La Marianne de Jo Di Bona.

Street/Art

Par | Penseur libre |
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La galerie en ligne Wall 51 et les associations Dam et Delamoursurlesmurs ont organisé le 18 et le 19 mai sur les quais du canal de l’Ourcq à Paris un Festiwall accueillant des artistes « émergents » et des artistes confirmés. Le « line up » est, à ce titre, révélateur : 13 bis // Andrea Ravo Mattoni // Ardif Streetart // Aurélie Andrès // Bab // Basto // Creyone Centrentedeux // DACO // Jeanjerome //JBC // Jo Di Bona // Joachim Romain artiste // KASHINK // Madame // Meton Joffily // Oji. // Philippe Hérard // Stew // Tea Amr // Vincent Bargis // Jean Yarps // Yola Yolart // Zenoy.DKC . Bref, que du beau monde !

Jo Di Bona disposait, cette année, d’un beau mur. Il s’agit du mur formant pignon d’un bâtiment faisant face à un des deux magasins généraux du quai de Marne. Sa surface est importante, environ 10 m sur 6. Jo Di Bona a représenté un portrait de Simone Veil en Marianne. Le choix du sujet signe un acte fort de la part de l’artiste ; un choix qu’il convient de resituer dans un contexte pour en saisir la signification.

Jo Di Bona est à ma connaissance le seul « collagiste » à mettre en œuvre avec talent une technique originale qui lui est propre. Nous en dirons 2 mots, peut-être 3 !

J’avoue n’avoir pas « vu » que Simone Weil dont je reconnaissais le portrait était représentée en Marianne. J’ai cru voir des cheveux alors que Simone Veil est coiffée du célèbre bonnet phrygien. Certes, le bonnet n’est pas rouge et une cocarde aux couleurs du drapeau national n’y est pas cousue. Le portrait est une photocopie en grand format en noir et blanc. Ceci explique, peut-être, cela. Dans un deuxième temps, sachant que je devais voir Marianne, j’ai cherché et trouvé le fameux bonnet. Un bonnet qui transforme Mme Veil en symbole de la République.

L’œuvre de Jo Di Bona est un écho d’une polémique qui a débuté en février 2019. Rappelons les faits. C 215, pochoiriste reconnu, pour célébrer l’entrée au Panthéon de Simone Weil a peint deux portraits de la grande dame sur une boite aux lettres du XIIIe arrondissement de Paris. Un arrondissement dans lequel l’artiste a ses habitudes. Dans la nuit du 11 février, les deux portraits ont été tagués de croix gammées. L’émotion dans l’opinion publique a été à la hauteur de l’outrage. Alors que la panthéonisation de Simone Veil était pour tous légitime et comprise comme le juste hommage de la patrie à une dame dont les mérites n’étaient contestés par personne, deux croix gammées ramenaient Mme Veil à son passé douloureux de rescapée de la Shoa. Christian Guémy, alias C 215, qualifia l’acte de vandalisme, d’« abject » et de « lâche ». Une cérémonie fut organisée le mardi après-midi suivant sur le parvis de la mairie d’arrondissement. Devant Pierre-François Veil, l’un des fils de Simone Veil, des membres de la famille, Jérôme Coumet, le maire divers gauche du XIIIe, le représentant du Conseil représentatif des Institutions juives de France, Mme Hidalgo déclara : « « Nous sommes ici pour réparer cet acte odieux. Dire que nous condamnons. Qu’on ne laissera pas banaliser cet antisémitisme ».

L’affaire eut un large écho dans la presse écrite et audiovisuelle. En réponse à cette « profanation », un groupe d’élus a poussé la sénatrice Fabienne Keller, vice-présidente du parti Agir, proche de la majorité, à formuler officiellement auprès du chef de l’Etat la demande que Marianne soit représentée sous les traits de Simone Veil.

Interrogée sur les raisons qui justifient sa demande, Mme Keller a déclaré : « Simone Veil fait partie du cœur et de la conscience collective de notre nation. Son parcours et son engagement ont inspiré et donné de la force à de nombreux Français. Elle incarnait à elle seule les valeurs de la démocratie, de la justice sociale et de l'équilibre européen. Sa lutte contre l'antisémitisme, pour les droits de l'Homme et pour l'égalité des rapports entre les hommes et les femmes sont des exemples pour tous. La vie de Simone Veil est à un appel à refuser toutes les compromissions avec les extrémistes, les populistes, les marchands de malheur. Avoir son visage sur ce buste présent dans toutes les mairies, témoin des mariages et d'autres actes civils importants, m'est naturellement venu à l'esprit quand j'ai appris les récents actes antisémites. »

Christian Guémy est intervenu pour effacer les croix gammées et la demande est restée sans réponse. Pour l’heure. Certainement pour longtemps. La politique n’est pas régie par la morale et l’exécutif considère à coup sûr « qu’il est urgent d’attendre ».

Soigner n’est pas guérir. Entre temps, les actes antisémites se sont multipliés, les cimetières profanés, des croix gammées taguées.

A mon humble avis, ce sont à ces manifestations de racisme que Jo Di Bona a voulu réagir en reprenant, à sa manière, l’idée de Simone Veil en Marianne.

L’analyse de l’œuvre révèle d’autres intentions. D’abord, le portrait qu’a choisi l’artiste est la photographie qui a été utilisée lors de la panthéonisation. Histoire de faire clairement le lien entre l’entrée de Mme Veil au panthéon et Mme Veil, symbole de la République.

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Quant au processus de création, la meilleure manière d’en rendre compte est de laisser l’artiste le faire ; « Je commence par peindre entièrement le mur à l’aérosol avec des formes géométriques très colorées influencées par le Graffiti le tag et les lettrages, ce par quoi j’ai commencé dès 1988. J’y ajoute ensuite quelques pochoirs très basiques de trames directement empruntés au Pop Art et à Roy Lichtenstein en particulier (des points, ronds et lignes). Ensuite, je viens maroufler quelques grandes affiches publicitaires en couleur, et pour finir un très grand visuel imprimé en noir et blanc que je colle par-dessus le tout. Puis je déchire et gratte les couches successives de papier avec un outil tranchant pour revenir au point de départ (le graph coloré), et surtout pour donner l’illusion que le mur a vécu. »

La Marianne de Jo Di Bona est jeune, très belle, cernée de couleurs vives et, un peu partout, s’inscrit le mot Amour. Loin d’être la Marianne guerrière de la Révolution, c’est celle qui unit dans l’amour partagé ses enfants.

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