La Rouille, la peinture comme exorcisme.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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Des visages, toujours différents, douloureux, accèdent à la représentation.

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La Rouille est un peintre. Un peintre un peu particulier certes qui ne peint que des visages ( les personnages "en pied" sont rares, parfois, un hibou, oiseau de mauvais augure) et dont le support, mur ou toile, ne change guère la facture. Les visages de La Rouille semblent être inachevés. Pourtant, il confie dans une interview son souci de l’achèvement d’une œuvre. Leur exécution varie entre 20 minutes et 5 heures, dit-il. L’œuvre est achevée et exécutée avec grand soin. Il dit s’inspirer de sa vie, de son histoire pour peindre et reconnait la fonction cathartique de sa peinture. Lui qui n’a pas de formation académique dans le domaine des arts peint parce qu’il n’a pas d’autre choix que de peindre. Il peint de manière quasi obsessionnelle des visages.

Ces visages émergent du support ; ils en sortent. Pas complétement. Ils sortent avec peine du support pour accéder à la représentation. Tous expriment la douleur. Ils sont torturés, déformés par elle. Le nombre des couleurs est restreint ; les harmonies sont sombres. La palette refuse l’éclat des couleurs vives, les forts contrastes. D’un monde dominé par des nuées obscures s’extirpent des formes qui ressemblent à des visages. Comme des succubes, des ectoplasmes, condamnés à errer dans le monde des vivants. La sortie du néant est un passage. De l’impossibilité d’être, des limbes, des ténèbres, de la mort, des êtres accèdent à l’existence.

Le spectateur pourrait y voir des références aux cultes anciens dans lesquels les morts avant d’accéder à un lieu de repos doivent traverser des lieux et des épreuves. De la traversée du Styx, au Léthé, au purgatoire des Chrétiens. Les âmes qui quittent les corps doivent être comme purifiées avant d’accéder à l’éternité. La Rouille peint avec une force et une constance qui surprend le chemin inverse. Non pas celui de l’être vers la félicité mais la remontée des lieux maudits, des tourments, des souffrances innommables vers la société des Hommes. Comme ces esprits qui invoqués par les vivants viennent sous différents aspects peupler nos cauchemars.

La peinture de La Rouille n’est ni religieuse, ni spiritualiste. Elle traduit sans concession les affres d’un homme confronté à la création. Ce serait une injure de penser qu’elle illustre des récits mythologiques et religieux. Ses images ne sont pas des fantaisies baroques comme on en trouve pléthore dans l’histoire de la peinture. La Rouille ne se complait pas dans des figures du malheur. Le refus de la couleur, le refus du décor, ne sont pas des choix esthétiques. Il faut prendre au pied de la lettre, simplement, les visages suppliciés qu’il peint : ce sont des « figures » de la souffrance. Une souffrance intérieure qui a besoin d’extériorité pour être soulagée.

Il y a des peintres du bonheur et des peintres de la souffrance. La Rouille est un peintre de la douleur. Une douleur moins intense quand elle trouve un exutoire, une douleur lancinante, qui soulagée, revient et qu’il faut de nouveau calmer. C’est ce chemin du calvaire que raconte l’œuvre de La Rouille. Un récit d’une étrange beauté formelle. Goethe a écrit « Les Souffrances du jeune Werther » et à sa lecture des lecteurs se sont tués, désespérés. La réitération des images cruelles de l’artiste n’est pas un artifice, un style comme disent les ignorants, mais le témoignage sensible d’un autre nous-même.

 

« Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille ». Recueillement. Charles Baudelaire.

 

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Un visage, un portrait singulier qui interroge la fonction moderne du portrait.

Visage mystérieux dans un lieu abandonné.

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