75 ans de l’ONU : réinventer le système ?

Zooms curieux

Par | Journaliste |
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Une action au Mali du Programme Alimentaire Mondial qui a reçu le Prix Nobel de la Paix. Photo © WFP/Ramin Rafirasme

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Pas de chance pour l’organisation des Nations Unies : elle célèbre son 75ème anniversaire dans un climat dramatique.

La pandémie Covid-19 a mis à mal l’Organisation Mondiale de la Santé. Les appels aux cessez-le-feu entre divers pays du monde n’ont pas été écoutés. La diplomatie multilatérale est éclipsée par des caucus restreints entre puissances niant les voix de la majorité des pays du monde. On craint une relance de la guerre nucléaire. Les trafics d’armes, de drogues, d’êtres humains n’ont jamais été aussi florissants car ils profitent des déstabilisations multiples de pays, des guerres régionales, des luttes pour l’accaparement des richesses naturelles, le pétrole et le gaz en premier (1).  Quant à la solidarité dans la lutte pour sauver notre climat et donc la survie de l’espèce humaine, elle est sans cesse attaquée par les grandes entreprises multinationales qui tentent de préserver à tout prix leurs intérêts, à savoir ceux d’une infime minorité prête à condamner à la misère et à la mort une majorité d’humains tout en finançant les armées, les mercenaires qui assureront l’ordre capitaliste.

Le dernier exemple navrant est celui de l’initiative lancée par l’Agora des Habitants de la Terre concernant les vaccins qui devraient être considérés comme des biens publics et non plus des propriétés privées des grandes firmes pharmaceutiques. Cette proposition faite à l’ONU a immédiatement été contrée par l’Organisation Mondiale du Commerce soutenue par les puissances occidentales dont l’Europe ! (Voir à ce sujet notre rubrique « Les Indignés »).

Selon le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, « la souveraineté nationale – un principe fondamental de la Charte des Nations Unies – va de pair avec une coopération internationale renforcée, reposant sur des valeurs communes et des responsabilités partagées dans la poursuite du progrès pour tous et toutes. »

« Personne ne souhaite de gouvernement mondial – mais nous devons œuvrer de concert pour améliorer la gouvernance mondiale », a-t-il souligné.

« Dans un monde interconnecté, nous avons besoin d’un multilatéralisme en réseau, dans lequel la famille des Nations Unies, les institutions financières internationales, les organisations régionales, les blocs commerciaux et d’autres collaborent plus étroitement et plus efficacement », a-t-il ajouté. « Nous avons également besoin d’un multilatéralisme qui soit inclusif et s’appuie sur la société civile, les villes, les entreprises, les collectivités et la jeunesse ».

Magnifique programme qui témoigne d’une vision résolument moderne d’une démocratie participative à laquelle aspirent de nombreux peuples du monde.

En effet, plus d’un million de personnes ont été consultées à l’occasion de l’anniversaire des Nations Unies. Le résultat est clair : seule la coopération internationale pourra nous sauver. « Ils ont relevé que la pandémie de Covid-19 rendait cette solidarité plus urgente encore. Et ils ont souligné que le monde avait besoin de systèmes de santé et de services de base universels », précise A. Guterres. Il nous confirme que  « Les gens craignent la crise climatique, la pauvreté, les inégalités, la corruption et la discrimination systémique fondée sur la couleur de peau ou le genre ».

Représentés par leurs Etats, les peuples du monde entier peuvent faire entendre leur voix mais ils n’arrivent pas à ce que les exigences de paix, de coopération, de développement harmonieux se réalisent. Pourtant, les représentants des Etats déclarent : « Il n’existe pas d’autre organisation mondiale qui ait la légitimité, la puissance de rassemblement et le pouvoir normatif de l’Organisation des Nations Unies. Il n’en existe pas d’autre qui puisse donner à autant de personnes l’espoir d’un monde meilleur et faire que l’avenir que nous voulons se réalise. Il a rarement été aussi vital que tous les pays se rassemblent pour tenir la promesse des Nations Unies ».

