déchiré/
Qu'elle se droguait
Vendait son corps
A Bruxelles et Verviers
Dans des squats perdus
Elle a fini sa route, vaincue/
Par la poudre qui tue
J'me rappelle plus vraiment
La couleur de ses yeux
Ni même de ses cheveux
Mais j'me souviens fort
De ce sourire si frêle
C'était au snack de Pippo
Chez qui on reçoit
Les super frites de Charleroi
Salut à toi là-haut
Quel était ton nom?
SDF, étrange inconnue
Trop tôt tu t'es tue
Trop tôt tu t'es tue".
-Les auteurs sont: Henri Belyn, Véronique Bergen, Laurent Demoulin, Geneviève Damas, François Filleul, Kenan Görgün, Gioia Kayaga, Françoise Lalande, Marcel Leroy, Lisette Lombé, Maïté Lonne, Patrice Moncomble, Pedro Romero, Fatiha Saidi, Nathalie Skowronek, Kim Thûy, Denis Uvier. Illustration de la couverture: Kelechi Johnbosco.
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