Pour sa part, Louise Fréchette, vice-secrétaire générale des Nations Unies de 1998 à 2006, affirme : « les Nations Unies, c’est un ensemble d’institutions qui jouent une multitude de rôles. C’est un forum de débats, un endroit où on négocie des normes internationales, où on harmonise les actions des États, où on fait de la recherche et des statistiques qui font autorité. C’est une voix, c’est un symbole qui rappelle aux gens les valeurs sur lesquelles on s’est entendus.  Un monde où il y a des règles communes sur le commerce, sur la pêche en haute mer, sur l’utilisation des armes, c’est (…) un ensemble de mesures agréées par tout le monde, qui font qu’il y a un peu d’ordre dans les contacts entre les États. Ce qui est extraordinaire, c’est que, depuis 75 ans, malgré toutes les défaillances, ça a tenu. Dans la grande majorité des cas, la grande majorité des pays se conforme aux règles communes qui ont été agréées au fil des ans. Soixante-quinze ans de paix, c’est grâce à ça…” (2)

C’est cela, la « gouvernance mondiale esquissée par A. Guterres. Elle avance, cahin caha, au fil des années. Et même les coups de butoir d’un Donald Trump ne peuvent empêcher cette tendance positive. C’est bien cela la conclusion du livre « D’Henri La Fontaine à Donald Trump : la fin de l’utopie multilatérale », compilation des actes d’une série de conférences dont nous avons fait largement écho ici. (3) 

Pour un conseil mondial de la résistance

De gouvernance mondiale, il est aussi question dans le petit ouvrage publié en urgence en pleine crise Covid par Monique Chemillier-Gendreau, spécialiste en droit international et en théorie de l’Etat. Dans « Pour un conseil mondial de la résistance », elle plaide pour « l’impérieux besoin d’aller vers une expérience politique moderne » qui doit « consacrer l’avènement de l’homme-humanité et de la solidarité de tous les humains entre eux. » Cela signifie pour elle ouvrir la voie à une société cosmopolitique pour modifier le cadre politique du vivre-ensemble sans effacer les liens qui regroupent les humains en communautés singulières. « L’appartenance à ces communautés doit être complétée par un lien humain universel reliant chaque humain à tous les autres dans une association de nature politique. » Selon elle, la démocratie ne peut se réaliser pleinement dans l’enfermement sur un territoire. Elle ne pense pas que les Nations Unies, malgré leur bilan remarquable, soient capables de relever ce défi. Incapables de faire appliquer les beaux principes et résolutions permettant la paix et la coexistence fructueuse entre les Etats, elles sont devenues, en quelque sorte, responsables de la « situation de chaos » qui domine désormais dans certaines parties du monde. Le Conseil de sécurité actuel est en effet le principal frein vers la concorde entre les Etats.

Monique Chemillier-Gendreau recommande donc la création d’une nouvelle organisation politique universelle, remplaçant les Nations Unies et qui pourrait s’appeler Organisation Mondiale des Peuples mettant en œuvre un nouveau Pacte Mondial pour la paix, la sauvegarde de la nature et la garantie des droits sociaux universels.

La paix serait assurée par un conseil de sécurité véritablement représentatif des Etats, ses membres seraient élus par un Parlement mondial. La justice serait renforcée par l’obligation de reconnaître la compétence de la Cour internationale de justice et de la Cour pénale internationale. Une Cour mondiale des droits de l’homme aurait une compétence obligatoire pour toutes les communautés nationales, etc. (4)

Voilà deux livres qui nous donnent à penser pour mieux agir afin de changer le monde et d’assurer le bonheur des générations futures.

1. http://www.fossilfreepolitics.org/

2. Dans un article de Jean-Christophe Laurence (La Presse, 26 septembre 2020) cité par http://www.artistespourlapaix.org/?p=15965

3. https://www.entreleslignes.be/humeurs/zooms-curieux/un-multilat%C3%A9ralisme-%C3%A0-r%C3%A9inventer

« D’Henri La Fontaine à Donald Trump : la fin de l’utopie multilatérale ? », publié par le Centre d’Action Laïque et Fondation Henri La Fontaine, septembre 2020, 146 p., 15€.

http://www.henrilafontaine.be/ouvrage/dhenri-la-fontaine-a-donald-trump-la-fin-de-lutopie-multilaterale/

4. Monique Chemillier-Gendreau. « Pour un Conseil mondial de la Résistance ». Petite encyclopédie critique. Ed. Textuel. 2020.

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Message de l'APNU (Association pour les Nations Unies-Belgique)

REGARDEZ LES VIDEOS avec les messages du Secrétaire général, de Serge BRAMMERTZ, membre d’honneur de l’APNU, d’Olivier DE SCHUTTER et de Pierre GALAND, tous deux Présidents honoraires de l’APNU, et de Jean-Pascal VAN YPERSELE, ancien président du GIEC, enregistrés pour l'APNU à l’occasion du 75ème anniversaire de la signature de la Charte des Nations Unies et postés sur notre site internet https://apnu.be/

 

 

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